Penser la violence des femmes

S'il courait encore, il ne pourrait pas comprendre les prières des témoins aux alentours. Les remarques du ciel, des feuilles, des écorces, des petites bêtes immortelles, des pierres, des morceaux de bois, des nuages. Des murmures incessants qui lui font regretter d'avoir parcouru d'autres territoires.
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vendredi 29 mars

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Essai - Policier

Penser la violence des femmes

Politique - Historique - Social - Enquête littéraire MAJ lundi 19 novembre 2012

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 32 €

Coline Cardi & Geneviève Pruvost
Paris : La Découverte, août 2012
442 p. ; 24 x 15 cm
ISBN 978-2-7071-7296-9
Coll. "Sciences humaines et sociales"

L’Ordre social est une économie de la menace

Inimaginable : le sujet n'a jamais vraiment été traité ! On ne dénombre de fait que quelques études tombées dans l'oubli, ou le déni ! Historiens, sociologues, anthropologues, ethnologues, criminologues, se sont réunis ici pour multiplier les approches autour d'un phénomène qui demeure un tabou. Et la première question qui se pose à l'évidence à la lecture d'une telle somme, est bien de savoir pourquoi nos sociétés se montrent incapables de penser la violence des femmes. Réponse non moins évidente : parce qu'elles s'y refusent. La violence des femmes transgressant par trop les schémas reçus, la place des femmes violentes dans la société reste intenable. Et lorsqu'on y regarde de plus près, ce que l'on découvre c'est le poids des préjugés sexistes qui fomentent un prisme puissant, destiné à véhiculer tous les stéréotypes en usage sur la féminité quand il s'agit de violence féminine : cette violence est toujours placée sous le sceau de l'irrationalité, quand ce n'est pas de l'hystérie !

De ce point de vue, l'approche des historiens est particulièrement éclairante. On s'étonne par exemple aujourd'hui de voir surgir des bandes de filles, quand dans les années 1940 fleurissait la même stupéfaction affichée à la une des journaux à sensation aux États-Unis... Il s'agissait alors de susciter une panique morale face aux conséquences de l'émancipation des femmes dans la société américaine. De même les tabloïds s'interrogent-ils régulièrement sur la présence de femmes dans des métiers réputés masculins, comme l'armée ou la police. C'est oublier que ce n'est qu'en 1793 que les femmes ont été démobilisées en France, et que leurs rôles en tant qu'émeutières lors de la Révolution française a été particulièrement important...

Quel que soit le champ à travers lequel cette exposition des femmes à la violence est envisagée, on retrouve ce filtre sexiste qui fausse les études sur la question. En particulier dans le champ du crime, où systématiquement les faits de violence féminine sont requalifiés, les femmes bénéficiant d'un traitement plus social que les hommes dans l'espace judiciaire ou policier. La population féminine ne représente que quatre pour cent de la population carcérale en France. Mais les observations d'audience montrent que les juges préfèrent trouver une autre solution que la prison quand il s'agit de femmes... S'agit-il de violence politique ? Les archives de la police révèlent que l'appareil policier, en pareille situation, est à la recherche de comploteurs... masculins !

L'école est exemplaire de ce point de vue : l'analyse systématique des registres de conseils de disciplines des établissements français prouve que le système éducatif français est plus prompt à sanctionner sévèrement les garçons que les filles... Dans le sport, le même phénomène s'observe, comme dans le foot féminin où les archives des instances sportives révèlent que les arbitres sifflent préventivement, davantage que dans le foot masculin... Partout des mécanismes sociaux destinés à prévenir cette violence féminine sont ainsi mis en place. Et le plus étrange, c'est que cette construction sociale de la non-violence des femmes aura surtout été le fait des mouvements féministes des années 1970, qui n'ont cessé de penser la femme à l'intérieur du couple domination/oppression masculine, pour faire de la femme une victime de la violence des hommes et de la société, et faire de la violence un attribut exclusivement patriarcal.

Certes, ce discours militant n'aura fait que reproduire de très anciens préjugés, périodiquement reconduits aux moments clés des grands tournants de société. Ainsi des discours des criminalistes du XIXe siècle, dont l'objet était surtout de produire un idéal normatif de ce que devait être une femme. Ces discours ont ainsi construit la violence féminine comme une déviance, une pathologie qui était l'expression d'une nature mal domptée. La criminelle née était une infirme, dépourvue d'instinct maternel. Dans le passage à l'acte criminel on mettait alors l'accent sur l'irruption intempestive de cette nature indomptée, irruption qui pouvait à tout moment se manifester dans la vie des femmes au moment de la puberté, dans les périodes de menstruation ou de ménopause ! Jusque dans les années 1970, le caractère hormonal et sexuel de la délinquance féminine fut mis en avant ! L'irruption de la violence dans le cadre d'une trajectoire de femme était le signe d'une nature hormonale déréglée, qu'il fallait soigner... Du coup, le traitement, plutôt que judiciaire, devait être gynécologique et endocrinal...

De fait, aujourd'hui encore, la délinquance des femmes est davantage psychiatrisée que celle des hommes. Le social des femmes demeure de la sorte largement dominé par le facteur biologique, et la société se rassure en certifiant qu'il faut davantage soumettre le corps des filles au contrôle social...

NdR - Penser la violence des femmes sous la direction de Coline cardi et Geneviève Pruvost. Ont collaboré : Arlette Farge, Dominique Godineau, Nicole Dufournaud, Clara Chevalier, Jean-Clément Martin, Quentin Deluermoz, Sonia Dayan-Herzbrun, Camille Boutron, Maritza, Felices-luna, Violaine Baraduc, Marie-Elisabeth Handman, Marie-Josèphe Bonnet, Jean-Raphaël Bourge, Vanessa Watemez, Nehara Feldman, Clotilde Lebas, Dominique Duprez, Colette Parent, Martine Kaluszynski, David Niget, Maxime Lelièvre, Thomas Léonard, Jane Freedman, Éric Fassin, Guillaume Mazeau, Fanny Bugnon, Dominique Lagorgette, Raphaëlle Guidée, François-Xavier Molia& Rose-Marie Lagrave.

Citation

Si les femmes violentes ne sont pas en prison, alors, où sont-elles ?

Rédacteur: Joël Jégouzo lundi 12 novembre 2012
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