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Red avançait toujours, Fisher recula jusqu'au mur, ses yeux porcins dilatés par la peur. Il passa la langue sur ses lèvres épaisses et braqua son revolver sur Red. Bientôt, les deux hommes luttaient en corps à corps pour la possession de l'arme. Quand Fisher appuya sur la détente, le canon était braqué dans la mauvaise direction.
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Anne Perry : Une Reine du polar qui se met en danger...

Samedi 09 octobre 2010 - Anne Perry a acquis une renommée internationale avec deux séries, devenues cultes, où elle dissèque, à travers les enquêtes de ses trois héros, la société victorienne du XIXe siècle. Les affaires que résolvent Charlotte et Thomas Pitt se déroulent à Londres entre 1880 et 1890, alors que celles de William Monk se situent entre toujours à Londres mais entre 1850 et 1860.
Avec des intrigues subtiles, fouillées, menées par des personnages sympathiques et captivants, elle fait découvrir les dessous d'une société à la façade bien-pensante.
Sa muse s'est permis quelques incartades pour emmener les lecteurs dans la Première Guerre mondiale avec les cinq volumes de Joseph et Matthew Reavley (10-18) ou la mise en avant de personnages secondaires de ses séries fétiches dans une série parallèle : "Petits crimes de Noël" (10-18).
Mais cette grande dame du polar historique n'hésite pas à explorer d'autres contrées, d'autres époques. C'est ainsi que début novembre elle invite ses lecteurs à suivre les pas de deux nouvelles héroïnes, Anna et Zoé, dans le Constantinople des années 1273 à 1282. La première enquête sur le meurtre d'un opposant à l'Union de l'Église byzantine avec celle de Rome, pour innocenter son frère. La seconde ne rêve que vengeance depuis que fillette, elle a vécu la saccage de la ville, le viol et le meurtre de sa mère par les Croisés.
Anne Perry, avec la méticulosité qui caractérise ses histoires, fait revivre dans une quête palpitante, aux ramifications variées qui plongent dans un passé où l'Histoire rejoint l'histoire. L'auteur signe, avec Du sang sur la soie, un livre enchanteur qui fait revivre une époque singulière avec un suspense particulièrement enthousiasmant.
Rencontre à Lyon, avec la Reine du polar victorien...
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© Hannah



k-libre : Quel est la raison qui vous a poussé à "quitter" l'Angleterre victorienne pour les grandes cités de la Méditerranée ?
Anne Perry : Je souhaitais côtoyer des personnages différents, "respirer" et décrire des saveurs différentes. Cela m'intéressait d'écrire un livre sur une société médiévale du Moyen-Orient et d'aborder des événements politiques et des faits spirituels nouveaux et d'une autre façon. Et, de temps en temps, ne faut-il pas se lancer des défis, ne pas hésiter à se mettre en danger pour garder un esprit bien aiguisé afin de rechercher toujours l'intérêt pour les lecteurs ?

k-libre : Vous basez une large partie de votre intrigue sur le rapprochement entre l'Église byzantine et celle de Rome. Cette union des religions a-t-elle généré des passions allant jusqu'aux crimes ?
Anne Perry : Je ne sais pas. Je n'ai pas d'exemple précis. Cependant, je suis certaine que cela a dû arriver. On voit que des gens sont prêts à tuer, à aller aux pires extrémités, pour défendre leur foi, leurs idées.

k-libre : En quoi cette union était-elle nécessaire pour ceux qui la désiraient ?
Anne Perry : Pour survivre ! Parce que si les Croisés revenaient, comme en 1204, les habitants de Constantinople auraient été anéantis, la ville saccagée et l'Empire une nouvelle fois envahi. Au fond d'eux-mêmes, ils n'avaient pas envie de se rapprocher de Rome, mais c'était la seule façon pour se protéger, une alliance en quelque sorte. Mais cette union n'a pas perduré puisque l'Église orthodoxe grecque est toujours séparée de Rome, aujourd'hui.

k-libre : La religion orthodoxe avait-elle beaucoup à y perdre ?
Anne Perry : Les religieux orthodoxes voyaient une pollution de leur foi. En fait, les orthodoxes, croyaient en un seul Dieu alors que les catholiques adoraient La Trinité. Mais je pense que la plus grande différence entre les deux était plus culturelle. Dans l'Église orthodoxe, l'esprit de la sagesse est féminin et dans l'Église catholique tout est ramené à l'homme. L'Église orthodoxe est beaucoup plus nuancée et les dogmes sont beaucoup moins tranchés. Les orthodoxes pensaient que les romains étaient superstitieux et barbares, que leur credo reposait sur la violence et l'opportunisme, sur la vente d'indulgences à des prix toujours plus élevés. Par contre, le clergé romain pensait que les orthodoxes étaient des gens qui étaient un peu dégénérés et qui était sortis de la voie lors du schisme. De plus, le pape voyait Rome exercer sa domination sur toutes les terres et toutes les âmes de la Mer occidentale à la Mer noire.

k-libre : Les opposants à l'union avaient-ils cette vision de l'Église romaine ?
Anne Perry : Ce n'était pas une vision. Si l'on se réfère a ce que furent les Croisades, on ne peut pas être contre cet avis. Les croisés avaient laissé d'affreux souvenirs dans le pays. Ils ne savaient que voler, tuer, violer, détruire et ce, avec la bénédiction de la papauté romaine. Les religieux de Byzance se retrouvaient dans une situation similaire à celle que vous pourriez vivre si, pour vos problèmes familiaux, vous deviez demander l'avis d'étrangers, par exemple d'Écossais.

k-libre : Deux héroïnes se partagent la vedette de votre fresque : Anna Lascaris et Zoé Chrysaphès. Vous êtes-vous inspirée de personnages authentiques de l'époque pour les construire ?
Anne Perry : Non, pas vraiment. Anna, c'est moi. J'ai mis beaucoup de moi en Anna, dans sa façon d'être et aussi dans ses pensées et ses convictions religieuses. Zoé, par contre, m'a permis de laisser exprimer ma hargne, éclater ma rage. Mais j'ai pris beaucoup de plaisir à animer ce personnage qui est particulièrement riche.

k-libre : Le frère d'Anna est condamné pour complicité, dans le meurtre d'un opposant farouche à l'union. Pourquoi abandonne-t-elle tout pour voler à son secours ?
Anne Perry : Anna ne peut pas penser une seconde qu'il est coupable. Elle a des liens très étroits avec lui par sa gémellité. De plus, elle a une dette envers lui, mais surtout, il est la seule famille qui lui reste. Elle le fait aussi par loyauté parce qu'elle pense que c'est très injuste qu'il soit ainsi accusé et envoyé en exil pour toujours.

k-libre : Anna se travestit en eunuque. Si son déguisement est découvert elle sera châtiée. Quel châtiment encourait-elle ? Pourquoi risquait-elle une telle peine ?
Anne Perry : Je ne sais pas. J'ai fait des recherches, mais je n'ai jamais trouvé de précisions, d'indications sur le fait que quelqu'un se soit déguisé et ait été découvert. En fait, je pense que personne n'a songé à un châtiment parce que personne n'a conçu de se travestir ainsi. Ou que celles qui l'ont fait, ont si bien joué leur rôle qu'elles n'ont jamais été dévoilées. La question ne s'est donc jamais posée.

k-libre : Pourtant, à un moment l'empereur Michel menace de mort qui aurait osé porter la main sur lui. Or Anna est amenée à soigner Michel.
Anne Perry : Là, c'est vraiment une liberté de romancière. Je n'ai aucune certitude. Mais c'était dans l'esprit de l'époque, une époque très particulière.

k-libre : Anna est médecin. Malgré les interdictions de l'Église, elle pratique aussi bien la médecine arabe que juive. Qui de l'Église de Rome ou de Byzance était la plus intransigeante sur ce point ?
Anne Perry : Les deux ! En fait les deux Églises étaient opposées. La médecine chrétienne partait du principe que la maladie était une conséquence du péché. La pénitence et la prière étaient donc seules capables de guérir. Elle comportait des prières à des saints spécialisés selon les maladies, les saisons, les jours de la semaine. Pour pouvoir consulter un médecin arabe ou juif, vous deviez avoir une dérogation, un accord spécial de l'Église. D'ailleurs tous les membres importants de l'Église en avaient. N'était-ce pas une manière implicite de reconnaître l'efficacité de cette médecine. Anna fait très, très, attention à cela car elle veut apparaitre comme un médecin qui suit la règle.

k-libre : Ce type de médecine était-il spécifique au Moyen-Orient ?
Anne Perry : Je pense que c'était vraiment universel à l'époque. Mais, je ne peux être complètement affirmative parce que les recherches que j'ai menées ne portent que sur cette partie du monde. Le problème se posait surtout dans les pays où les différentes médecines pouvaient cohabiter comme le royaume de Byzance, aux portes de l'Islam ou l'Espagne. Par contre, en Europe, à l'époque il n'y avait ni médecine arabe, ni juive.

k-libre : Zoé Chrysaphes est attachée à Constantinople qu'elle voudrait voir reprendre sa place de capitale du monde méditerranéen. Elle veut se venger des responsables de la ruine de la ville en 1204. Vous la décrivez par l'image suivante : "On pouvait la piquer n'importe où, la rage saignait de son corps." Pensez-vous qu'un humain puisse attendre toute une vie à peaufiner ainsi sa vengeance ?
Anne Perry : En fait cela prend autant de temps à Zoé parce qu'elle n'a pas l'opportunité de se venger avant. Il lui faut attendre qu'ils reviennent d'exil, qu'ils retrouvent pouvoir et fortune avant de réaliser sa vengeance. Il n'y avait pas de sens, pour elle, de s'attaquer à eux s'ils n'avaient rien eu à perdre, rien de cher à défendre. C'est pour ça que Zoé attendait qu'ils soient bien "gras". De plus, il est absolument nécessaire qu'ils sachent que c'est bien elle qui est responsable de leur déchéance, de leur mort.

k-libre : Zoé n'a-t-elle pas été amoureuse que de Constantinople ?
Anne Perry : En fait, c'est assez vrai. Ce n'est pas qu'elle ne puisse pas aimer d'autres gens, mais la ville était pour elle comme sacrée. Elle s'était attachée à elle et c'est à Constantinople qu'elle a consacré sa vie. Mais, il y avait aussi de l'amour-propre, le besoin de venger une enfance et l'instinct de survie.

k-libre : Vous opposez deux femmes. L'une soigne, conserve la vie, veut innocenter son frère et l'autre n'aspire qu'à abattre ceux qui ont détruit la ville qu'elle aime. Qui, de Zoé ou d'Anna, a votre préférence ? Pourquoi ?
Anne Perry : Oh, Anna, bien sûr ! C'est Anna que je préfère. Mais Zoé est un personnage très intéressant. Mais pour moi, Anna et Zoé ne sont pas si différentes. L'une est le côté lumineux, l'autre le côté sombre d'une même personnalité.

k-libre : Les eunuques étaient nombreux dans l'empire byzantin où ils occupaient nombre de postes-clé du royaume. Pourquoi leur confiait-on autant de postes à responsabilité ?
Anne Perry : Il y avait beaucoup d'eunuques, effectivement. Ils avaient des postes importants parce qu'ils n'étaient pas une menace pour l'empereur. Jamais ! C'est pour cela qu'il y avait tant d'eunuques dans la garde rapprochée de l'empereur et dans les cercles civils. C'étaient des gens qui étaient très éduqués, des intellectuels. Ils avaient accès à des pouvoirs que les autres ne pouvaient pas avoir. Mais, ils n'étaient pas des hommes dans leur intégrité. Ils ne pouvaient donc pas devenir empereur. Dans le royaume byzantin, s'il vous manquait une oreille, un œil, vous ne pouviez pas devenir empereur. Par exemple, Lascaris (ndlr : de la famille d'Anna) a été à deux doigts de monter sur le trône, mais ses opposants l'ont rendu aveugle. Ils avaient des méthodes pour le moins expéditives.

k-libre : Vous évoquez Venise et sa volonté hégémonique. Son influence s'étendait-elle sur toute la Méditerranée ?
Anne Perry : Oui, ils avaient énormément de pouvoir et beaucoup d'argent. Ils ont profité des Croisades pour amasser des fortunes. C'est eux qui construisaient les flottes de bateaux pour transporter les Croisés. Ils ont pillé Constantinople et ramené des trésors et de très nombreuses richesses comme le quadrige de bronze qui orne la place Saint-Marc, des reliques comme le flacon contenant quelques gouttes du sang du Christ, un clou de la Sainte-Croix. Ils ont pris le Saint Suaire dans Sainte-Sophie. Les pèlerins n'allaient plus à Constantinople, mais à Venise. Tous les croyants qui venaient à Venise payaient un tribut à la ville.

k-libre : Vous évoquez la beauté et les couleurs de Constantinople. Vous êtes-vous rendue sur place pour vous imprégner de l'âme de ces lieux ?
Anne Perry : J'y suis allée deux fois et j'espère bien y retourner. Mais, de toute façon, j'y retournerai par l'imagination. J'ai un autre projet de livre avec une intrigue se déroulant dans le cadre du monde méditerranéen. Ce sera dans la région de Naples, à Capri.

k-libre : Votre livre n'est-il pas un catalogue des passions exacerbées : vengeance, jalousie, amour, soif du pouvoir, ambitions ?...
Anne Perry : Oui, mais aussi de la peur et la solitude.

k-libre : Allons-nous retrouver Anna dans d'autres aventures ?
Anne Perry : Peut-être ! De toute façon, il ne faut jamais dire jamais. Pour l'instant je n'ai pas de projet dans ce sens. Jamais est un temps trop long et je ne le dirai jamais.

k-libre : Que deviennent vos héros favoris : Thomas et Charlotte Pitt, William Monk ?
Anne Perry : J'ai terminé les deux prochaines enquêtes de William Monk. J'ai également fini une aventure de Thomas et Charlotte Pitt, et je suis en train d'écrire un nouvel épisode de leur saga. Pour ce qui est de leur parution, en France, il faut demander à Madame Heurtebize qui se trouve tout près, quand elle pense pouvoir les publier.

Emmanuelle Heurtebize, la directrice littéraire de 10-18, immédiatement sollicitée, répond qu'elle publiera la nouvelle aventure de William Monk en avril 2011, suivie de près par l'autre. "Les Enquêtes de Thomas et Charlotte Pitt" s'intègreront à un rythme régulier dans le programme de parution entre 2011 et 2012.
Tous nos remerciements à Emmanuelle Heurtebize qui a assuré la traduction verbale.


Liens : Anne Perry | Du sang sur la soie Propos recueillis par Serge Perraud

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