L'Amour criminel

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jeudi 28 mars

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Mémoires - Policier

L'Amour criminel

Énigme MAJ vendredi 12 novembre 2010

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Réédition

Public connaisseur

Prix: 14,9 €

Marie-François Goron
Préface de Jean-Marc Berlière
Bruxelles : André Versaille, février 2010
254 p. ; illustrations en noir & blanc ; 22 x 13 cm
Coll. "Redécouvertes"

Sauvez les pierreuses des barrières !

La belle époque de la police.
La nouvelle trouvaille passionnante chez l'éditeur belge André Versaille dans sa collection "Redécouvertes" est une partie des Mémoires de Marie-François Goron (1847-1933), chef de la Sûreté de Paris à la Belle Époque (de 1887 à 1894) intitulée L'Amour criminel. Comme quoi, il y a de bonnes pêches à faire dans les textes tombés dans le domaine public. Son "redécouvreur", auteur de la très compétente préface bourrée de photos et de notes, ce qui constitue une sorte de tour de force en si peu de pages, est Jean-Marie Berlière, chercheur au CESDIP (CNRS/Ministère de la Justice), qui collabore en outre à l'indispensable site criminocorpus et a écrit de très nombreux ouvrages sur l'histoire de la police. Il nous donne une magnifique introduction bio et bibliographique de M. Goron qui escalada en très peu d'années tous les échelons de l'administration avant de décrocher le poste suprême de "chef de la Sureté".
Jean-Marc Berlière insiste sur le fait que les nouvelles orientations préfectorales de 1832 stipulent que les chefs de la Sûreté ne doivent plus avoir de casier judiciaire. C'est la fin d'une époque, où, dans l'imaginaire du peuple, il fallait être issu du crime pour savoir le combattre. Vidocq et ses armées de repris de justice sont mis au rancard. Place au fonctionnaire zélé et intègre.

La place du people.
Á travers le parcours de Marie-François Goron, c'est toute une époque qui défile sous nos yeux. Celle où la police fait des progrès immenses tandis que la presse devient de plus en plus puissante. M. Goron n'est pas avare de confidence à cette presse. Aux dires de certains, il se montre même très vantard auprès d'elle et indiscret quant à ses affaires en cours. Mais M. Goron, est bien conscient de la force de frappe des journaux qui parviennent à publier des comptes rendus fidèles avant même que les rapports échoient sur le bureau du juge d'instruction. Il faut jouer avec la presse et, par là-même, provoquer des confidences et des témoignages. Pour lui, c'est un accélérateur d'enquêtes même si, les neuf dixièmes des tombereaux de courriers reçus après les appels sont inintéressants. Alors M. Goron a l'habitude de dîner avec les rédacteurs en chef et leur livre ses supputations et ses doutes que l'on retrouve dès le lendemain dans les journaux au grand plaisir des lecteurs qui peuvent constater que la police est de plus en plus professionnelle. Et quand on s'interroge sur des fuites très bien renseignées en le mettant en cause, il répond qu'il y avait seize personnes à la reconstitution avec lui.
M. Goron semble aussi très à l'aise avec les petites annonces et les récompenses qu'il fait payer par les familles des victimes en raison du manque criant de crédits dans la police. Son "affaire" sera celle dite de "La Malle à Gouffé" du nom d'un huissier assassiné à Paris par un couple, et dont le cadavre fut retrouvé plus tard dans les alentours de Lyon. Pourtant, malgré ses bons et loyaux services, M. Goron fut écarté de son poste suite à une purge dans les services et muté dans un simple commissariat. Il resta très mystérieux sur ce déplacement mais Jean-Marc Berlière en donne des explications étonnantes. Après sa retraite, Goron qui aimait tant la chose écrite va entamer une nouvelle carrière : celle de mémorialiste puis d'écrivain chez Flammarion.

Mémoire, mémoire quand tu nous tiens.
Toujours dans sa préface, Jean-Marc Berlière attire l'attention et fait un beau palmarès de tous les grands flics ayant publié leurs Mémoires. De Vidocq en 1827 (apocryphe) à Borniche. Il dresse le nombre d'œuvres de Goron. Tout d'abord publiées en feuilleton dans "Le Journal" avec des gravures accrocheuses (dont celle qui orne la couverture du livre chez André Versaille), elles sont ensuite réunies en livres chez Flammarion qui va éditer ainsi Les Mémoires de Goron, ancien chef de la Sûreté en quatre tomes en 1898. Puis Les Nouveaux mémoires par Goron - L'Amour à Paris en quatre tomes intitulés respectivement L'Amour criminel, Les Industries de l'amour, Les Parias de l'amour et Le Marché aux femmes en 1899.
Le livre réédité chez Versaille est donc le premier tome de ces Nouveaux mémoires. Suivront de nombreux titres totalisant vingt et un volumes de trois cent vingt pages environ, soit une belle production pour seize années d'activité s'achevant avec la Première Guerre mondiale.

Pallier le mal.
"Voulant aller crescendo dans cette étude de la perversité humaine, je commence par le souteneur et le voyou tueur de filles, pour en arriver plus tard à une catégorie plus haut cotée et au bourgeois assassin, monstre le plus souvent répugnant et d'une psychologie compliquée." Malgré cette mise en bouche un peu racoleuse, il s'avère que Goron est un homme assez peu réactionnaire qui comprend le dur monde dans lequel sont tombées les "pierreuses" des barrières qui sont la lie du métier. Après le récit pittoresque d'une descente dans un hôtel borgne, il raconte la triste fin de Valentine assassinée par son homme sur la demande de la Pauline, "partenaire" du couple dans tous les sens du terme (illustration de couverture). L'amour exclusif embrase le cœur de Pauline. "C'est elle ou moi." Beaujean choisit. "Il porta sa tête à Deibler, comme il l'avait dit en commençant ses aveux. L'exécution eut lieu à Versailles, et il mourut très courageusement."
Goron s'insurge de la répression impuissante et revendique un projet social qui devrait être humanitaire. "Au lieu de ne songer qu'à pallier le mal, on finira peut-être par comprendre qu'il vaut mieux en supprimer les causes. On songera à faire un état social meilleur, où la misère ne sera plus qu'une exception [...] Soupçonnez-vous quelle éducation ont ces petits malheureux qui poussent dans des grabats infects, où ils voient leur père violer leur sœur, ou leur mère leur apprendre à voler ? Quels sentiments moraux peuvent avoir ces bouquetières de dix ans qui traînent sur les boulevards leurs jupons crottés et leurs œillades maladroites, et qui, quand elles rentrent le soir, sont rouées de coups par leurs parents si la recette est mauvaise ?"
Si l'on sourit du fait que l'on peut traîner à la fois ses jupons et ses œillades, Goron dépasse le simple recueil d'histoires croustillantes et peint à la manière impressionniste cette société du (petit) crime. Pour lui, l'amour dans ce milieu peut être sincère mais il est perverti par l'argent, la misère, l'alcoolisme, la violence et surtout l'éducation ou, plutôt, le manque d'éducation. Il va raconter quelques histoires qui fleurent bon l'ambiance de Casque d'Or. Dans un style aisé truffé de considérations imagées, il atteint son but. En exemple, cette autre longue citation à propos de l'impunité des tueurs de filles : "Il vous est arrivé certainement d'éprouver un petit frisson en voyant des maçons se promener en chantant sur des échafaudages, ou bien des couvreurs assis tranquillement au sommet d'un clocher d'église. Quel dangereux métier font ces gens-là ! avez-vous pensé. Il faut vraiment que l'habitude soit une seconde nature pour que gaiement ils s'exposent, chaque jour, à venir s'aplatir sur le trottoir en bouillie sanglante ! J'éprouve un sentiment à peu près identique, quand il m'arrive d'aller faire une étude d'après nature dans quelque restaurant de nuit, où des filles exhibent leurs bijoux, ou dans quelque cabaret de bas étage, où des pierreuses montrent avec orgueil aux camarades le billet de cinquante francs qu'elles viennent de carotter à un vieux monsieur ignorant les tarifs de la galanterie parisienne. Toutes ces malheureuses ont l'insouciance du couvreur et du maçon. Chaque nuit elle courent un danger plus grand que l'ouvrier qui répare la flèche de la Sainte-Chapelle ! Chaque nuit, si l'habitude chez elles n'était pas une seconde nature, elles devraient se dire, le cœur serré : 'Cet individu, que j'amène chez moi, est peut-être celui qui doit m'assassiner' !"
>br> Étrange ambiance.
Goron met en scène simplement ses histoires et se donne le beau rôle dans ses dialogues et dans les avancements de l'enquête. Il use même auto-dérision. C'est de bonne guerre. Pourtant, étonnamment, il plane dans son livre une étrange ambiance. Un peu comme ces daguerréotypes, incapables de fixer les déplacements rapides, et qui ne montrent que des rues vides d'habitants. Dans tout Paris, le seul meurtre d'une pierreuse va mobiliser le chef de la Sûreté lui-même. Page 151, lors du récit de l'enquête Gouffé, alors dans l'impasse depuis quatre mois, Goron écrit "n'ayant pas autre chose à nous mettre sous la dent, il fut convenu avec M. Dopffer que j'irais interroger un ami de M. Gouffé qui avait été entendu déjà au début de l'enquête et qui pourrait peut-être donner encore un renseignement utile." Bien sûr, ce nouveau témoignage, suscité par désœuvrement (!) va faire rebondir l'affaire. Tout comme précédemment lors de la découverte près de Lyon d'un cadavre d'homme en décomposition avait mis la puce à l'oreille de Goron. Il n'y avait donc qu'UN cadavre dans la région lyonnaise et qu'UNE seule disparition d'homme à Paris ? Dans une autre affaire de membres humains trouvés dans une rue de Paris, Goron cherche les huit cents femmes disparues dans l'année et les retrouve toutes (certaines vivant le parfait amour avec leur amant). À qui appartenait donc les membres coupés ? Sans doute s'agissait-il d'une blague de carabin qui jeta là les restes d'un cadavre autopsié à la Faculté. Ces exemples pittoresques focalisent l'attention sur Goron mais, paradoxalement, évacuent ce qui passe ailleurs. Le lecteur, habitué aux statistiques actuelles, s'attendrait à un regard plus global, plus social, sur toute cette administration qu'est la Police. Mais Goron, visiblement, n'est pas homme de tableaux et de pourcentages. Il préfère les petites touches.

"La Malle à Gouffé."
Á la page 117, Goron stoppe net son agréable monographie pour détailler l'affaire de sa carrière jusqu'à la page 244 soit plus de la moitié du livre. Voilà une bien mauvaise construction sans doute due à la parution en journal. Et c'est là que se tient la faiblesse du livre car le point de vue change et Goron s'avère moins bon dans le récit romancé que dans sa "monographie". Il se perd dans les détails (les lettres de Eyraud, les attitudes de Gabrielle Bompard, sa jeune maîtresse), les atermoiements de la justice et la guerre entre les juges de Lyon et de Paris. Il revêt les habits du super-détective en devinant longtemps à l'avance que le cadavre de Lyon est celui du disparu de Paris. Faisant la leçon au nul médecin légiste, il plonge les mèches de cheveux longs noirs et bouclés dans de l'eau distillée qui évacue les matières graisseuses de la putréfaction et les fait devenir courts, clairs et raides comme ceux de l'huissier disparu ! Il détaille avec délectation les minauderies de Gabrielle Bompard, prostituée de vingt ans qui attira l'homme chez elle avant de le livrer, dans une alcôve, au nœud coulant préparé par son complice et dont la corde passait par une poulie fixée au plafond. La perverse Gabrielle qui avait précédemment cousu le linceul, passa la nuit avec le cadavre dans la malle et pensa même amener un client pour lui faire une belle peur. Alors qu'elle devient une véritable star que les foules se disputent lors des déplacements pour les reconstitutions et le procès, Goron oublie ses considérations sociales précédentes en la chargeant de tous les vices possibles, alors que, visiblement, elle n'était qu'une ravissante débile légère et tire à la ligne sur la fuite d'Eyraud et sa poursuite jusqu'en Amérique pour boucler son récit cahin-caha, loin du professionnalisme dont fera preuve plus tard Pierre Bouchardon dans son traitement de la même affaire.
Mais Goron se ressaisit dans le dernier chapitre intitulé "Qui n'a pas sa dame voilée ?" où il raconte une affaire mystérieuse de 1887 qui lui est (soit-disant) arrivée alors qu'il n'était que sous-chef de la Sûreté. Cette histoire d'inceste dans un milieu chic et sa chute parfaite constituent une très heureuse surprise et permet au livre de finir sur une excellente note.

En conclusion.
On ne peut donc que conseiller la lecture de L'Amour criminel de Marie-François Goron. Le Milieu a bien changé mais l'amour et ses perversions restent les mêmes. Ce voyage dans le temps est bien agréable et, oui, désormais, ces œuvres "populaires" apparaissent comme ambitieuses. Avec le vernis de l'histoire et celui du langage châtié, elles s'imposent comme œuvres intelligentes.

Citation

Le malheureux sans doute, à ce moment, voyait avec terreur flamboyer au-dessus de ma tête une auréole de contraventions.

Rédacteur: Michel Amelin jeudi 11 novembre 2010
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