Sociologie des élites - De la criminalité en col blanc à la corruption politique

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Essai - Policier

Sociologie des élites - De la criminalité en col blanc à la corruption politique

Économique - Politique - Corruption MAJ lundi 11 janvier 2016

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 29 €

Pierre Lascoumes & Carla Nagels
Paris : Armand Colin, septembre 2014
304 p. ; 24 x 16 cm
ISBN 978-2-200-27484-9
Coll. "U Sociologie"

Haute immoralité des élites françaises...

La délinquance en col blanc : voilà comment on le dit volontiers comme pour en euphémiser la violence. Mais de quoi s'agit-il en fait ? D'une délinquance quotidienne, pérenne, que l'affichage vertueux d'une prétendue indignation morale ne trouble en rien et laisse intacte. Aucune mesure radicale n'a jamais été prise à son encontre, comme le démontre cette étude. Aucune régulation politique n'est à l'ordre du jour, sinon comme effet d'annonce. Les multiples "affaires" (encore un mot bien pudique) n'ont jamais été suivis d'effet : aucune réponse politique n'a jamais été apportée sur ce point. Certes, la réprobation sociale est forte, mais les décisions judiciaires pitoyables. Les personnalités publiques mises en cause ont toujours droit à un traitement de faveur dans quatre-vingt-dix pour cent des dossiers étudiés par nos universitaires, qui se concluent par une amende bien timide la plupart du temps.

Pourquoi ? Pourquoi, malgré une dénonciation forte, la réaction politique demeure-t-elle si faible ? Par manque d'indignation sociale ? De fait, celle-ci est empêchée par un traitement médiatique affadissant la responsabilité des coupables. Il existe ainsi une "illisibilité sociale", que nos auteurs étudient, produite par ce traitement médiatique. D'une part, les élites déviantes demeurent un objet de recherche marginal. Déjà parce que les universitaires font partie de ce même cercle : on n'enquête pas sur ses pairs... Depuis la fin du XIXe siècle, remarquent nos essayistes, l'attention des élites s'est ainsi focalisée sur le danger des masses populaires, leurs pairs, même déviants, n'ayant jamais été considérés par elles comme une menace à l'ordre social. La criminologie naissante a renforcé ce préjugé pour se centrer à son tour sur la "dangerosité" des classes laborieuses. Et, aujourd'hui, hors l'espace anglo-saxon, très peu d'études sont initiées sur cette question dans les milieux universitaires. Quant aux médias, ils cherchent toujours à nous faire croire que cette délinquance se limite à quelques parias, qu'elle est le fait d'une minorité de pourris et non le produit du milieu des élites lui-même. Lesquelles bénéficient d'une présomption de moralité - et d'un pouvoir dissuasif il va sans dire, jamais réellement pris en compte dans l'approche de l'éthique de nos classes cultivées.

C'est que... des gens cultivés ne peuvent qu'être au-dessus de tout soupçon, non ? Même si l'étude révèle que le degré de prise en compte des intérêts des autres groupes sociaux par nos élites est si faible pour ne pas dire nul, qu'on ferait mieux de se méfier d'elles. De très vieux travaux oubliés, ceux de Mills, montraient du reste dès les années 1970 que ce fameux code d'honneur qu'on leur prête n'était jamais en réalité que celui du cercle des intérêts mesquins dans lesquels ils naviguent – et non les valeurs d'une République dont seul importe qu'elle sache défendre leur porte-monnaie et leurs avantages acquis. Mills parlait même à leur propos de "Haute immoralité", ajoutant que cette immoralité était un fait structurel et organisationnel. Depuis, la mondialisation en a accentué les formes les plus néfastes à la société civile, au travers de l'interpénétration des organisations économiques mafieuses et capitalistes ! L'exemple donné est celui de la British Petroleum, transmettant ses dossiers aux escadrons de la mort, en Colombie, pour éliminer les militants écologiques qui s'érigeaient en obstacle. Si bien que l'on peut aujourd'hui parler d'une gangstérisation du Capital, que rien ne semble pouvoir freiner. Certainement pas les déclarations vertueuses de nos politiques, qui laissent par exemple perdurer, en France, un système hallucinant de caste, où la pseudo surveillance des délits financiers est confiée aux élites appartenant au même sérail... Les régulés font partie des instances de régulation !

En outre, l'analyse fine du système de répression des délits financiers dévoile qu'ils relèvent pour l'essentiel d'organismes administratifs et non judiciaires ! Et que de plus, depuis dix ans, on assiste en réalité à la dépénalisation de la vie financière. Les autorités administratives transmettent ainsi désormais à la Justice moins de un pour cent des infractions dont elles ont connaissance ! Et dans la plupart des cas, ces "affaires" se règlent à l'amiable... Mieux : un tiers des contentieux est classé sans suite ! La France est ainsi devenue peu à peu un État de Droit Administratif, au mépris du Droit Judiciaire. Ce dernier étant réservé aux classes populaires... Le pénal pour les pauvres, l'administratif pour les riches. L'État dépense ainsi – question de choix politique -, énormément d'argent pour entretenir un système pénal exclusivement focalisé sur les délits de faible importance. Or, les détournements d'argent sont dommageables socialement : conditions de travail, pollution, manque à gagner de l'État... En enfouissant des déchets toxiques qui vont provoquer des cancers par exemple, on ne s'expose qu'à des réparations civiles négociées au plus juste.

Il faut, en concluent nos chercheurs, élargir de toute urgence le concept de violence aux actes dommageables qui en résultent et déplacer le pénal vers la criminalité des élites, dont nous sommes, tous, réellement, effroyablement, les victimes !

Citation

La France est un État de droit administratif où les privilèges de l'Exécutif s'imposent partout et où la Justice est toujours perçue comme ayant un rôle perturbateur.

Rédacteur: Joël Jégouzo jeudi 19 novembre 2015
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