L'Anneau de Moebius

Le premier geste de Samira, au moment où elle pénètre dans ce temple de l'instruction gaspillée comme perles aux cochons, est de dégrafer le voile sous son menton et de l'enlever avec ce soulagement qui évoque celui de l'innocent à qui l'on ôte les menottes.
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jeudi 28 mars

Contenu

Roman - Thriller

L'Anneau de Moebius

Fantastique - Tueur en série - Médical MAJ samedi 31 décembre 2011

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Public averti

Prix: 22,5 €

Voir plus d'infos sur le site polarmag.fr (nouvelle fenêtre)

Franck Thilliez
Paris : Le Passage, octobre 2008
544 p. ; 24 x 15 cm
ISBN 978-2-84742-122-4

Actualités

Double paradigme à un seul bord

Premières pages : virée infernale d'entrée de jeu – vertiges, visions morbides, frayeur. C'est l'étourdissement. Puis, virage à 180 degrés : l'on est chez Vic Marchal, jeune flic arrivé d'Avignon avec son épouse Céline, bientôt mère. Tranquille foyer au petit matin ? Que non : le commandant Mortier appelle sa nouvelle recrue sur une scène de crime – une atrocité : une jeune femme a été tuée après avoir été longuement torturée puis mutilée. Bienvenue à la Brigade ! Deux foyers narratifs : d'un côté Stéphane Kismet, créateur de mannequins et de prothèses pour le cinéma d'horreur, en proie à d'atroces cauchemars qu'il sait être prémonitoires. Mais il ne parvient à convaincre personne qu'il n'est pas fou. De l'autre, Vic Marchal, diplômé en psychologie, qui fait son baptême à la brigade criminelle avec ce crime particulièrement atroce. Ces deux foyers narratifs vont très vite se rencontrer en une intrigue torse et tragique au sens antique du terme puisque son enjeu est rien moins que la confrontation au Destin.
L'enquête sur laquelle travaille Vic Marchal l'amène vers la sombre communauté des devotees : la victime était acrotomophile. Et Stéphane est, lui aussi, entraîné vers cette affaire par le truchement de ses cauchemars : de ses accès oniriques lui restent, entre autres visions incompréhensibles, l'image d'un ticket d'entrée au musée Dupuytren, et celle d'un hôtel de passe réservé aux devotees, Les Trois Parques. Vic Marchal entre dans ses rêves… Des liens de plus en plus étroits vont peu à peu se nouer entre les deux hommes : Vic est en effet le seul qui accepte, après maintes réticences, de croire en la valeur prémonitoire des rêves de Stéphane. Mieux : il s'efforce de l'aider à modifier le Destin. Pendant que Stéphane, par tous les moyens, s'efforce d'être le messager entre Stépas – son "moi" passé – et Stéfur – son "moi" futur – Vic lutte pour ne pas démissionner et poursuivre l'enquête criminelle sans perdre sa femme.

Complexe à souhait, la construction de ce roman exige du lecteur une attention soutenue : pour ne pas s'y perdre entre rêves et réalité, entre supputations et événements avérés, entre passé, présent et futur, il faut ne jamais perdre de vue, ainsi que le recommande l'auteur en préambule, les indications qui figurent au début de chaque chapitre – jour et heure. Pour y aider, de petits schémas circulaires viennent doubler ces informations et permettent de situer les uns par rapport aux autres chacun des moments du récit. Mais la partie n'est pas gagnée d'avance et la vigilance doit toujours être en éveil.

Après avoir lu quatre de ses romans, il me devient évident, au vu des motifs récurrents qui se répondent les uns les autres en de multiples variations, que Franck Thilliez aime, du moins pour ce qui regarde la matière de ses fictions, les psychopathes, les étrangetés scientifiques, et les créateurs de chimères – ici un artiste du latex qui sculpte des masques et des prothèses pour le cinéma, un écrivain dans La Forêt des ombres. "Chimère" est employé à dessein : les lecteurs de La Mémoire fantôme comprendront, qui songeront probablement à la chimérique Lucie lorsqu'ils verront apparaître Darkness.

Plus qu'ailleurs peut-être dans cet Anneau de Moebius il développe, et avec quelle ampleur, deux paradigmes, distincts mais si étroitement complémentaires qu'ils finissent, in fine, par se confondre, l'un comme conséquence de l'autre : la souffrance, et la monstruosité. Deux paradigmes dont il doit être difficile de trouver déploiement plus complet : la souffrance est déclinée sous toutes ses formes, depuis la plus anodine – par exemple une migraine après une surconsommation d'alcool – jusqu'à son comble, celle qu'occasionne l'impossibilité pathologique d'éprouver physiquement la douleur et qui devient, par son intensité, le point origine d'une perversion mentale ayant pour conséquence d'infliger à autrui d'abominables souffrances. Quant à la monstruosité, elle est aussi déclinée en une multitude de variations – mentale et physiologique (réelle au musée Dupuytren ou aux Trois Parques, factice dans l'atelier de Stéphane Kismet), jusqu'aux lieux – bien sûr la répugnante usine d'équarissage mais aussi ces demeures immenses et imprégnées de morbidité que sont la maison achetée par les Kismet, truffée de sous-sols labyrinthiques, et le refuge du richissime Noël Siriel. Et les propos théoriques de Jacky Duval, qui mettent à si rude épreuve l'entendement du lecteur moyen, n'ont-ils pas quelque apparence monstrueuse ? Enfin, l'on peut même se laisser aller à dire que le roman est en soi une monstruosité narrative par sa complexité structurelle et la manière dont il joue de la malléabilité du concept "temps".

En fait de figure à un seul bord, L'Anneau de Moebius comporte donc deux rives, souffrance et monstruosité, certes appelées à se confondre en un unique abîme : celui de ce roman qu'il faut aborder avec une attention soutenue et ne souffrant (!) aucun relâchement. L'enquête criminelle en elle-même est conduite de façon fort classique, mais l'on réalise assez vite que l'enjeu véritable du roman réside ailleurs : dans cette lutte acharnée qu'opposent Stéphane et Vic au destin qui, lui, se joue d'eux en se laissant entrevoir avant de se soustraire à leurs entreprises.
Le polar croise ici le roman fantastique. Il en résulte un hybride prenant, truffé de clins d'œil et de références, rehaussé d'humour et redoutablement efficace d'un point de vue romanesque, que l'on ne pourra s'empêcher de trouver décevant par son dénouement, un peu hâtif et où l'on croit déceler quelques facilités tenant de la pirouette.


On en parle : Le Magazine littéraire - Hors-série n°17

Récompenses :
Prix des Limbes pourpres 2009

Nominations :
Prix du Meilleur polar francophone 2009
Prix des Limbes pourpres 2009
La Plume de cristal 2009

Citation

Selon Wang, le métier de flic revenait à brasser des tripes et des questions.

Rédacteur: Isabelle Roche samedi 10 janvier 2009
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