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Je ne comprends vraiment pas qu'ils vous aient dérangé de Paris pour une histoire aussi simple. Enfin, ça me vaut le plaisir de faire votre connaissance, pas vrai ?
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Lisa Gardner et la momification identitaire

Jeudi 01 janvier 1970 - À l'occasion des trente ans de la collection "Spécial suspense", Albin Michel nous a invité à rencontrer deux de ses auteurs : Mikaël Ollivier et Lisa Gardner. Cet entretien est l'occasion de découvrir une auteure qui a le vent en poupe Outre-Atlantique où elle a déjà publié cinq romans. Dans Sauver sa peau, la question de l'identité est centrale. Retour sur un thriller sentimental redoutable au bar de l'hôtel d'Aubusson dans le 6e arrondissement de Paris.
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© David Delaporte/k-libre



k-libre : Dans votre roman vous avez trouvé un équilibre entre l’intrigue et les sentiments de vos personnages. Votre roman peut ainsi être qualifié de thriller sentimental, non ?
Lisa Garner : J’aime beaucoup cette idée. Je vous remercie. Les personnages d’un roman, pour moi, est ce qu’il y a de primordial. La situation de mon héroïne, qui est une jeune femme qui a eu une enfance extraordinaire avec des parents qui s’aimaient mais qui lui ont donné une nouvelle identité tout au long de son enfance, est ponctuée de nombreux déménagements. Ils passaient leur temps à la cacher, à se cacher, et ne lui ont jamais dit pourquoi. Mais ce qui est évident avec le recul, c’est que son père essayait de la protéger. Mais la protéger de quoi ? Et ce qui m’intéressait c’est de décrire ce qui se passait dans la tête de cette enfant qui grandissait dans cette situation. En ne sachant même pas son vrai nom ! Je suis une mère. Le nom est la première chose que vous lui apprenez à un enfant. Donc cet état de fait, ce postulat de départ, m’a fasciné. Les personnages et leur histoire se sont d’abord imposés. Puis l’intrigue, car il en faut une pour faire un bon thriller [rires]. Mais ce que je préfère dans ce roman, ce sont vraiment les personnages.

Au début de votre roman, il y a la découverte de six corps momifiés dans des sacs poubelle dans une crypte secrète d’un hôpital psychiatrique. Y a-t-il dans la littérature noire un mythe autour des hôpitaux psychiatriques ?
Cet hôpital existe vraiment. J’ai fait beaucoup de recherches pour ce roman. J’ai été aux archives de la police. Je voulais que l’introduction de mon livre soit axée autour de la découverte d’une vaste scène de crime. Je leur ai demandé quel était l’endroit idéal pour cacher six corps ; de me donner une raison logique pour laquelle pendant trente ans personne ne les aurait découverts ; et enfin de me donner une raison valable pour qu'on les trouve maintenant ! Et là-bas, dans ce commissariat, tout le monde a été unanime : "Il y a un centre psychiatrique au milieu de Boston. On n’y a pas touché depuis des années. Aujourd’hui on le détruit pour bâtir une école. C’est l’endroit parfait pour une bonne découverte macabre." Je ne peux écrire que des choses que je vois, donc je me suis rendue à cet institut psychiatrique abandonné. Tout était réuni. Le soleil se couchait. Le temps se gâtait sérieusement. Il y avait du verre brisé un peu partout. C’était, je crois, l’endroit le plus glauque que je visitais. Parfait pour un thriller !

Est-ce qu’il est facile aux États-Unis de changer d’identité ?
Il était très facile de changer d’identité dans un passé très proche. Mais il y a eu le 11-Septembre. Les modalités administratives ont été profondément modifiées. Il faut bien avouer qu’avant c’était très facile et que l’on pouvait aisément disparaître. Dans le cas de mon roman, l’histoire se déroule avant le 11-Septembre. C’est donc un jeu d’enfant pour le père. Autres temps, autres facilités !

J’ai lu votre roman comme une vaste quête identitaire. Menée par vos personnages, mais qui nous invite aussi à réfléchir à notre identité. La seule chose dont nous pouvons être sûrs en vous lisant est que nous ne savons pas qui nous sommes, ni d'où nous venons.
Tout à fait. Une des choses que j’aime dans ce livre comme dans la vraie vie est que nous ne sommes pas complètement bons ou mauvais. Les bons commettent aussi de mauvaises actions, et réciproquement. Une des choses que je me rappelle au sujet de mes débuts d’écrivain alors que je faisais des recherches sur Ted Bundy, le serial killer, est qu’il ne pouvait voler la voiture d’une personne handicapée parce qu’il avait conscience de ce que ça représentait pour cette personne-là. Ce genre d’ambigüité existe en chacun de nous. Donc j’écris ce genre de livres parce que ça peut arriver, ça sonne juste, mais aussi ça nous donne des frissons dans le dos lors de la lecture. Il n’y a personne dans ce roman à qui vous pouvez faire entièrement confiance. Tout le monde suit son propre chemin avec ses propres choix. Et ces choix à la fin peuvent se révéler justes ou faux. L'un des aspects intéressants dans Sauver sa peau, du moins c’est ce que je crois, est l'attitude du père d’Annabelle. Est-il un bon père où un personnage sinistre qui fuit pour de mauvaises raisons ?

Je ne crois pas qu’au début du roman il y ait la moindre ambigüité sur le fait qu’il est un bon père. Comme vous l’avez dit, aucun de nous est ni bon ni mauvais. Mais l'on se demande très vite, en effet, s'il ne fuit pas parce qu'il a commis un crime. Pour en revenir à votre roman, ce qui est intéressant c’est qu’il nous propose non pas un mais deux serial killers. Quand un serial killer croise la route d’un autre serial killer, qu’attendez-vous qu’ils fassent ?
C’était une surprise pour moi quand j’ai réalisé que cet institut psychiatrique existait pour de vrai, que j’ai eu l’opportunité d’y aller et de le visiter, ainsi que de croiser des gens qui y ont vraiment exercé. Ils m’ont à son sujet raconté beaucoup d’histoires. J’ai entendu beaucoup d’histoires sur ce qu’avaient fait certains anciens patients. Quand l’institut a purement et simplement fermé, nombre d’entre eux ont été lâchés dans Boston. Après quelques recherches surprenantes j’ai découvert des pans de la réalité qu’un bon écrivain ne peut pas écarter de ses romans ! Il y avait quand même des personnes très dangereuses qui se sont mises à hanter les rues de Boston à ce moment-là. Je n’aurais d’ailleurs pas aimé m’y promener… Ça m’a donné le point de départ de mon second serial killer. J’ai pris beaucoup de plaisir à organiser leur rencontre à la fin de Sauver sa peau. C’est en effet quelque chose dont je suis très fière.

Est-ce que vos personnages principaux vont réapparaître dans un prochain roman ?
Même si j’ai écrit ce roman pour l’histoire d’Annabelle, qui en fait un livre singulier et totalement indépendant des détectives qui l’accompagnent, je l’ai aussi écrit dans la perspective de faire de Bobby Dodge un personnage récurrent. À l’origine c’est un sniper qui intègre la police d’État du Massachusetts. J’ai commencé à esquisser mon héros dans ce roman et je continue à le dépeindre dans d’autres romans déjà publiés aux États-Unis.

Quel est l’animal domestique le plus dangereux, le chien à quatre pattes d’Annabelle ou votre chat à trois pattes ?
J’adore les chiens. Celui d’Annabelle est à l’image d’un des miens. Très loyal. Il tient un rôle primordial à la fin du roman. Il aide Annabelle. C’était une scène plutôt difficile à écrire parce que d’un certain point elle sacrifie son chien mais que le lecteur se rassure, son chien s’en tire. J’aime trop les chiens pour les tuer dans mes romans ! Je peux tuer des personnes mais pas des animaux.

Si je veux écrire un bon thriller, est-ce que je dois savoir cuisiner des "flaming saganaki" ?
Plus tôt dans ma carrière, avant que j’écrive, j’ai été serveuse dans un snack-bar, et j’ai vécu une expérience qui s’est terminée, je crois, de façon plutôt désagréable en faisant cuire du fromage. Ce qui est intéressant c’est que beaucoup d’auteurs ont débuté leur carrière dans des restaurants ou assimilés. Du moins aux États-Unis. Certains, comme moi, au service. Et je crois que c’était une bonne chose d’être une serveuse si maladroite ! Mais à cette époque, pour vivre, je n’avais pas d’autres choix. Alors, je faisais du mieux que je pouvais. Je crois cependant que je suis devenue un meilleur écrivain. Avoir mis le feu à mes propres cheveux a cependant été une bonne expérience. Elle m’a beaucoup inspirée. Elle fera sûrement un bon point de départ pour un thriller. Je pense sincèrement que j’étais au maximum de mes capacités de serveuse et que je n’aurais pu prétendre m’améliorer.

Vous êtes ici pour les trente ans de la collection "Spécial suspense". Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je suis très honorée déjà d’être publiée en France par Albin Michel. C’est un vrai plaisir d’être ici pour cet anniversaire et de porter un regard sur cette collection et ses nombreux auteurs et livres publiés. Je crois qu’en trente ans, quinze millions de livres ont été vendus. En tant que lectrice de thrillers ça m’impressionne beaucoup de savoir que l’on peut en vendre autant dans une même collection. Et Albin Michel a une grande histoire avec de très nombreux et fameux auteurs de suspense. Avec Mary Higgins Clark qui a toujours eu une énorme influence sur moi. J’aime à penser qu’en tant qu’écrivain j’ai réussi à reprendre à mon compte cette notion qu’elle a poussée à son paroxysme et qui est que le danger est vraiment très proche de nous tous. Mais aussi les procédures policières qui sont omniprésentes dans les thrillers modernes, et qu’elle a contribué à développer. Donc c’est un honneur d’être ici et de faire partie des auteurs de cette prestigieuse collection. Et j’ai beaucoup de respect pour mon éditeur.

Est-ce que les traductions françaises de vos romans vont être en bonne place dans votre bibliothèque ?
Oui, bien sûr ! Actuellement je vis dans une grande maison proche du Canada. Il y a beaucoup de personnes autour de moi qui parlent français. C’est vraiment très sympa de pouvoir discuter de littérature de France avec eux et aussi de pouvoir leur montrer mes livres avec un titre français !


Liens : Lisa Gardner | Sauver sa peau Propos recueillis par Julien Védrenne

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