Sept yeux de chats

Le capitaine confia la comédienne évanouie à deux de ses collègues. Alors seulement, il remarqua le sang en étoile sur la neige fine. Et au bout de cette éclaboussure écarlate, une cheville couverte d'un bas déroulé, dépassant de jupons retroussés jusqu'au ventre.
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Roman - Policier

Sept yeux de chats

Huis-clos - Pastiche - Enquête littéraire MAJ mardi 03 juin 2014

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 19,5 €

Jae-hoon Choi
Ilkopkaeeui Koyanginun - 2011
Traduit du coréen par Françoise Nagel, Lim Yeong-hee
Arles : Philippe Picquier, février 2014
326 p. ; 21 x 14 cm
ISBN 978-2-8097-0981-0
Coll. "Littérature grand format"

Perdu dans la traduction

Allez raconte, sinon je vais m'endormir. Six personnes, qui ne se connaissent que via un réseau social spécialisé sur les grands criminels du XXe siècle, sont conviées dans un chalet. Ce dernier est vite isolé par une tempête de neige, l'hôte, initiateur de la rencontre est évidemment absent, et suivant toutes bonnes règles du roman policier en vase clos, la nuit passant, un premier invité est retrouvé mort. Les suspicions affluent. L'assassin est peut-être l'un d'eux, alors on ligote le plus suspect que l'on retrouvera étranglé à la nouvelle aube. On s'épie, on décide de ne plus dormir, mais comment appréhender le temps qui passe, les cernes naissants et surtout la nuit prochaine ? On se raconte une histoire. Allez raconte, sinon je vais m'endormir.

M est traducteur de romans policiers. Il a la délicieuse manie d'apporter de légères et invisibles modifications aux romans sur lesquels il travaille. Cambrioleur littéraire, M substitue un élément anodin de l'histoire originale, pour le remplacer par un nouveau de sa propre création. Un rideau vert dans la version originale devient violet dans la nouvelle. Un poster d'une œuvre de Klimt est remplacé par un de Munch. Un personnage ne boit plus du café, mais du thé au lait... Des métamorphoses qui, il le sait, resteront invisibles aux yeux de l'éditeur et du lecteur. Jusqu'au jour où la tentation de faire disparaître dans la traduction l'un des protagonistes, sera plus forte. Un peu comme Haru, un autre artiste de la cambriole. Lui ne vole qu'un objet seul et sans valeur dans les demeures qu'il visite, remplaçant ce dernier par un autre pris ailleurs. Son but ? Créer un souvenir qui n'existait pas dans l'esprit de la victime lorsqu'elle tombera dessus. Une madeleine de Proust de fiction.

Sept yeux de chats fascine. Les criminels sont ici écrivains et travestissent la réalité de leurs histoires et de leurs personnages. Mais n'est ce pas le propre du littérateur ? Si ce n'était ce revers de la médaille : les malfaiteurs du langage sont peut-être eux-mêmes issus d'altérations sous une troisième main créatrice. Pour en être sûr, par esprit de traduction ou écrit de contestation, il faudra poser la question au traducteur lui-même... Mais M à une petite amie, Artémis. Et un soir elle décide de lui raconter une histoire qu'elle arrêtera à l'aube et dont elle ne contera la suite que le nouveau soir venu. Gardant M en éveil et de nuits blanches en mille et une nuits, M écoutera. Dans l'intervalle, il travaille sur un nouveau roman : six personnes dans un chalet coincé par la neige. Cela le changera de la traduction du précédent roman, Sept yeux de chats... Artémis, dans la mythologie grecque, est la divinité des frontières, là où les limites sont incertaines, entre terre et mer. Tel ce récit révélé sous le sable, indistinct, dont les personnages irrésolus attendent un guide, un lecteur.

Abysses littéraires, Sept yeux de chats nous plonge souvent dans un état de grâce. Allégorie de l'écriture dans laquelle Choi Jae-hoon, le romancier, prend un vertigineux plaisir à interroger la question de la place du traducteur, et de ses droits dans la transmission d'un langage, dans l'adaptation d'une œuvre, d'une culture à une autre. Ce pont qu'est le traducteur, caché dans le clair-obscur du dramaturge, lui-même silhouette de son œuvre, est en lutte ici pour son indépendance, traduisant une certaine guerre de l'appropriation. Ce besoin de sentir ou d'en avoir la chimère, que l'œuvre nouvellement née, est dès lors, sa propre création. Traduire le travail effroyable de l'écrivain marchant au travers des miroirs de son œuvre, tel est l'un des sédiments qui modèle Sept yeux de chats. La plage que les eaux aux fils des pages découvrent en se retirant, sera différente à chaque marée autant que ce récit sera neuf à chacun de ses chapitres. Et l'on pourra presque le souhaiter, de ses traductions.

Ouvrage foisonnant et kafkaïen dont les chapitres se défigurent les uns les autres, faisant toujours voler en éclats ce que nous avons lu et digéré, Sept yeux de chats est à la fois un bijou sur la forme et passionnant sur le fond. S'il multiplie les strates et les références, il ne souffre pas du piège de la citation et n'ayant point besoin de réveiller les morts, se suffit à lui-même. M, dans l'ouvrage, cherche à enfanter le roman policier parfait, c'est ce à quoi, Choi Jae-hoon s'est attelé en créant un objet protéiforme et vertigineux.
Couronné par le prix littéraire du quotidien Hanguk Ilbo en 2012, Sept Yeux de chats est une expérience littéraire que l'on n'est pas près d'oublier.

Citation

Mais Combien de temps doit-on errer dans un labyrinthe avant de découvrir qu'il est sans issue ?

Rédacteur: Kristophe Noël lundi 02 juin 2014
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