Tequila frappée

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mercredi 24 avril

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Roman - Noir

Tequila frappée

Fantastique - Humoristique - Tueur en série MAJ lundi 04 mai 2009

Note accordée au livre: 0 sur 5

Grand format
Inédit

Public averti

Prix: 18,5 €

Nadine Monfils
Paris : Belfond, mars 2009
228 p. ; 23 x 14 cm
ISBN 978-2-7144-4533-9
Coll. "Littérature française"

Boîte noire...

Tequila frappée signe ma toute première incursion dans l'œuvre de Nadine Monfils ; je sors de cette lecture indécise, ne sachant si je m'engoue ou si je m'englue, si j'adhère ou rejette… Pour avoir glané sur la Toile quelques informations sur l'auteur, j'ai pu mesurer la diversité des sphères dans lesquelles elle a évolué et créé – je comprends mieux l'aspect chimérique de ce roman qui manifestement porte les empreintes conjointes de tous ces moments de vie, et d'où vient le foisonnement d'allusions cinématographiques, télévisuelles et littéraires. Je comprends aussi pourquoi il m'est demeuré si insaisissable. L'univers qui s'y déploie est si singulier, et l'écriture si particulière qu'il m'est impossible de lui attribuer une note comme le voudrait l'usage en vigueur sur k-libre. Car toute notation suppose que l'on réagisse par rapport à une base de données personnelle et, en matière de polar atypico-humoristico-poétique, je manque cruellement de références.

Ce roman est de ceux dont il faut d'abord apprivoiser le style, la "couleur", le climat… avant de véritablement suivre l'histoire et s'attacher aux personnages. Peut-être vaut-il mieux cependant voir tout de suite ce qui se passe à Pandore...
Pandore, donc, est une petite ville (imaginaire) aux coutumes pleines de poésie : le maire a instauré une "fête annuelle des rêves" à l'occasion de laquelle des hélicoptères lâchent dans le ciel des pétales de rose de toutes les couleurs, et les rues sont arpentées, à la nuit tombante, par des marchands offrant rêve ou chance à qui leur effleure le bras – étranges créatures silencieuses que l'on dirait droit sorties des tableaux de Magritte avec leur costume et leur chapeau boule. La tranquillité ambiante est brutalement déchirée par une explosion qui pulvérise la maison d'Alice et de Luc Doms, tuant sur le coup l'aimable voisin qui venait d'aider Alice à porter ses provisions jusqu'à sa porte. L'inspecteur Lynch et son adjoint Barn sont chargés de l'affaire. Il semble bien que ce ne soit pas un accident… pas de quoi mander la profileuse Nicki, mais celle-ci s'en mêle quand même. Les deux policiers flairent quelques pistes ici et là – un voisin mateur et toxico, un cousin de Luc Doms convoitant la collection de netsuke que son père a léguée à son neveu… – sans parvenir à orienter efficacement leurs investigations. Mais, tandis que Lynch et Barn se débattent chacun dans leurs difficultés domestiques, les cadavres commencent à tomber, aussi dru que les pétales de rose lors de la "fête des rêves"…

Pas plus que ses mots Nadine Monfils ne mâche ses cadavres ni les états plus ou moins répugnants dans lesquels ils sont retrouvés. Cette putrescence, associée à quelques troubles psycho-pathologiques des plus tordus, produit au contact de la poésie magritienne qui imprègne le roman – l'ombre de René Magritte est toujours là, depuis la phrase citée en exergue jusqu'au nom de la ville (voyez son tableau La Boîte de Pandore et vous comprendrez ses liens avec Tequila frappée) en passant par les marchands silencieux – une réaction littéraire des plus déroutantes. Et ce ne serait rien encore s'il n'y avait ces éclats d'humour détonants que sont la petite chienne amateur de tequila qui se met à sourire une fois bu le verre que lui a amoureusement préparé son maître l'inspecteur Lynch, la mère ultrapossessive et le chat caractériel de l'adjoint Barn… à quoi s'ajoutent images et comparaisons des plus pimentées – en d'autres termes un habile dosage de comique "de texte" et "de situation".

Pour improbable qu'il soit, ce mélange des genres ne manque pas de charme. Plus gênant est en revanche le style, manifestement orienté vers un relâchement imitant le registre oral et familier, voire vulgaire – élisions, mots tronqués, termes argotiques – mais qui s'infléchit insidieusement vers l'orthodoxie syntaxique sans que rien dans la narration le justifie. Si le langage fruste et gouailleur déborde à bon escient des dialogues parce que le récit fonctionne en focalisation interne, il arrive aussi qu'un personnage se mette, contre toute attente, à "causer droit" tandis que le narrateur anonyme va, lui, estimer baisable une femme et raccourcir les formes négatives aussi sûrement qu'une tronçonneuse étête les haies… on a un peu le sentiment que l'auteur a eu du mal à tenir ses choix stylistiques et à maintenir son écriture "littérairement relâchée" partout où il l'aurait fallu. D'où cette vague impression que le style est insuffisamment poli dans son relâchement et que l'écriture n'est pas tout à fait aboutie.
Mais un peu partout dans le texte essaiment de petits bijoux qui illuminent l'œil longtemps après que l'on a refermé le livre : la chienne alcoolique qui pue du bec au point de faire rougir un munster oublié sur une plage. Ou ceci : De toute façon, un paradis sans alcool est comme un chien sans couilles. Aucun intérêt. Et puis encore : Le martyr poussa un soupir de charrette à bras....
De plus, la construction est irréprochable : les chapitres brefs impriment à la narration un rythme soutenu et, toujours bouclés sur des chutes serrées, ils s'agencent de manière à entretenir un suspense optimal.

Je n'ai donc pas lu le roman de bout en bout par seule conscience professionnelle : je lui ai trouvé des appas qui ont suffit à me tenir attachée au récit jusqu'à son terme. Comme quoi il ne faut jamais refuser une expérience de lecture même si le texte est, a priori, très éloigné de ses habituelles dilections.

Nominations :
Prix du Meilleur polar francophone 2009

Citation

L'inspecteur était tranquille avec lui-même depuis qu'il avait accepté sa nature : il aimait l'alcool, les pétards et les putes. Tout est là. Dans l'acceptation de ce qu'on est.

Rédacteur: Isabelle Roche dimanche 03 mai 2009
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