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Les héros de Jérôme Bucy mènent de front quête et enquête

Lundi 07 juin 2010 - Jérôme Bucy, avec La Colonie des ténèbres, propose son cinquième roman. Cet auteur s'est révélé au public avec Jérusalem interdite, un livre basé sur les émotions ressenties lors d'un séjour en Israël, qu'il a voulu faire partager en les pimentant d'une enquête fort bien troussée. D'ailleurs, ce livre lui a valu d'être le lauréat du prix du Goéland Masqué en 2003. Deux autres livres de la même tonalité ont suivi chez Liv'éditions.
Puis, pour les éditions Belfond, il s'oriente vers le thriller, mais un thriller qui se démarque de la production habituelle du genre par l'abord de sujets novateurs en privilégiant la déduction et la réflexion. Les personnages, aux caractères finement élaborés, mènent avec l'enquête leur propre quête. Or, malgré l'absence de tout déchaînement frénétique, la tension se maintient jusqu'à un final éblouissant, une chute déstabilisante. Il choisit pour cadre de ses intrigues des décors quotidiens qui sous sa plume se parent d'originalité. La publication de La Colonie des ténèbres, son nouveau roman, en mai chez Belfond, est l’occasion d’approfondir les thèmes qu’il aborde dans ce livre. Rencontre, par Internet, avec un auteur au réel talent.
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© D. R.



k-libre : Votre nouveau thriller s'appuie sur deux sujets principaux : les chiroptères, appelés plus communément les chauves-souris, et la construction psychologique de l'être humain, quand son enfance a été traumatisée par la mort de la mère. Pourquoi associer ces deux sujets ?
Jérôme Bucy : Le point commun entre les deux, s'il en fallait un, ce serait le Mal. Les chauves-souris symbolisent le Mal ou effraient la plupart des gens. Elles portent cette malédiction en elles sur des bases le plus souvent non fondées, irrationnelles. Les enfants témoins de meurtre (en particulier celui de leur mère) portent également en eux cette malédiction : stigmates du Mal auxquels ils ont été confrontés jeunes et qu'ils garderont présents pour toujours.

k-libre : Pourquoi avez-vous choisi de construire une large partie de votre intrigue sur les chiroptères ? Etes-vous un de ces amateurs passionnés que vous décrivez dans votre roman ?
Jérôme Bucy : Passionné, non. Intrigué, oui. Pour quelle raison ces animaux qui tuent chaque nuit de grandes quantités d'insectes nuisibles et font le Bien à notre insu sont-ils affublés de la marque du Mal ? A cause de leur apparence, très certainement, mais sans aucun fondement scientifique. Et pourtant, scientifiquement parlant, ces animaux sont extrêmement intéressants. Leur mode de vie en colonie, leur mode de reproduction, et surtout leur mode de déplacement par écholocation (émission-réception d'ultrasons) prouvent leur haut niveau de technicité sous format miniature. C'est cette fracture entre l'image que ces animaux renvoient sur des bases non rationnelles, et leur réalité technologique qui m'intriguait.

k-libre : Si l'on prend pour référence vos personnages, l'intérêt pour ces animaux se transmet-t-il de père en fille ou en fils ?
Jérôme Bucy : Les deux. Au-delà de l'intérêt pour ces animaux, c'est de la transmission des passions des parents (ou des grands parents) vers les enfants dont il s'agit ici. Et ces transmissions là fonctionnent quel que soit le sexe de l'enfant, pour peu qu'il y ait des affinités ou des complicités inter-générationnelles.

k-libre : Ces animaux ont-ils des capacités aussi surprenantes que celles que vous faites décrire à vos personnages ?
Jérôme Bucy : En ce qui concerne l'écholocation, et les capacités d'anticipation des mouvements des cibles que les chauves-souris pourchassent, rien n'est inventé. Par contre, pour ce qui est des changements de comportement observés par Andersen, on entre de plein pied dans la fiction… Quoi qu'avec ces petites bêtes là, allez donc savoir !

k-libre : Votre héros révèle que les chiroptères ne se battent pas entre eux. N'y a-t-il jamais de conflits, pour des femelles par exemple, comme dans d'autres espèces ?
Jérôme Bucy : Les chauves-souris vivent en colonies, groupées entre elles, en particulier lors de la mise bas ou de l'hibernation. Cette proximité leur permet en particulier de lutter contre le froid, très utile quand on reste endormi plusieurs mois et que l'on possède une membrane alaire (aile tendue entre les pattes) extrêmement fine et donc sensible aux variations de température lors des hivers rigoureux. Cette proximité durant de longues périodes peut générer des tensions entre individus, je vous l'accorde. Mais peu d'agressivité durant les phases de vol sans raison valable. C'est ce point qui étonne Andersen (et l'auteur par voie de conséquence…).

k-libre : Vous décrivez des tests qui portent tant sur les vedettes de votre livre que sur les rats. Ces tests sont-ils appliqués en centre de recherche ? Avez-vous assisté à la réalisation de quelques uns ?
Jérôme Bucy : Les tests décrits ne sont pas appliqués en centre de recherche. En tout cas, pas dans les conditions décrites dans le roman où le trait a été très largement forcé. Les tests de mémorisation et d'apprentissage en labyrinthe existent, et sont décrits sur Internet. Pour le reste (tunnels aquatiques bâtis en culs de sac afin d'augmenter le stress des animaux), tout est fictif.

k-libre : Vous citez Bourges comme l'un des hauts lieux pour les chiroptères. Est-ce effectif ? Pourquoi, à votre avis, l'intérêt pour cette ville, ou sa région, de la part de ces petits animaux ?
Jérôme Bucy : C'est effectif, et le musée des chauves-souris cité dans le livre existe réellement. L'hibernation des chauves-souris sur la façade de la cathédrale et dans le chœur est réelle également. Pour ce qui est du choix de la ville de Bourges plus particulièrement par ces animaux, je n'ai pas d'explication. Il faudra que je pense à le leur demander…

k-libre : Vous évoquez également, la Petite Ceinture de Paris, une voie ferrée désaffectée. La rénovation en cours va-t-elle perturber l'existence des chiroptères, voire la remettre en cause ?
Jérôme Bucy : À ma connaissance, il n'y a à ce jour pas de projet finalisé de réaménagement de la Petite Ceinture. Si un tel projet se concrétisait, et que les tunnels soient fréquentés par de nombreux passants, je pense effectivement que cela pourrait provoquer le déplacement de la colonie.

k-libre : Vos personnages, dans vos deux derniers romans, souffrent de pathologies psychiatriques lourdes. Est-ce un domaine qui vous passionne ?
Jérôme Bucy : Oui, il est toujours intrigant de savoir ce qui se passe dans la tête des hommes, surtout quand le système se dérègle.

k-libre : Dans La Colonie des ténèbres, vous infligez à nombre de vos personnages des perturbations psychiques dues à la mort prématurée de la mère. Ce drame poursuit-il une personne pendant toute son existence ?
Jérôme Bucy : Etant donné la gravité des traumatismes subis par ces gosses, oui probablement. La mort maternelle survient dans des conditions extrêmement violentes et traumatisantes. Ce qui m'intéressait également, c'était de mettre en scène deux gamins très différents, Wolfgang et Hans, afin de présenter les réactions post-traumatiques selon la personnalité propre de chacun.

k-libre : Pourquoi privilégiez-vous des personnages qui se reconnaissent eux-mêmes insignifiants, qui préfèrent rester dans l'ombre, plutôt que des héros flamboyants ?
Jérôme Bucy : Parce qu'ils me sont plus sympathiques. Les héros flamboyants ne sont intéressants que lorsqu'ils trébuchent et commencent à s'interroger sur eux-mêmes. Reconnaître son insignifiance ou ses failles, cela révèle souvent une fracture passée. Une fragilité, une difficulté personnelle non résolue, et qu'on a envie d'étudier.

k-libre : Le personnage d'Éphémère, cette jeune fille asociale, est remarquable. D'où vient-il ? Comment l'avez-vous conçu ?
Jérôme Bucy : Je crois bien qu'elle m'a révélé son caractère toute seule, au fil des pages, sans que je le réalise vraiment. Chaque fois qu'elle entrait et sortait de l'histoire, c'était de façon inattendue, me surprenant chaque fois. Alors je lui ai laissé les rennes libres. Vas-y petite, montre moi de quoi tu es capable ! Elle me l'a montré, et ça m'a plu. Je dois admettre que je me suis beaucoup attaché à elle.

k-libre : Votre intrigue se déroule à notre époque et dans l'Allemagne de l'Est, après la construction du Mur. Pourquoi ce choix ? A-t-on une idée réelle de ce qui se passait derrière le Mur en 1962 ? À cette époque, la Stasi, cette police politique que vous montrez très présente, très active, était-elle à son apogée en matière d'espionnage et de manipulation de l'individu ou allait-elle perfectionner encore ses méthodes ?
Jérôme Bucy : Au départ, le choix de Berlin en 62 repose sur une raison très simple. Je suis né en août 61, alors même qu'était mis en place le mur de Berlin. Difficile dans ces conditions de ne pas ressentir de la curiosité, voire une certaine forme de fascination pour cette période où ma construction personnelle, au sein d'une famille heureuse, était contemporaine de celle d'un mur qui brisa tant de vies. Les destins familiaux basculèrent, chacun suivant sa voie, très différente selon le côté du mur. Dans cet univers étrange, la Stasi apporte sa propre complexité. Surveiller qui ? Pour quelle raison ? J'ai eu l'envie de creuser pour comprendre les motivations profondes du Ministère d'Etat. Car même si la Stasi n'était pas à son apogée à cette époque, la construction du mur changeait sacrément la donne.
Pour mieux connaître ce qui se passait derrière le mur, je me suis basé sur de la documentation écrite et des témoignages de personnes vivant à Berlin dans les années soixante. La visite du musée du mur à Berlin m'a aidé également à cerner la vie de l'autre côté du mur.

k-libre : Vous intégrez un thème écologique fort dans votre thriller avec une multinationale de la chimie, qui fabrique le premier insecticide atoxique de tous les temps. Ce produit est-il le fruit de votre imagination féconde ou est-ce une possibilité à court terme ?
Jérôme Bucy : Produit fictif mais thème d'actualité, surtout en Europe où les nouvelles réglementations mettent la barre très haut afin que les produits chimiques mis sur le marché respectent l'homme et l'environnement. Difficile dans un futur proche de pouvoir développer de nouvelles molécules si elles présentent le moindre risque. Le Nat-Green, insecticide fictif, s'ancre donc dans une actualité bien réelle.

k-libre : Votre précédent Thriller chez Belfond, La Chambre d'Ambre se déroule en Pologne, La Colonie des ténèbres se passe, en partie, en Allemagne de l'Est. Ces pays sont-ils, pour vous, porteurs de plus de mystères ?
Jérôme Bucy : J'aime beaucoup les pays du Nord effectivement, peut-être parce que je suis moi-même issu de la région picarde ou le bruit de la pluie sur le toit en verre de la cuisine de ma grand-mère a bercé mes premières années. Les choix architecturaux de ces régions me fascinent aussi. Et j'apprécie l'implication des populations pour le respect de l'environnement. Mais il m'arrive de m'en éloigner parfois. Mon premier roman se déroulait à Jérusalem et au Moyen-Orient. Israël, la Syrie, la Jordanie, la Turquie. Mystère et fascination.

k-libre : Vos épilogues sont toujours surprenants et celui de La Colonie des ténèbres ne déroge pas à la règle. Vous avez l'art de la fausse piste et du faux-semblant. Aimez-vous « balader » et surprendre vos lecteurs ?
Jérôme Bucy : Je n'initie l'écriture d'un livre que lorsque la chute me semble tenir la route. Rien de pire qu'un roman dont la fin « ne fonctionne pas ». A moi ensuite de semer les fausses pistes. L'écriture du polar est ludique, jeu du chat et de la souris entre lecteur et auteur… avec l'envie de surprendre et de laisser un goût doux amer auprès du lecteur à la fin, que le roman reste encore présent après qu'il ait tourné la dernière page.

k-libre : Pouvez-vous lever quelque peu le voile sur le prochain livre auquel vous pensez ?
Jérôme Bucy : Difficile à ce stade. Je tâtonne encore. J'aime beaucoup ce moment, les premières étapes de la création : rien n'est certain, tout reste possible. Alors je m'y attarde. Je me documente. Cela reste encore ma part de mystère, le livre rien que pour moi. Alors chut…


Liens : Jérôme Bucy | La Colonie des ténèbres Propos recueillis par Serge Perraud

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