Les Vrais durs meurent aussi

Ce jour-là, nous avions parlé du fait que les hommes sont en guerre les uns contre les autres depuis la nuit des temps. Certains se battent pour eux-mêmes, pour l'argent, pour ce qu'ils croient être le pouvoir.
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Roman - Policier

Les Vrais durs meurent aussi

Historique - Social - Vengeance - Guerre MAJ mardi 30 juin 2015

Note accordée au livre: 4 sur 5

Poche
Réédition

Tout public

Prix: 9,8 €

Maurice Gouiran
Paris : Jigal, mai 2015
336 p. ; 17 x 11 cm
ISBN 979-10-92016-40-6
Coll. "Polar"

Omniprésence du passé

Une enquête peut s'apparenter à un filet qui se referme progressivement sur un coupable, une forme de cercles concentriques de plus en plus petits qui se dirigent inexorablement vers le cœur de la cible. Dans cette réédition d'un roman de Maurice Gouiran qui date de 2008, lorsqu'un vieil ami interpelle Clovis, le personnage central de l'histoire, c'est parce qu'il a une inquiétude majeur : qui peut bien s'en prendre aux anciens légionnaires aujourd'hui retraités ? Le plus inquiétant, c'est que l'on retrouve des cadavres avec des sévices qui rappellent les pires heures de la guerre d'Algérie. Mais ce qui peut encore plus perturber l'enquêteur, c'est qu'une bonne connaissance, surnommée le Polak, lui aussi légionnaire, a disparu.
Le roman va donc s'ouvrir ainsi sur un focus intéressant, même s'il commence à être connu des curieux, à savoir les exactions en Algérie. L'intrigue se déroule autour de la recherche d'un homme qui a à voir avec la guerre d'Algérie (d'une manière ou une autre, mais que l'on devine meurtri) et qui déciderait de se venger d'une "opération de police" particulière qui aurait eu comme acteurs ces légionnaires. Même si la vérité s'approche, Clovis va mettre au jour un second cercle plus serré car derrière cette histoire (somme toute classique de vengeance intergénérationnelle) d'autres éléments affleurent. C'est l'occasion pour Maurice Gouiran de rappeler des faits historiques qui ont encore leur marque dans le territoire français. Avant l'Algérie, la France s'est battu (en vain) pour conserver une autre miette de son empire en Indochine. Cela donne lieu dans le roman à une émouvante description du quotidien de ces familles indochinoises qui ont suivi leur "soldat français" en Métropole, et ont été parquées dans des camps de regroupement où certaines vivent encore une soixantaine d'années plus tard, dans un état de misère. Avec humour, Maurice Gouiran évoque l'idée que ce qu'ils réclament avant tout ce sont les mêmes droits que les harkis, droits dont on connaît la faiblesse ! Puis l'auteur remonte encore dans le temps en nous obligeant à nous souvenir de choses encore moins glorieuses. En effet, nos légionnaires qui "opérèrent" en Indochine furent parfois les soldats perdus des guerres précédentes, et un certain nombre de vaincus de 1945 entrèrent dans la Légion pour faire disparaître un passé collaborationniste bien encombrant. Cela permet à l'intrigue de rebondir vers une des "légendes urbaines" de notre siècle : le trésor caché des nazis, enterré ou jeté au fonds des lacs autrichiens.
Si les vrais durs meurent, Maurice Gouiran nous montre surtout combien, avant de mourir, ils ont servi diverses politiques, divers camps, sans trop se préoccuper de préjugés moraux (ni que cela ne chagrine la conscience de leurs employeurs successifs). Cela remet dans une juste perspective à la fois l'histoire contemporaine de la France et les débats actuels sur la repentance, peut-être aussi les cris de bonne conscience que nous pouvons avoir sur d'autres guerres actuelles car il n'y a pas le choix : pour faire la guerre, il faut se salir les mains, et autant utiliser des poignes déjà ensanglantées. À côté de cette description noire de la grandeur militaire, Maurice Gouiran en romancier confirmé nous offre des plages plus ensoleillées, et son héros mène son enquête en même temps qu'une vie sentimentale complexe. Si le vrai dur est un macho, Clovis est lui content de partager quelques heures avec une maîtresse qui visiblement a une autre vie ailleurs. Autour de lui, des personnages pittoresques et hauts en couleur,qui utilisent l'eau pour le pastis et non pour se laver, des éclairages sur des gens de peu, contrebalancent avec efficacité l'horreur des crimes commis pour offrir un peu d'oxygène au lecteur.
Servi par une écriture fluide et un style qui sait rendre vivantes les émotions des personnages ou les sensations, Maurice Gouiran évite de s'appesantir sur les différents crimes et même sur les tueurs qui restent en retrait de l'histoire car, au final, c'est quand même l'humanité, une humanité fragile, vacillante mais présente, qui subsiste.

Citation

Lorsque la nuit descend, les rescapés de Sainte-Livrade regardent les eaux vertes du Lot en songeant au Mékong.

Rédacteur: Laurent Greusard lundi 29 juin 2015
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