EBEN ou les yeux de la nuit

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Roman - Noir

EBEN ou les yeux de la nuit

Ethnologique - Historique - Guerre MAJ jeudi 19 mars 2015

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

À partir de 12 ans

Prix: 8,3 €

Élise Fontenaille
Rodez : Le Rouergue, janvier 2015
60 p. ; illustrations en noir & blanc ; 21 x 14 cm
ISBN 978-2-8126-0742-4
Coll. "DoAdo"

Bleu à l'âme

Début du XXe siècle, en Namibie. Bien avant leurs exactions en Europe, les scientifiques, soldats et autorités allemandes fourbissent leurs armes dans ce vaste pays désertique jusque-là peuplé par différentes ethnies autochtones. Parmi elles, les Hereros - chasseurs, guerriers, cultivateurs, éleveurs, ils livrent parfois bataille à leurs voisins d'autres tribus mais tous se respectent et aiment leur désert, si beau et si plein de promesses lorsqu'on le connait. Persuadés que la nature et les dieux n'ont que le meilleur à leur offrir, ils accueillent dans un premier temps avec respect les premiers colons allemands, venus leur parler d'un dieu unique et blanc, qui exige de ses ouailles tant de bonté, de charité et d'amour. Pourtant, les colons sont de plus en plus nombreux, et amènent dans leurs bagages l'eau de vie, les fusils, le luxe et la guerre. L'histoire somme toute très banale de la colonisation européenne en Afrique se déroule alors sous les yeux apeurés, effarés et effrayés des Hereros notamment, devenus les cibles de choix des Allemands : exil, vol des terres, viols des femmes, confiscation des biens... Plusieurs dizaines d'années après la décolonisation et ces faits tragiques, Élise Fontenaille - N'Diaye donne la parole à ce peuple martyrisé sous les traits du jeune Eben, héritier bien malgré lui de ce pan d'histoire coloniale. Car Eben est un jeune Namibien qui aime ses amis, orphelin mais très attaché à son oncle qui l'élève et lui enseigne l'histoire de son pays... et son histoire familiale. En effet, si les très beaux yeux bleus de l'adolescent font fureur auprès de ses camarades féminines, ils lui viennent d'une ascendance difficile à assumer : sa grand-mère a été enlevée lorsqu'elle était une toute jeune fille et est devenue la favorite de l'une des figures les plus emblématiques de la terrible mainmise allemande, le général von Trotha. Véritable bête féroce, il est celui qui a orchestré l'un des premiers génocides du XXe siècle et fait exterminer des dizaines de milliers de Hereros, condamnant les quelques survivants à mourir esclaves. C'est de ce monstre qu'Eben tient ses si beaux yeux, et il ne peut se résoudre à l'accepter. Pourtant, son oncle Isaac le lui répète : ce n'est pas aux Namibiens d'avoir honte de cette histoire, mais bien aux allemands, qui pour la plupart ne connaissent pas cette noire période de leur histoire coloniale.
Comme dans Les Trois sœurs et le dictateur (Rouergue, 2014), Élise Fontenaille–N'Diaye entreprend de mettre à la portée des adolescents ces morceaux d'histoire dont on ne sait rien mais qui ont pourtant marqué les populations locales contemporaines. Parce que notre histoire moderne est à appréhender via le prisme de ces héritages également, il est essentiel de s'armer de ces connaissances pour mieux comprendre ce à quoi l'Afrique est aujourd'hui confrontée : problématiques de mixité ethnique, de développement des infrastructures, de mise en valeurs des traditions précoloniales, d'héritages tribaux... La Namibie est un pays, tout comme le jeune Eben, à la recherche de son identité, en proie à une histoire compliquée et traumatisante sur la base de laquelle pourtant elle doit aujourd'hui se construire et regarder vers l'avenir. Les mots d'Élise Fontenaille–N'Diaye ne véhiculent pas de jugements, ni d'accusation, et restent les plus objectifs possibles : le but est véritablement d'exposer des faits à des adolescents qui n'en auraient autrement jamais entendu parler. EBEN ou les yeux de la nuit est un récit dur, empreint de sensibilité et d'amour pour l'Afrique et pour cette Namibie moderne et encore une fois une parfaite illustration du talent de son auteur, qui signe une nouvelle grande réussite.

Citation

Rien n'est plus beau que le désert. Et ça change tout le temps. La joie infinie du peintre, dit Isaac, qui peint, avec des couleurs et des pinceaux ; moi mes tubes de peinture c'est les mots. On peut tout faire, avec des mots il y en a autant qu'on veut – et en plus, c'est gratuit.

Rédacteur: Catherine Thiéry mardi 17 mars 2015
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