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C'était le rêve le plus noble que nous ayons jamais eu, et même s'il a échoué, Benny, même si la machine a continué à avancer comme un rouleau compresseur écrasant les Noirs ici, l'Amérique du Sud, l'Afrique, et tous ceux qui nous haïssent à l'étranger, cela aurait pu se passer autrement.
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Plus près de Sara Gran

Lundi 01 février 2010 - Sara Gran vient de publier son deuxième roman en France aux éditions Sonatine, Viens plus près, après Dope en 2008. Elle s’apprête à sortir son quatrième opus aux États-Unis. À la lumière de cette double actualité, nous avons voulu échanger avec celle dont le travail est loué par Pelecanos lui-même. La jeune New-Yorkaise, sondeuse des profondeurs de l’âme humaine, a accepté de répondre à nos questions.
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© D. R.



k-libre : Je dois vous avouer que la situation de départ de votre roman, Viens plus près, ne m’a pas attiré, parce qu’elle avait quelque chose de surnaturel, et que je suis quelqu’un de désespérément rationnel. Mais après quelques pages, j’étais comme emprisonné dans le roman et je n’ai pas pu m’arrêter avant d’atteindre la fin de l’histoire. Aviez-vous cet objectif en tête en écrivant ce roman ?
Sara Gran : Oui, déstabiliser les esprits rationnels est un de mes objectifs. J’espérais que le livre pourrait s’immiscer au plus profond de ceux qui ne sont pas réceptifs au surnaturel. J’ai aussi volontairement créé un livre difficile à démonter – j’ai travaillé sur un tas de petits trucs et de tours qui permettent de garder le lecteur dans l’histoire.

Il n’y a aucun lieu précis dans Viens plus près. Pourquoi avez-vous choisi de rester vague à ce sujet ?
Je pense que c’est un peu plus effrayant quand l’action peut se dérouler dans n’importe quelle ville – même votre ville. C’est aussi amusant en tant qu’écrivain parce que cela vous laisse de l’espace pour vous exprimer. Tout peut se trouver là où vous l’avez décidé. Mais la plupart des lieux dans le roman sont réels – le loft ou vivent Amanda et Ed ressemble beaucoup à un appartement dans lequel je vivais à Brooklyn, par exemple.
C’est marrant - beaucoup de lecteurs n’ont pas remarqué que la ville n’était pas nommée, et ils en ont déduit qu’il s’agissait de New York, même s’il existe des différences de taille. Ceci vous classe du côté des lecteurs très attentifs !

Merci. Il est vrai cependant que nous pouvons sentir derrière les mots une ville qui pourrait bien être New York, même si elle n’est pas nommée, comme si vous aviez essayé de placer le lecteur dans un endroit familier mais en le privant de tous ses repères. N’est-ce pas au fond ce qui arrive à Amanda ?
Oui, tout à fait – mon objectif était que tout semble parfaitement familier, totalement normal, à la fois pour Amanda et pour le lecteur, jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour faire demi-tour. Quand elle réalise (et nous avec) ce qui se passe, il est trop tard pour l’arrêter. Il y a quelque chose d’effrayant et de triste à mes yeux dans cette idée – que le temps nous échappe, que nos erreurs ne peuvent plus être réparées, que nous nous sommes laissés aller sur le mauvais chemin. Une sorte de nostalgie triste. C’est peut-être une version exagérée de ce qu’est le vieillissement, de voir tout ce qui nous échappe et ne revient jamais.

Est-ce là votre travail ? Écrire sur la part de destruction que contient la vie, sur les choses qui nous échappent la plupart du temps ?
Les choses qui nous échappent la plupart du temps - oui. Il y a quelques années, j’ai réalisé que tous mes livres tournaient autour de la même idée centrale : Votre Vie N’Est Pas Ce Dont Elle A L’Air. Ou peut-être était-ce : Le Monde N’Est Pas Ce Que Vous Croyez. Et pendant un moment, j’ai pensé, bon sang, je devrais essayer d’écrire sur autre chose. Mais depuis, j’ai laissé tombé et j’ai fini par accepter le fait que ceci est le sujet sur lequel j’écris. Donc, oui, je pense vraiment qu’il se passe beaucoup plus de choses que ce que les gens semblent voir, à tous les niveaux – psychologique, physique, spirituel, politiques etc.
La part de destruction que contient la vie – il y avait certainement beaucoup de cela dans mes quelques premiers livres. Mais j’ai l’impression d’avoir parcouru ce chemin de bout en bout et de l’avoir exploré autant que je le voulais. Cela ne revêt plus le même intérêt pour moi. Le livre que je viens de terminer (nous nous sommes pour l’instant arrêtés sur le titre La Cité des morts, mais il peut changer encore) explore beaucoup de thèmes similaires mais fouille également du côté de la part de création, tout aussi mystérieuse. L’histoire se déroule dans une Nouvelle-Orléans d’après le cyclone Katrina, ce qui représentait un bon endroit pour examiner ce genre de choses. Bon d’accord, tous vos pires cauchemars verront le jour, vous traverserez des épreuves terrifiantes, vous serez témoin d’actes plus terribles que ce que vous avez pu imaginer, et la vie vous assommera de coups durs encore et encore. D’après ce que je peux voir, cela ne s’arrête jamais. C’est vrai. Mais pour l’instant, je suis plus intéressée par le fait de voir comment tout cela interagit sur l’autre versant de la vie ; celui sur lequel vous êtes récompensé encore et encore, le versant où vous voyez les choses en beau au-delà de vos rêves, où les choses sont si formidables que vous n’auriez jamais pu imaginer qu’elles puissent se produire chaque jour. C’est tout aussi vrai, et tout aussi intéressant.

Donc les lecteurs découvrirons bientôt le côté optimiste de Sara Gran. Les lecteurs français devront cependant attendre la traduction. À ce sujet, vos romans sont aujourd’hui traduits dans le monde entier, en Europe, au Japon… Avez-vous intégré cette situation dans votre travail ? Cherchez-vous à donner une dimension internationale ou universelle à votre travail ? Comment ?
Un côté plus optimiste – Mon Dieu, cela semble terrible ! Peut-être un côté plus réaliste. Pour ce qui est des traductions, je n’ai pas intégré cela dans mon travail. Peut-être le devrais-je ! Mais je ne saurais pas comment. Je n’ai pas beaucoup voyagé en dehors des États-Unis et je ne peux pas essayé d’imaginer ce qui parlerait à un lecteur en Israël ou au Japon. D’une manière générale, je pense que ce n’est pas une bonne idée de chercher à faire plaisir au lecteur. Le premier objectif est de faire plaisir à l’histoire elle-même, ce qui veut dire s’assurer que l’histoire est complètement cohérente. C’est déjà beaucoup !

Il semble que votre travail d’écriture soit inspiré de faits réels, d’observations de la vie autour de vous. Votre prochain roman par exemple, La Cité des morts, prendra place dans une Nouvelle-Orléans d’après le cyclone Katrina. Jusqu’où utilisez-vous ces observations ? Vous aident-elles dans votre quête de cohérence narrative ? Est-ce que la réalité qui vous entoure est une base solide à votre imagination ? Y avait-il, par exemple, un point de départ dans la réalité pour l’écriture de Viens plus près ?
Oui, la réalité un bon point de départ pour moi – je n’ai pas beaucoup d’imagination, par là je veux dire que je ne peux pas inventer des idées de roman à partir de ma simple inspiration, comme certains semblent le faire. J’ai besoin de démarrer avec quelque chose de réel et de laisser mon esprit décoller à partir de là. C’est d’une grande aide pour trouver la cohérence de l’histoire. Les faits réels permettent de synchroniser en douceur en frappant à l’endroit où l’inconscient et le conscient se rencontrent ; ils fournissent des sortes de bornes le long du chemin.
Oui, des événements de la vraie vie ont inspiré Viens plus près. Et c’est tout ce que je dirai à ce sujet !

Les lecteurs français auront-ils le plaisir de vous rencontrer bientôt ?
Malheureusement non, aucun projet de voyage en Europe d’ici peu. Peut-être, avec un peu d’espoir, pour le prochain roman en 2011.

Quel sera votre mot pour clore cette conversation ?
Mon dieu, C’est beaucoup de pression, il faut dire quelque chose de sage ou au moins d’intelligent. Pourquoi pas merci et bonne nuit ?


Liens : Sara Gran | Viens plus près Propos recueillis par Jean-Claude Lalumière

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