La Tête de l'Anglaise

Cela promettait d'être encore une longue journée. Chaleur, poussière, cadavres. Réunir un amas de preuves suffisants pour étayer le récit d'une histoire à dormir debout.
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jeudi 28 mars

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Roman - Insolite

La Tête de l'Anglaise

Psychologique - Assassinat - Rural MAJ mercredi 15 mars 2017

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 17,5 €

Pierre D'Ovidio
Paris : Jigal, septembre 2016
232 p. ; 20 x 13 cm
ISBN 979-10-92016-85-7
Coll. "Polar"

Une inexorable plongée en abîme

Il tourne en rond, ne tient pas en place, paraît joyeux. Tout l'après-midi, il a fait allers-retours sur allers-retours, cuisine-grange, grange-cuisine, tenant des propos décousus. Il interpelle Max, lui disant "Elle est belle, hein..." Et pourtant, malgré le raffut, l'aut' dinde, avec son gros cul, ne s'est rendu compte de rien… ou ne voulait pas vraiment savoir.
Sur France Radio bleu, aux informations de vingt et une heures, le reporter relate la disparition d'une retraitée et les recherches interrompues par la nuit. Un homme prévient sa mère qu'il va aider. Il s'apitoie sur le sort de cette pauvre femme. C'est Joël, la cinquantaine bien passée. Il a repris la ferme quand son père a fait un AVC, un père qui l'a terrorisé dès sa plus tendre enfance. Le Criant, ainsi qu'il l'appelle, a toujours hurlé sur ses proches, l'a taloché depuis qu'il a quatre ans. C'est à cet âge qu'est survenue la noyade de son jumeau, Marc. Son père lui en a fait porter la responsabilité et lui a brûlé les pouces sur la fonte de la cuisinière. Les habitants de V. attendent le procès, en parlent, évoquent le Monstre. Pourtant ils pensaient le connaître. Ouvrier d'usine, marié avec Liliane, une fille de la campagne, partie depuis avec leur fils, chasseur, fâché avec sa sœur aînée dont il a tué le fils dans un accident automobile à cause de la boisson. Et puis cette femme, cette Anglaise qui est venue avec Brian, son mari, se présenter en voisins. Ils ont acheté la vieille ferme à deux kilomètres. Elle lui sourit et l'invite à venir voir les travaux.
Pierre D'Ovidio plante son intrigue dans un milieu rural profond, un univers qu'il connaît pour le fréquenter. Il décrit un individu craintif, renfermé, un taiseux presque mutique suite aux coups et brimades subis pendant l'enfance passée sous le joug d'un père autoritaire, un héros de la Résistance, un sous-officier qui veut le dresser.
Sa vie s'est déroulée avec la fondation d'une famille, le parcours social, les désirs, les besoins et la vente du maigre troupeau pour satisfaire des envies, pour briller un peu aux yeux des autres. Puis, les problèmes financiers "Pour lui les fins de mois ont l'allure de quinzaine", la solitude affective. Seul Max, son chien, recueille ses confidences. Et cette femme souriante, qui se montre aimable mais qui "vient l'aguicher jusque dans sa cour, faire la coquette, la sucrée de façon, éhontée...". Le romancier propose un récit où, comme dans les pensées de Joël, tout s'emmêle, s'entrecroise. Il fait le récit du passé récent, du présent, du passé lointain, d'un futur proche, de va-et-vient continuels dans les souvenirs, dans des bribes de conversations avec d'autres personnages. Les réminiscences qui s'entrechoquent, se confondent, se perdent, reviennent différemment. Combien de versions a-t-il vécu, combien en a-t-il à donner ?
Peu à peu le récit s'étoffe avec des allers-retours incessants, des références à des situations prises sur le vif qui apportent quelques indications. Il évoque un présent qui se confond avec une situation rêvée, fantasmée, réelle ? Pierre D'Ovidio fait pénétrer son lecteur dans les méandres de la folie de Joël. On ne sait plus, par moments, si le personnage fantasme, s'il est réellement passé à l'acte ou s'il l'imagine.
Le romancier livre donc un récit non linéaire, découpé en chapitres courts, avec un style haché fait de phrases brèves, nerveuses qui ajoute à la tension de l'intrigue. Il place des réflexions qui sentent bon le terroir mais dont le sens fleurit aussi dans les cités, avec un autre vocable. Il brosse des portraits saisissants, d'une véracité confondante. Ainsi, celui de la mère : "une chose appartenant à son mari qui la déplaçait à sa guise.".
Avec La Tête de l'Anglaise, Pierre D'Ovidio signe, une fois de plus, un roman fort, âpre, dur, un récit au couteau superbement orchestré pour faire ressentir le désarroi intérieur du héros. Il imagine un personnage qui marque profondément avec cette descente aux enfers intérieurs d'un homme ordinaire en proie à une inexorable plongée dans l'abîme, dans son abîme.

Citation

Bref, Joël, brave type que tous connaissait à V., à qui l'on adressait quelques paroles sans poids, sans consistance, pour ainsi dire en l'air. Justement des paroles sur le temps.
Qu'il a fait.
Qu'il va faire.
Qu'il aurait pu faire en fonction de la saison.
Qui, justement, ne se faisait pas.

Rédacteur: Serge Perraud mercredi 08 février 2017
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