Tango chinois

Qu'est-ce que les journaux vont bien pouvoir dire à propos d'un macchabée qui a une capote autour de la queue et un paquet de Twinkies dans la poche ?
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vendredi 19 avril

Contenu

Roman - Policier

Tango chinois

Tueur en série - Corruption MAJ lundi 17 mai 2010

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 9 €

Hugo Horst
Paris : Zulma, juin 1998
170 p. ; 17 x 11 cm
ISBN 978-2-84304-033-7
Coll. "Quatre-bis", 10

Danses macabres

À l'Institut médico-légal du quai de la Rapée, légistes et garçons de salle ne chôment pas. Parmi les derniers corps arrivés, celui d'une presque quinquagénaire, Jeanne Van Oberpuit née Duval. Et ceux, coupés en morceaux répartis dans des sacs-poubelle, de deux Chinois tués à l'arme blanche. Les deux affaires, instruites par le juge Hélène de Pieu-Rogart, échoient à l'inspecteur Luce Schlomo. Les deux Chinois ont été poignardés tout près de chez lui, à Belleville, où il occupe l'appartement de sa mère internée à Saint-Maurice. Habitué fervent des bars et gargotes, l'inspecteur glane là le gros de ses informations. Il se pourrait que les deux Chinois aient été victimes d'une sorte de guerre des gangs dont il lui faudra démêler les tenants et les aboutissants. Peut-être son collègue Ramier, un ex des Mœurs pas très clair, aura-t-il de bons tuyaux à lui communiquer ? Pendant ce temps, le dossier Van Oberpuit se corse. Le principal suspect se suicide en cellule, et l'on amène à la morgue d'autres femmes ayant en commun avec Jeanne Van Oberpuit d'avoir à peu près le même âge et d'être nées Duval.
Luce Schlomo réfléchit beaucoup, boit et fume autant, pense à sa mère, perd le sommeil. Et ses insomnies d'être scandées par le pas cadencé des machines à coudre de l'atelier de confection installé juste en face de son logement – un tango qui, chinois plus qu'argentin, fait ployer l'échine de ceux qui le dansent au lieu de leur cambrer les reins...

Avant de se conclure en pente douce, le récit offre au lecteur une ultime course poursuite hallucinante dans les rues de Belleville d'abord puis dans les entrailles du parc des Buttes-Chaumont. L'on flotte entre rêve et réalité avec au cœur chevillée la certitude que l'auteur, en même temps qu'il regarde vers Le Cuirassé Potemkine, louche vers les chutes du Reichenbach et peut-être aussi vers le Paris des Trois villes zoliennes. Quel souffle !
Très construit, ce roman a pourtant davantage l'air d'une balade narrative que d'un polar traditionnel mû par l'implacable logique menant du crime constaté au coupable démasqué. Noir certes, rameutant cadavres, pègres en lutte et trafics en tout genre, donnant à la fin "la solution" escomptée, il n'est policier qu'en surface. Fort peu procédurier au demeurant, il marche au pas de son héros qui surprend tout de suite, nanti de ce prénom que bien peu de gens sans doute savent mixte...

Grand arpenteur des rues parisiennes et des bars qui vont avec entre le quai de la Râpée et les quartiers de Belleville et de Ménilmontant, prenant peu le métro, buveur d'alcools forts et fumeur de gitanes – whiskies et "tiges" se suivent à ses lèvres lorsqu'il réfléchit ou déprime – Luce Schlomo promène une sorte de désarroi ballant, de mélancolie permanente que ne tempère pas l'attirance croissante qu'il éprouve pour le juge de Pieu-Rogart. Littéralement possédé à l'intérieur comme à l'extérieur par le fantôme de sa mère démente, sensible à la misère de ses contemporains – ouvriers au noir surexploités, exilés de tous les horizons, petits malfrats trimballant leur délinquance comme Cadet Rousselle le clochard ses trois landaus – notre inspecteur pourrait n'être qu'un des ces personnages de flics bouffés par leurs tortures existentielles et leurs inclinations humanistes tels qu'il en existe tant dans la littérature policière contemporaine. Quelque chose l'en distingue. Rien de précis dans ses traits psychologiques ou physiques mais plutôt des "signes particuliers d'écriture" dans la manière dont il est installé dans le récit. Ces signes imprègnent d'ailleurs l'ensemble du texte et contribuent à écarter Tango chinois des schémas du polar de base.

Voilà un bien étrange roman policier, qui exigerait d'être lu comme tel et rappellerait en même temps à son lecteur qu'il n'est pas tout à fait le polar qu'il paraît. L'auteur semble chuchoter sous chacune de ses phrases "je n'écris pas ce que j'ai l'air d'écrire !". Pour perceptibles qu'ils soient, ces clins d'œil sont aussi très fugitifs : les scènes les plus attendues du roman policier et/ou du thriller sont là et noires, sanglantes à souhait, mais souvent avec, en coin – comme un sourire – un infime indice textuel qui les nuance de lyrisme, de gouaille ou d'humour macabre.
Tango chinois est une œuvre plus qu'un polar pur jus, même si l'on y retrouve certains des ingrédients obligés du genre. Une œuvre singulière et surprenante à laquelle on a envie d'appliquer la toute dernière phrase du texte censée dépeindre la vie :
"Une histoire de fous pleine de braves gens !"

Citation

La tête béante de la quadragénaire le considérait d'un regard un peu chevalin, mi-clos sous des cils plumeux, avec ce trou au milieu du front, telle une licorne écornée.

Rédacteur: Isabelle Roche mardi 20 avril 2010
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