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Inédit
Public averti
Traduit de l'espagnol par Adrien Bagarry
Paris : Asphalte, septembre 2012
256 p. ; 20 x 15 cm
ISBN 978-2-918767-24-4
Coll. "Fictions"
Si j'avais un marteau
Dans la famille Dalmau, je demande le frère. Mauvaise pioche. Dans la famille Dalmau, je demande l'autre frère. Mauvaise pioche. C'est vrai qu'ils n'ont pas grand-chose pour eux, Epi et Alex. Disons plutôt que le premier a la chance d'avoir le second et que le second se traîne le premier comme un boulet. L'un comme l'autre souffrent de graves problèmes psychologiques que l'absorption de drogue n'explique pas complètement. Quand l'un perd la tête, l'autre se met à parler à un lépreux qu'il est persuadé de voir en plein Barcelone. Et le Barcelone de Soudain trop tard n'a pas grand-chose à voir avec celui de L'Auberge espagnole de Klapisch. On est plutôt dans une cour des miracles : "dans le voisinage il ne restait plus que des tarés, des pauvres, des junkies, des ivrognes et des vieillards". Et bien qu'ils ne soient pas encore des vieillards, les frères Dalmau réussissent la prouesse de réunir toutes les autres qualités.
L'histoire se déroule sur une journée qui, comme un joli symbole, débute dans les toilettes d'un bar. Epi se précipite sur Tanveer, son ami, pour lui fracasser le crâne à coup de marteau. Le décor et le marteau sont plantés, on sent le jeune homme un peu sensible, un peu à fleur de peau, on se doute qu'il a quelques soucis. Alex, toujours prêt à aider son frère, décide de faire porter le chapeau à un Pakistanais qui a eu la mauvaise idée de passer par là. Sauf qu'Epi est incontrôlable, que leurs téléphones portables ne fonctionnent jamais, que la rumeur a d'autres avis sur le meurtre, qu'il y a tout de même des flics qui sont payés pour régler l'affaire (même s'ils ne débordent pas d'enthousiasme à l'idée de s'occuper d'un règlement de compte dans ce quartier). Une journée où la fraternité, la folie et l'amour explosent à tout bout de champ. Eh oui, l'amour. Parce que ce que l'on comprend assez rapidement, c'est que le principal souci d'Epi n'est pas la misère, l'absence de son père, la mort de sa mère, mais l'amour que lui a volé Tanveer. Le meurtre de ce dernier est la plus belle preuve d'amour qu'Epi pense pouvoir donner à Tiffany, la jeune femme qu'il aime et qui a le mauvais goût de coucher avec son ami. Tanveer, d'ailleurs, parlons-en. L'amant de Tifany, donc, mais également accro aux prostituées (moches de préférence) qu'il prend un malin plaisir à tabasser à l'arrière de sa fourgonnette, alors forcément, on a du mal à compatir pleinement.
Tiffany, Tanveer, Jamilia, Epi, Alex, Maître Malick, une géniale galerie de personnages, tous boiteux, tous avec leur clou rouillé planté quelque part, tous cherchant à survivre, les yeux hallucinés, sans trop d'espoir. On est dans le sordide et on craint le sinistre, on se demande jusqu'où va aller Zanon, s'il ne va pas franchir la ligne du mauvais goût. Mais il maintient le cap, faisant convulsionner le quartier tout au long des deux cent trente pages que dure le roman. Un début fracassant et une fin tout en tension, un roman que l'on se prend en plein visage et en plein cœur. Le marteau a visé juste. Très juste.
Citation
Peut-être a-t-il vraiment tué Tanveer. Les gens, parfois, font de drôles de choses.