Numéro Zéro

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Roman - Noir

Numéro Zéro

Mafia - Assassinat - Complot - Artistique MAJ mercredi 03 juin 2015

Note accordée au livre: 3 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 19 €

Umberto Eco
Numero Zero - 2015
Traduit de l'italien par Jean-Noël Schifano
Paris : Grasset, mai 2015
220 p. ; 21 x 14 cm
ISBN 978-2-246-85770-9

Du bidon comme l'un des beaux-arts

Pour quelqu'un – un linguiste, au demeurant – qui s'intéresse à la manipulation, la presse offre un vaste terrain d'exercice. Il n'est donc pas étonnant de voir l'auteur situer son dernier roman dans cet univers. Le livre s'ouvre, le 6 juin 1992, sur... une coupure d'eau et un chapitre rédigé à la première personne par un certain Colonna, qui se présente comme un "perdant" et nous retrace un parcours en effet assez chaotique, mais affirme aussi être détenteur de certains secrets. Il a été engagé par un certain Simei pour rédiger (en tant que "nègre" – oh pardon : on dit maintenant ghost writer, en langage politiquement correct) les mémoires d'un journaliste qui doit concevoir une série de "numéros zéros" d'un journal qui non seulement ne paraîtront jamais, comme tout bon numéro zéro, mais sont en outre parfaitement "bidons", car conçus uniquement pour servir – le cas échant – les intérêts d'un homme public connu, le Commandeur Vimercate (toute ressemblance avec un certain Cavaliere est évidemment fortuite). Voilà donc du "bidon au carré" en quelque sorte, puisque l'auteur autant que le projet sont totalement fictifs, qui offre une bonne base de départ pour une entreprise de démystification comme les aime Umberto Eco. Pendant une quinzaine de chapitres, le livre opère alors un léger retour en arrière sur cette aventure, seuls les deux derniers se situant après le premier. Et c'est l'occasion d'un véritable manuel de journalisme – bidon lui aussi, en ce sens qu'il s'attache à démonter toutes les faussetés (grassement rémunérées, pas comme le vrai journalisme) de ce domaine d'activités, à base de manipulations et de faux-semblants. Malin comme il est et à l'affût du grain de réalité derrière la paille des mots, l'auteur n'a pas de mal à dresser un véritable catalogue des innombrables tics de langage et de l'art de la contrevérité qu'il faut savoir maîtriser pour réussir, dans un tel milieu. Surtout dans le contexte d'inculture actuel où il est facile de faire prendre toutes les vessies pour des lanternes (et surtout, peut-on ajouter, pour un homme aussi cultivé, lui, que l'est l'auteur). Nous apprenons comment rédiger... après coup un journal "d'anticipation", comment exagérer les faits, les charger d'émotion, utiliser les guillemets comme preuve d'objectivité (avec éléments contradictoires, ce n'en sera que plus convaincant), caresser le lecteur dans le sens du poil, pratiquer l'art du démenti et du... démenti de démenti, de la circonlocution, de l'insinuation... Bref comment devenir un "faiseur d'opinion" (ou plutôt : un fabricant d'opinion). Avec sa finesse de plume (bien servie par un traducteur qui n'est pas dupe du langage tel qu'on le pratique aujourd'hui, lui non plus) l'auteur n'a pas de mal à dresser un tableau parfaitement convaincant et divertissant. Les choses se gâtent hélas quand il introduit un personnage du nom de Braggadocio, dont la mission est de démonter une sorte de complot mondial dont la base serait la survie cachée de Mussolini. Car il arrive un moment où l'on ne sait plus trop si l'on est dans la dénonciation du bidon, ou dans le "vrai bidon" - c'est l'inconvénient de la formule et on se perd facilement dans l'histoire de l'Italie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, où le meurtre de Jean-Paul Ier est associé aux attentats extrémistes et aux manipulations politico-financières. Au point que lorsque Braggadocio est assassiné, on se demande si sa mort n'est pas... sinon "bidon", du moins le résultat d'une manipulation. On ne peut qu'être d'accord quand on lit (p. 218) que "le monde est un cauchemar, mon amour". Surtout quand vient d'être évoquée l'hypothèse que la mafia a peut-être infiltré la CIA (voire l'Académie française, dans le pire des cas ?). Mais, même si le plaisir de lecture ne peut qu'être réel quand la plume est maniée par quelqu'un d'aussi spirituel que Umberto Eco, on reste un peu sur sa faim en matière de roman (pas bidon !).

Citation

Nous vivons dans le mensonge et, si tu sais qu'on te ment, tu dois vivre dans le soupçon.

Rédacteur: Philippe Bouquet mardi 02 juin 2015
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