La Guerre est une ruse

Les maladies, d'après les religieux comme les scientifiques, naissent d'une mauvaise vie. Nourriture riche, air vicié, terre humide, piètre hygiène, alcool, drogue, vice et sexe. Par conséquent, les malades ont souvent une réputation douteuse, et les vertueux agents de la charité les traitent avec des pincettes.
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Roman - Espionnage

La Guerre est une ruse

Politique - Social - Terrorisme MAJ mardi 18 décembre 2018

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 22 €

Frédéric Paulin
Paris : Agullo, septembre 2018
368 p. ; 20 x 14 cm
ISBN 979-10-95718-43-7

La condition inhumaine

Frédéric Paulin retrace avec intelligence l'histoire violente de l'Algérie entre 1992 et 1995, un pays cerné par les intégristes islamistes et les généraux de l'armée. Il nous offre un roman d'espionnage délirant et réaliste avec des personnages attachants, répugnants ou les deux à la fois parfaitement aboutis.
En 1992, le Front Islamique du Salut arrive démocratiquement au pouvoir. C'est sans compter sur les militaires qui décrètent l'état d'urgence et s'arrogent ce même pouvoir. Le FIS est déclaré parti non grata, et nombre de ses partisans prennent le maquis et les armes. Mais peu à peu, on voit émerger les GIA, Groupes Islamistes Armés, qui sèment la terreur dans le pays, et qui sont le prolongement armé du FIS. La France n'est évidemment pas insensible à ce qui se passe dans l'un de ses anciens départements. La DGSE à Alger cherche à y voir clair dans tout ce fatras meurtrier. Elle peut compter sur Rémy de Bellevue et sur Tedj Benlazar, deux espions qui comprennent l'Algérie, sentent l'Algérie, respirent l'Algérie. Eux seuls semblent y voir clair. Ils compilent des dossiers, travaillent en synergie. Benlazar, mi-Algérien, mi-Français, est un agent de la DGSE qui n'hésite pas à se mouiller en véritable homme de terrain intuitif, et qui passe pour un incompétent aux yeux du DRS, les services secrets algériens. Au cours d'un interrogatoire particulièrement musclé, il fait la rencontre du colonel Bourbia, reconnaissable à ses lunettes noires aux montures dorées. Cette rencontre va le précipiter au cœur d'un conflit civil peut-être sans précédent. Les militaires ont besoin des GIA pour se maintenir au pouvoir, et ils ont également besoin que l'intégrisme s'exporte pour obtenir les soutiens étrangers dont celui de la France, qui les légitimera. Bourbia, c'est en quelque sorte celui qui met à la tête des GIA Djamel Zitouni, un intégriste "retournée" dans un camp de détention (ou de concentration), qui peu à peu risque de lui échapper. C'est surtout celui qui joue aux apprentis-sorciers dans l'ombre du club des généraux qu'il souhaite intégrer. C'est un être froid et calculateur qui n'hésite pas à faire sauter des fusibles dans son organisation. Et il a de nombreux fusibles.
C'est ainsi que défile sous nos yeux au fil des pages des personnages romanesques de première, avec leurs failles, leurs doutes, leurs angoisses et parfois leurs certitudes. Des personnages gris ou gris virant sur le noir qui ont tous des intérêts particuliers comme un commissaire qui tente de vivre avec sa propre morale. D'autres personnages, gris-blanc, qui ne sont que des pions voués à disparaître de ce vaste échiquier inintelligible. Et puis quelques personnages, essentiellement féminins, particulièrement lumineux même s'ils cèdent parfois à une colère justifiée. Comme si les femmes voulaient que les hommes arrêtent de jouer.
Mais Frédéric Paulin détone avant tout par son sens de la narration et son recul sur cette histoire de l'Algérie, mais aussi de la France (avec l'arrière fond politique qui énerve). Il y a une puissance narrative propre aux romans qui confrontent des idéologies. On pourrait parler avec celui-ci de condition inhumaine tant l'auteur, qui semble particulièrement bien documenté, nous plonge dans une atmosphère terrifiante, complotiste et politico-machiavélique (si tant est que ce terme ne soit pas un pléonasme). Il ne nous épargne rien tout en paraissant un simple observateur de son intrigue. Il prend le parti de ne jamais juger ses personnages ; il a de l'empathie pour l'Algérie. Pire, il nous les rend presque tous humains, du moins compréhensibles dans leur cheminement de pensée. Peut-être parce qu'il pense lui aussi qu'ils sont tous en train de jouer à un jeu du Bien contre le Mal, et que chacun des joueurs est à son niveau coupable de quelque chose. Les frères Bougachiche sont des pions logiques d'une guerre civile, chacun embrassant un camp, et deviennent par la suite mythologiques. On ne peut s'empêcher de déceler en Benlazar, un homme qui revient éternellement de l'Enfer.
L'auteur mêle bien entendu la grande histoire à la petite. La guerre est une ruse, et en Algérie à cette époque-là, ils sont nombreux à vouloir être rusés. Parmi eux, le colonel Bourbia et Bellevue. Les événements jusqu'à aujourd'hui tendraient à prouver qu'ils ne l'étaient pas tant que ça. C'est ainsi que le roman s'arrête prophétiquement sur ce qui arriverait dans la décennie à venir. La guerre est l'avenir de certains hommes, ainsi en va la survie de l'inhumanité. Le roman de Frédéric Paulin, lui, est l'un de ces romans d'espionnage qui est marquant, et le restera.

Citation

Le 25e régiment de reconnaissance, les types du CLAS et particulièrement ceux qui se trouvent en poste à Lakhdaria ont les mains couvertes de sang. Du sang d'innocents, entre autres. Et en ce qui concerne Bougachiche, c'est le sang de son propre frère. C'était suffisant pour le laisser se suicider. Mais Benlazar se considère à peine moins dégueulasse que lui.

Rédacteur: Julien Védrenne mardi 18 décembre 2018
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