Sang noir : 1906, la catastrophe de Courrières

À quelques yards en retrait, Whitechapel entassait la misère des masses humaines qui servaient de carburant à cette agitation. Des êtres indistinctement gris, coiffés de casquettes à visière, semblaient errer dans ce quartier grouillant, en proie à une mystérieuse activité.
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Bande dessinée - Noir

Sang noir : 1906, la catastrophe de Courrières

Social MAJ lundi 25 mars 2013

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 20 €

Jean-Luc Loyer (scénario & dessin)
Paris : Futuropolis, mars 2013
128 p. ; illustrations en couleur ; 28 x 20 cm
ISBN 978-2-7548-0611-4

Les enfants d'Hadès

Le 10 mars 1906 eut lieu en France la plus grande tragédie minière de tous les temps. 1099 personnes - les plus jeunes âgés d'à peine douze ans - périssent lors de la catastrophe de Courrières. Jean-Luc Loyer dresse le constat impitoyable de l'avidité d'un capitalisme aveugle au détriment d'une population qui, de toute façon, si elle ne meurt pas d'épuisement ou d'un coup de grisou au fond d'une mine, sera terrassée par l'ankylostomiase ou la silicose, autant de maladies connues mais négligées à l'instar du mésothéliome et de l'asbestose qui touchent au même moment les mineurs et les ouvriers de l'amiante.

Avant de réaliser une éblouissante bande dessinée monochrome où les cases sont des instantanés témoins d'une époque avec le langage des miniers du Nord, Jean-Luc Loyer s'est longuement documenté. Il a pris le temps de digérer les informations et ainsi de les distiller parfois subtilement, d'autres fois de les imposer - comme ces quatre pages qui listent par fosse et par ordre alphabétique toutes les victimes (avec leur âge entre parenthèses) pour mieux prendre la dimension de ce drame. Des fosses qui, on l'imagine, ont marqué son enfance lui qui est né dans cette ville d'Hénin-Beaumont - à l'époque Hénin-Lietard. L'intrigue est une histoire à la Zola - qui se promène justement dans les rues pour trouver de la matière à Germinal. Jean-Luc Loyer nous propose de suivre les premiers pas du petit Pruvost, un Galibot, qui échappera au sort qui touchera 242 des siens. Il prendra la trouille au ventre pour la première fois la cage, cet ascenseur qui emmène à vitesse grand V au fin fond des entrailles de la terre, là où les chevaux qui font le travail de cinq mineurs, qui tirent douze wagons - pas un de moins, pas un de plus -, deviennent aveugles. Jean-Luc Loyer réussit le pari de nous faire arpenter les galeries des mines mais aussi les galerie d'un misée d'époque. Il multiplie les anecdotes, parle de la France de 1906, nous montre l'équipement du mineur, les us et coutumes d'un métier sans repos où l'on rentre fourbu chez soi et où le réveil sonne à quatre heures le matin suivant.

Le drame fera les choux gras de la rivalité entre Jean Jaurès et Georges Clemenceau qui s'apostropheront par tribune interposée. Il sera surtout suivi de très près par une presse ultra-présente pour la première fois - vous pourrez d'ailleurs lire l'article de ce même Jean Jaurès en Une de l'Humanité présent dans la bande dessinée. Enfin, il sera à l'origine de grèves importantes avec l'arrivée en renfort en appui des gendarmes de vingt mille soldats pour des avancées sociales mineures même si les mineurs, eux, auront le droit à un jour de congé par semaine ! Mais, peut-être, pour dire à quel point l'importance reste aux mots, cette tragédie sera à l'origine du mot "rescapé", un mot a priori à l'origine picarde relayé par la presse.

Passé quarante pages à raconter la vie de l'époque dans et hors la mine, Jean-Luc Loyer nous plonge dans l'horreur cataclysmique - des cadavres à profusion, des morts aux origines diverses recensées cliniquement et mis en valeur par un découpage tout aussi chirurgical de ses planches - avant de s'intéresser justement à ces "escapés". Treize hommes qui referont surface dix-neuf jours après, suivis deux jours plus tard d'un autre, et qui alimenteront à leur corps défendant la vindicte populaire contre la compagnie accusée de ne pas avoir approfondi les recherches et d'avoir voulu remettre en route le plus vite possible les mines de Courrières car alors la France a besoin d'énergie. Mais cette "sommation de justice sociale" réclamée par Jean Jaurès restera vaine. Un procès contre les dirigeants de la mine, qui avaient insisté pour que les mineurs descendent au fond de la mine malgré la présence dangereuse d'un feu, aboutira à un non lieu.

L'histoire du grand patronat et de l'ouvrier se résume à cette citation de l'anarchiste-libertaire-syndicaliste Benoit Broutchoux : "Pour les patrons la fortune et aux mineurs la fosse commune !" Une maxime scrupuleusement respectée. Une maxime que l'on sait gré à Jean-Luc Loyer de l'avoir insérée dans ce témoignage émouvant d'une époque malheureusement pas révolue, celle du drame social, de la boucherie organisé d'hommes en col blanc sûr de rester impuni. Une bande dessinée pour se souvenir, révélatrice artistique d'un crime social, l'un des pires de l'humanité.

Illustration intérieure


Citation

Pour les patrons la fortune et aux mineurs la fosse commune !

Rédacteur: Julien Védrenne samedi 23 mars 2013
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