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Roman - Noir

Le Pouvoir du chien

Ethnologique - Social - Vengeance - Crépusculaire MAJ jeudi 20 novembre 2014

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Réédition

Tout public

Prix: 19 €

Thomas Savage
The Power of the Dog - 1967
Postface d'Annie Proulx
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre Furlan
Paris : Belfond, novembre 2014
384 p. ; 21 x 14 cm
ISBN 978-2-7144-5780-6
Coll. "Vintage"

Chienne de vie

La collection "Vintage" des éditions Belfond n'en finit pas de nous ressortir de petites perles littéraires. Il y a peu, cela avait été le cas avec Le Bâtard, d'Erskine Caldwell. Ce western crépusculaire de Thomas Savage, écrit en 1967, continue de la tirer vers le haut de la plus belle des manières avec un sujet osé pour son époque : celui de l'homosexualité latente (ou pas) parmi ces hommes de l'Ouest forcément virils.
L'action se déroule en 1924 sur la côte Est, et commence comme un conte de fée, une histoire à l'américaine avec du rêve plein les yeux malgré les efforts à accomplir. Rose épouse un médecin qu'elle a rencontré dans un cinéma où elle accompagne les films au piano. Ils partent s'installer à la campagne. Lui fidélise une clientèle plutôt pauvre, d'autant peu soucieuse de le payer, qu'il n'insiste que très peu. C'est alors que nait Peter. Un enfant qui va faire le bonheur de ses parents, mais qui va aussi en sonner le glas car dans cet univers masculin de grands espaces, tout être un tant soit peu efféminé est traité de "chochotte". Et Peter est très maniéré. Pire : il préfère lire et disséquer les ouvrages de médecine de son père que d'arpenter la terre et affronter le soleil, le froid. Quand le père commence à boire, c'est le début de la déchéance qui l'emmènera à la potence qu'il a lui-même érigée. Il laisse derrière lui une femme qui se remet de plus belle au travail et un enfant qui part étudier la médecine.
C'est le moment choisi par Thomas Savage pour offrir à ses personnages une plage de respiration (qui ne peut durer). Sans le savoir, Rose retrouve le bonheur dans un foyer qui a accentué la chute de son foyer initial. La Vieille Dame et le Vieux Monsieur sont partis profiter d'une retraite bien méritée après avoir laissé ranch et terres à leurs deux fils, George et Phil. Deux quadragénaires qui vivent dans un monde d'hommes où les femmes n'ont pas leur place. Seules sont admises - et encore temporairement - celles dont on prend le sexe et le cul comme ceux des bêtes. Mais George a le malheur de tomber amoureux, de se marier et d'amener le poison dans la demeure familiale bercée par des rituels immuables. Jusqu'à la fin du roman, Phil ne s'adressera frontalement que deux fois à Rose, mais il entamera une destruction psychologique et morale inébranlable. Rose après avoir cherché ses bonnes grâces plongera dans l'alcool - comme feu son mari -, et multipliera les bévues qui feront enrager Phil sous l'œil aveugle de George. L'histoire est alors toute prête à se répéter sauf que Peter un jour débarque, et que Phil a des idées bien précises en tête.
À cette intrigue noire à souhaits sur fond de suspense psychologique, Thomas Savage intègre des éléments troubles. Son roman est un véritable western psychologique qui annonce l'avènement d'un monde moderne et l'acceptation de l'individu. Phil est l'un des derniers représentants des temps anciens qui cache au fond de lui des pulsions homosexuelles, et qui cherche le réconfort en étant droit dans ses bottes et dur au labeur, et encore plus dur en commerce. Il est provocateur sans douter qu'il se met en scène. Mais c'est aussi un être blessé, témoin de la mort brutale du seul être qu'il a pu un jour vénérer. Cette vénération, cette adoration, qui confine à l'amour (avoué ou pas, le roman n'explicitera jamais leur relation ; la postface d'Annie Proulx, auteur de la nouvelle "Brokeback Mountain" est particulièrement bien sentie), il va la retrouver dans Peter à partir du moment où il ouvrira une brèche manipulatrice dans laquelle le garçon s'engouffrera. Mais sous couvert d'amitié, le garçon ne cherche qu'à protéger sa mère selon les derniers souhaits de son père.
Et c'est ainsi que Thomas Savage nous offre un dernier chapitre aussi glaçant qu'implacable, qui vient conclure une intrigue âpre et joliment amenée dans laquelle il a inséré nombre d'éléments autobiographiques. Comme le disent les Américains, c'est un fucking de western littéraire !

Citation

Allez donc comprendre, si ça vous chante, comment George, qui pouvait s'offrir le meilleur cul de la côte Est, avait réussi à s'acoquiner avec une pouffiasse dont le mari s'était suicidé et qui avait un passé de joueuse de piano dans un bastringue.

Rédacteur: Julien Védrenne mercredi 19 novembre 2014
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