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Ma vie des autres (218)
Courts récits de 1000 signes. 218 : témoin gênant. J'ai un doute en regardant la femme s'installer à la barre des témoins. La défense l'a convoquée plus pour charmer la cour que pour témoigner. Pourtant, dans cette affaire, on ne peut pas dire qu'elle soit d'une grande utilité pour l'accusé. Je ne sais pas ce que mijote mon adversaire, mais je devine qu'il prépare un coup tordu. Comme les as du barreau, c'est un roublard, capable de rouler n'importe quel juge dans la farine. Il n'a pas acquis sa réputation dans une pochette surprise. C'est d'abord à lui de la questionner. Ensuite, en tant que procureur et représentant du ministère public, j'interviens, et si possible je démolis tout qu'il a réussi à démontrer. Mon rôle est de prouver à tout prix la culpabilité de l'homme dans le box. Or, tout d'un coup, je me sens mal à l'aise. Cette femme me rappelle la mienne en plus jeune et me renvoie aux années heureuses. Je m'appuie à ma table. J'espère que je ne suis pas en train de faire un infarctus. J'écoute à peine ce qui se dit. Je me demande depuis combien de temps je n'ai plus fait l'amour. J'ai arrêté le Viagra. Ma femme a eu son cancer du sein et s'en est remise. La vie a continué. Je relève la tête car c'est à moi d'intervenir. Le visage délicat de la femme me déstabilise. L'avocat me sourit. À présent, je suis sûr qu'il a sciemment préparé son coup pour me déstabiliser.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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