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Mais on savait que l'appartement dévasté de Lilah n'allait pas nous protéger du chaos pour toujours. Aucun homme n'échappe à son destin.
Esi Edugyan - 3 minutes 33 secondes
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Pierre D'Ovidio et la criminalité de l'Après-guerre.

Lundi 03 janvier 2011 - Pierre D'Ovidio est un nouveau venu parmi les auteurs de la collection "Grands détectives" des éditions 10-18. Il ouvre les parutions de l'année 2011 avec, dès le 6 janvier, L'Ingratitude des fils, un roman qui se déroule en janvier 1945, dans Paris libéré (août 1944).
Mais Pierre D'Ovidio n'est pas un nouveau venu dans l'écriture. Il a signé des livres d'artistes, des écrits critiques à l'occasion d'expositions, de catalogues... Ce n'est pas, non plus, sa première incursion dans le roman policier. Il a, à son actif, trois romans se déroulant dans la France profonde où un journaliste local débrouille des affaires de viols, de vengeance, d'assassinats...
Dans ses romans, autour d'une enquête au déroulement peu respectueux des procédures, Pierre D'Ovidio fait vivre tout un univers de personnages à la fois quotidiens et atypiques dans une atmosphère qui privilégie un solide bon sens et le goût des choses agréables.
Avec L'Ingratitude des fils, il plonge le lecteur dans une ville où l'effort de guerre ne laisse aux populations que le strict minimum, dans les pas de l'inspecteur Maurice Clavault qui doit débrouiller des affaires criminelles avec des moyens réduits.
Rencontre, par Internet, avec un auteur qui sait exalter l'ordinaire et rendre aux héros du quotidien toute leur dimension.
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© D. R.



k-libre : Vous placez l'essentiel de l'intrigue de votre nouveau roman dans Paris libéré au début de l'année 1945. Qu'est-ce qui a motivé le choix de cette période ?
Pierre D'Ovidio : Cette période n'a, du moins à ma connaissance, pas souvent été traitée en littérature, en tout cas policière, contrairement à celles de l'Occupation et de la Libération (au cinéma, dans les téléfilms, etc.), et l'après-guerre puis la IVe République se sont imposés rapidement pour diverses raisons. Sentimentales d'abord. La période de mon enfance. Un monde en noir et blanc à la Doisneau, nourri au verre de lait de Pierre Mendès-France, où l'on portait des blouses grises ou noires, des chaussettes hautes tricotées en laine qui grattait et des shorts courts, où l'on plongeait son porte-plume dans un encrier blanc en faïence, où les garçons et les filles étaient séparés, etc. Bref, un monde disparu. Historiques ensuite. L'immédiat après-guerre, d'abord, une période trouble où la France exsangue, continue de souffrir de privations et règle – très partiellement - les comptes nés de l'Occupation, on parlait alors d'épuration. Et si l'on a des images mentales de la Libération, on n'en a guère des mois qui suivirent. De plus, la IVe est la "mal aimée" dans l'esprit de beaucoup ; surtout depuis le retour au pouvoir du général de Gaulle, mal aimée, décriée, mais surtout mal connue. Ou connue seulement pour son instabilité gouvernementale et donc son impuissance (comme si les choses allaient beaucoup mieux avec la Ve...). Qui se souvient, parmi les jeunes (ou les moins jeunes) des présidents de cette République qui n'aura duré que douze ans ? Sans parler des présidents du conseil...

k-libre : Une autre partie de votre histoire s'enracine dans le ghetto juif de Wilno, après que la ville soit redevenue polonaise. Est-ce pour évoquer le problème, déjà crucial, de l'émigration ?
Pierre D'Ovidio : Absolument pas ! Cela ne m'est même jamais venu à l'esprit, je dois avouer. En tout cas en tant que problème global. Le trajet des frères, leur histoire m'importaient surtout.

k-libre : Votre personnage principal l'inspecteur Maurice Clavault, est d'origine modeste. Aimez-vous animer ce genre de héros, décrire le milieu discret où il évolue, à l'inverse de surhommes flamboyants dans des univers clinquants ?
Pierre D'Ovidio : Je préfère effectivement - et de beaucoup ! - parler des gens "ordinaires", issus de milieux modestes. Je crois que ce goût me vient de l'écrivain Henri Calet que j'admire par-dessus tout pour son écriture "sans gras", millimétrée, pleine d'humour et de tendresse pour les gens du commun. La découverte de cet écrivain, il y a maintenant pas mal d'années, m'a d'ailleurs donné l'envie et le goût d'écrire. Au surplus, ne fréquentant pas plus les surhommes flamboyants que les univers clinquants, j'aurais de grosses chances de n'imaginer que des personnages sans consistance, sans aucune chair sur les os.

k-libre : Comment choisissez-vous vos personnages ? Sont-ils l'assemblage de gens de rencontres ou des acteurs spécialement construits pour répondre à l'intrigue ?
Pierre D'Ovidio : Un peu des deux. Pour ce qui est du personnage de Maurice, je l'ai imaginé en même temps que je pensais à l'intrigue. Je pensais aussi à un vieil ami de mon père, un peu sous la coupe de sa mère, du genre autoritaire. Le souvenir et l'imagination se sont complétés, j'espère de façon convaincante...

k-libre : Par quoi commencez-vous : la construction de l'intrigue, le cadre ou le héros ? Qui influence l'autre : le personnage ou l'intrigue ?
Pierre D'Ovidio : Je crois avoir répondu dans la question précédente. Mais le cadre, entendu dans le sens de décor, époque, air du temps, a pour moi une grosse importance.

k-libre : Vous développez, autour de vos personnages, une ambiance, une atmosphère particulières. Préférez-vous instiller un climat plutôt que raconter des actions violentes et trépidantes ?
Pierre D'Ovidio : Si je répondais que je préfère raconter des "actions violentes et trépidantes", je serais l'égal des fameux arracheurs de dents dans les foires ! À l'évidence - et L'Ingratitude des fils ne fait pas exception dans ma production - j'aime créer une ambiance. Aussi parce que j'y suis personnellement très sensible.

k-libre : Êtes-vous partisan de conclusions, de chutes ambiguës, équivoques, indécises à l'image de la réalité ?
Pierre D'Ovidio : Exact. Il en a été de même dans Pertes et profits, le second volet de ma trilogie policière sur mon coin d'adoption, le Poitou lorsqu'il rencontre le sud de la Touraine. J'ai du mal à trancher entre noir et blanc, je préfère les nuances de gris.

k-libre : Vous dressez des portraits sans concession, pointant l'incompétence et l'opportunisme. Ainsi, pour le supérieur du héros, vous concevez une allégorie : "L'incompétence couverte par le politique." Cette pratique a-t-elle fleuri particulièrement à cette époque ?
Pierre D'Ovidio : Il ne faut pas oublier le contexte de l'époque : les "élites" dans une large proportion, très large pour certains milieux, ont suivi la politique de collaboration prônée par Pétain et Laval. Il était urgent et moral de les remplacer par ceux qui avaient refusé la défaite, quitte à pousser en avant incompétents et opportunistes. Sans sombrer dans le populisme, tant décrié et dénoncé actuellement, je ne suis pas totalement convaincu que les choses aient changé de façon radicale depuis cette époque. Quelques épisodes récents de l'actualité française l'illustrent bien...

k-libre : Pourquoi avez-vous retenu L'Ingratitude des fils comme titre ? Porte-il sur l'attitude de quelques-uns de vos personnages ou est-ce une métaphore ?
Pierre D'Ovidio : En fait, il correspond à l'attitude de la mère de Maurice, Réjane, qui, sentant que son fils lui échappe, trouve son fils bien ingrat en regard de tous les sacrifices, imaginaires ou autres qu'elle pense avoir fait pour lui. Pour une mère, les fils ne montrent jamais assez de gratitude, dit-on.

k-libre : Vous utilisez des images et des phrases cinglantes pour évoquer les résistants de la dernière heure, ceux du printemps 1944. Étaient-ils nombreux à : "... mettre un peu de Résistance dans son passé de collaborateur enragé..." ?
Pierre D'Ovidio : À suivre l'actualité de l'époque, les journaux littéraires, tels ceux de Galtier-Boissière ou de Léautaud, etc. il semblerait qu'ils aient été légion ceux qui s'inventèrent des passés glorieux de lutte active contre l'occupant. Sans oublier les Papon et autres fonctionnaires "recasés".

k-libre : Les véritables résistants ont-ils été écrasés, étouffés par le nombre ?
Pierre D'Ovidio : Je ne crois pas ; certains, sans doute. Comme les deux frères paysans du Massif central filmés dans  Le Chagrin et la Pitié d'Ophuls, sorti en 1968 ou 1969, et qui a provoqué un gros choc dans la société française, nourrie de la fiction gaulliste selon laquelle la grande masse des Français était résistante. Les ouvrages d'historiens sont nombreux sur ce sujet.

k-libre : Vous êtes peu nombreux, parmi les auteurs et les historiens, à relater et mettre en scène des affaires traitant des viols (nombreux) commis par les G. I., en France. Est-ce la crainte de ternir l'image des libérateurs ?
Pierre D'Ovidio : Sans doute à une certaine époque, mais il semblerait que les langues se délient à en juger par quelques documentaires que j'ai pu voir sur ce thème à la télé. Sur Arte, bien sûr ! Il me souvient avoir lu au moins un roman également sur ce sujet. J'en ai oublié et le titre et l'auteur, mais ça me reviendra...

k-libre : Vous évoquez l'affaire Stavisky comme un des facteurs du renforcement de l'antisémitisme en France. Cette affaire a-t-elle suscité autant de passions et de controverses ?
Pierre D'Ovidio : Certainement, on considère généralement que le 6 février 1934, jour d'émeute à Paris, où les Croix de feu, les militants de l'Action française, mais aussi les anciens combattants dans la mouvance communiste ont attaqué la Chambre des députés était une conséquence de l'affaire Stavisky qui a révélé la collusion entre hommes politiques et milieu financier. Cela a aussi pour conséquence de "titiller" l'antisémitisme latent en France, pays majoritairement de tradition catholique.

k-libre : Vous rappelez l'épuration qui a suivi la libération et les méthodes peu orthodoxes de certains "justiciers" radicaux. Ces cas ont-ils été fréquents ?
Pierre D'Ovidio : À s'en tenir à la lecture des journaux du temps, certainement. Mais l'épuration n'a pas touché équitablement tous les milieux. Ceux de la finance et de l'industrie s'en sont bien sortis, à l'exception de quelques cas emblématiques, Louis Renault, etc. N'oubliez pas le contexte. Il y avait un désir de vengeance très fort après les années d'occupation.

k-libre : Vous immergez votre lecteur dans une vie quotidienne de grisaille et de froid. Est-ce pour mieux faire ressentir cette atmosphère que vous avez choisi de faire paraitre votre livre début janvier ?
Pierre D'Ovidio : Non. Des impératifs éditoriaux en sont la cause. Enfin, des contraintes de calendrier de parution. Mais j'aime bien cette idée. J'aurais apprécié l'avoir eu !

k-libre : Vous décrivez Paris en janvier 1945, pendant la vague de froid. La neige, malgré les difficultés de toutes natures, semblait poser moins de problèmes qu'en décembre 2010 ?
Pierre D'Ovidio : On en parlait beaucoup quand même ! Évidemment, ça ne faisait pas l'ouverture unique des journaux télévisés suivant la règle non écrite : mieux vaut parler de la neige que du reste.

k-libre : Vous êtes l'auteur de trois polars (parus chez Phébus) avec, pour héros, Jean Mascarpone, un correspondant local d'un journal de province, qui vit entre Poitou et Touraine. Qui est Jean Mascarpone ? Avez-vous une grande tendresse pour la province profonde ?
Pierre D'Ovidio : Une sorte de double fictif. J'insiste : fictif. Lorsque j'ai proposé à Phébus cette trilogie, j'ai argumenté en disant que, découvrant moi-même cette région, je pensais que ça ne serait pas plus mal de la donner à voir aux lecteurs éventuels par la même occasion, et le personnage du correspondant de presse était du genre idéal pour en rendre l'atmosphère et les histoires courantes dans un petit pays. Quant à la tendresse, je ne sais pas. De l'intérêt certainement. J'y vis depuis plus de dix ans...

k-libre : Jean Mascarpone est confronté, dans Demain c'est dimanche (2001) et Pertes et Profits (2003) à des affaires criminelles basées sur des sales magouilles du passé. Est-ce un thème qui vous intéresse particulièrement ?
Pierre D'Ovidio : Le passé m'intéresse, comme vous avez pu le constater, et les magouilles sont un bon fond de sauce pour des polars.

k-libre : Allez-vous continuer à faire vivre Maurice Clavault dans le proche après-guerre ou avez-vous d'autres projets pour régaler les lecteurs ?
Pierre D'Ovidio : Je travaille actuellement sur le second volet des enquêtes de Maurice qui se déroulera de la fin 1945 à la fin mars 1947. Je n'en dis pas plus – superstition, coquetterie de l'auteur ? -, et merci pour ce "régaler" bien plaisant à lire !


Liens : Pierre D'Ovidio | L'Ingratitude des fils Propos recueillis par Serge Perraud

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