La Sirène qui fume

Ce qui m'obsédait, c'était combien cette dernière soirée, réellement, avait été banale. Il n'y avait eu aucun signe avant-coureur, aucune parenthèse de mauvais augure, rien qui puisse être interprété, même par le plus enragé des conspirationniste, comme un présage.
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Roman - Noir

La Sirène qui fume

Politique - Social - Corruption - Trafic MAJ lundi 18 juin 2018

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 19,9 €

Benjamin Dierstein
Préface de Caryl Férey
Paris : Nouveau monde, avril 2018
526 p. ; 23 x 14 cm
ISBN 978-2-36942-658-5

Grande claque oxygénée

Mis à part quelques auteurs francs-tireurs qui cherchent à créer une œuvre à part, à lancer un nouveau style, la plupart des écrivains commencent à écrire en "s'inspirant" des auteurs qui les ont marqués. On trouvera sans doute l'influence de James Ellroy chez Benjamin Dierstein. Prenez l'intrigue : Gabriel Prigent, capitaine de police muté de la province vers Paris et qui est obnubilé par son travail, au point de regarder disparaître sa vie familiale et sombrer épouse et fille sans céder un pouce de terrain à l'affaire qu'il est chargé de résoudre. En même temps, un ponte de l'inspection générale des services lui demande de l'aide pour faire "tomber" des collègues qui sont trop liés aux milieux corses. En parallèle, nous suivons justement le lieutenant Christian Kertesz, l'un de ces policiers. Pour essayer de sauver sa femme, il a escroqué un gros ponte de la mafia. Un parrain corse a calmé l'affaire en payant son amende et depuis il doit rembourser ce parrain en acceptant des missions peu légales et en surveillant ce qui se trame dans les services de police. Pour arrondir ses fins de mois difficiles, ce policier accepte d'aider une femme qui a vu disparaître sa fille de seize ans. Jeune oie blanche, elle serait la proie de méchants personnages. À peine l'enquête débute-t-elle que le policier découvre que la jeune oie blanche était plutôt un vilain petit canard et qu'elle se prostituait. Visiblement, l'un de ses amants l'avait tatouée avec une sirène qui fume. Or, Gabriel Prigent est justement chargé d'enquêter sur les meurtres horribles de jeunes filles, violées, torturées et assassinées. Seul point commun entre les victimes : un tatouage avec la même sirène qui fume...
Par delà l'intrigue, on retrouve les obsessions de James Ellroy avec l'attirance des policiers pour leurs victimes (avec notamment la façon dont chargé de retrouver la jeune fille, le lieutenant Christian Kertesz en vient à fantasmer sur elle et la recherche aussi pour assouvir ses propres pulsions sexuelles), leur besoin de se salir, de foncer sans se soucier des conséquences comme Christian Kertesz, la dislocation lente mais irrémédiable des liens avec ceux qui les aiment. Gabriel Prigent est montré dans quelques scènes très tendues avec sa femme et sa fille, qui entre en petite délinquance sans qu'il ne s'en occupe réellement, puis une superbe description lorsqu'il veut renouer mais que sa femme le repousse tranquillement. De même, ponctué par des flashs info, le récit est confronté à une actualité "ancienne" (les préparatifs de l'élection présidentielle de 2011 avec les grands chefs de la police qui travaillent pour, entre autres, enfoncer DSK) qui jouera un rôle détourné mais central dans toute cette ténébreuse affaire. La Sirène qui fume montre les connivences et les interactions entre grandes manœuvres (par exemple : le marché de la prostitution sur Paris) et petits intérêts individuels (un tueur sadique qui profite parfois des prostituées de son réseau pour des activités plus personnelles). Il y a donc beaucoup de noirceur et quelques éclairs de lucidité et de lumière, des scènes glauques et des obsessions qui reviennent régulièrement, des êtres qui croient s'en sortir mais qui ne font que s'enfoncer davantage. Pourtant l'auteur n'a pas hésité dans le côté casse-gueule en alternant son histoire entre les deux policiers, restituant la voix de l'un par un "Je" tonitruant et l'autre par un "Tu" toujours dangereux mais dont il sait maîtriser le rythme de cheval au galop. Il y a aussi chez Benjamin Dierstein une écriture maîtrisée qui joue avec les stéréotypes et sait le sublimer par un détail humain, par un style âpre, dur et restituant avec force les angoisses et les flamboyances des personnages. Plongée dans l'univers malsain des psychologies, dans les liens troubles avec la pègre, le roman est une réussite, s'appropriant des codes pour en créer une œuvre personnelle, un premier roman qui accroche et maintient la tension, s'appuyant sur une intrigue et un style prenant, "un putain de bon roman" comme le dit Caryl Férey dans sa préface.

Citation

C'est un paumé qui aidait sa grand-mère à faire ses courses contre un peu de blé parce que ce trou-du-cul était incapable de trouver un taf.

Rédacteur: Laurent Greusard lundi 18 juin 2018
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