Un sang d'encre

Roman - Policier

Un sang d'encre

Odeurs du passé nauséabond

Nous sommes en 1983 et déjà les premières désillusions à l'encontre du gouvernement socialiste se font jour. Dans le Sud-Ouest, alors que l'on procède à des licenciements, syndicats et patronats se battent. L'un des dirigeants d'un syndicat maison, proche des patrons, disparait alors que toute sa maisonnée est retrouvée morte. Il est un suspect idéal et Cadalen, un journaliste, de passage dans la région, est engagé par le journal local pour écrire sur ce fait divers qui pourrait révéler bien des surprises. La première arrive quelques jours plus tard quand on découvre le corps du suspect, tué dans une sorte de grotte. Les gendarmes chargés de l'affaire ne savent pas trop où diriger leurs recherches quand un message anonyme les envoie vers un harki qui travaille dans l'usine en grève. Dans son vestiaire, on découvre le portefeuille du mort... Le chef des gendarmes est bien embêté car, ancien d'Algérie, c'est lui qui protège les harkis réfugiés dans le coin. Comme les socialistes sont en perte de vitesse, l'extrême-droite va tenter de remporter les futures élections en capitalisant sur les rivalités avec les "vrais" arabes venus voler le travail des Français (et en pratiquant leur religion dans les couloirs des entreprises !) et ces demi-arabes que seraient les harkis. Des immigrés qui sont un enjeu pour lequel se battent les notables locaux, entre la baisse des salaires qu'ils peuvent en tirer et un bouc émissaire utile à leurs fins. Mais Caladen enquête de son côté et découvre que le mort a été, entre autres, un homme lié à d'anciennes affaires et notamment à l'OAS. Il serait même selon les bruits un de ceux qui savaient où était caché leur trésor. Faut-il chercher de ce côté ? Et qui est venu poser une douille de balle sur le capot de sa voiture ?

Un sang d'encre est un roman classique de l'enquête policière avec un individu extérieur qui arrive dans un milieu fermé où tout le monde se connait, se déteste mais sait que les autres savent aussi beaucoup sur eux. Cadalen a un regard ironique et décalé, désabusé sur ces gens, sur les nostalgiques de l'Algérie française (il a un point de vue particulier car lui aussi a vécu des événements traumatisants comme soldat en Algérie dans les années 1960) et sur ces députés socialistes qui sont riches en analyse et entendent eux aussi profiter des moments possibles de corruption qui se présentent. L'ensemble est bien mené, porté par la gouaille et le cynisme du personnage central, un héros tiraillé par son passé, trouvant peut-être une façon de continuer à espérer. Vincent Ejarque nous propose une enquête politique qui permet de renouer avec un passé pas si loin et qui a contaminé nos décennies précédentes (et peut-être encore les dernières années comme le montrent les controverses récentes sur les OQTF ou sur Boualem Sansal) dans la grande lignée des polars politiques français.

Citation

Le type risquait des ennuis et le genou de Garcia était très amoché. La blessure puait, il allait perdre sa jambe. Et le véto sa liberté s'il s'aventurait à l'opérer lui-même. L'équipage avait donc atterri devant la gendarmerie, où Garcia fut abandonné à la sauvette par le conducteur d'un tube Citroën que les plantons ne voulurent pas laisser repartir.

Rédacteur: Laurent Greusard mardi 15 avril 2025 partager : | |