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vendredi 29 mars

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L'atypique enquêteur de François-Henri Soulié

Jeudi 20 avril 2017 - François-Henri Soulié s'est imposé dans le paysage littéraire avec Il n'y a pas de passé simple, un polar remarqué par le Prix du Premier roman au Festival International du Film Policier de Beaune en mars 2016. Cependant, ce n'était pas tout à fait un inconnu car il co-écrit avec Thierry Bourcy une série historique pour la collection "Grands Détectives" des éditions 10-18.
Il propose ce mois de mars 2017 Un futur plus que parfait, un second volet extrêmement attrayant des enquêtes de son atypique détective. C'est le moment ou jamais de faire plus ample connaissance avec ce romancier au talent plus que prometteur.
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© D. R.



k-libre : L'écrit est partie prenante dans votre vie professionnelle axée sur le théâtre. Mais qu'est-ce qui vous a amené à la rédaction de romans, et particulièrement de romans policiers tels que Il n'y a pas de passé simple ?
François-Henri Soulié : Je tiens en très haute estime ce que l'on peut appeler le "divertissement populaire". J'entends par là une forme d'art apte à toucher le plus grand nombre. Il me semble que quelqu'un comme Shakespeare faisait ça très bien. Le roman policier est un genre qui me paraît remplir les conditions idéales pour toucher un grand nombre de lecteurs en abordant un large éventail de sujets. Mon écriture pour le théâtre participe du même état d'esprit. J'essaye de trouver une parole, une écriture, les plus ouvertes possibles.

k-libre : Quel a été le germe, le zygote de votre roman ? Est-ce une phrase, une image, une idée ?...
François-Henri Soulié : Le point de départ de Il n'y a pas de passé simple était l'envie de parler de la barbarie, au sens très large. Il est question dans le roman du nazisme, du racisme, du viol d'enfants... J'ai ensuite cherché un récit capable de véhiculer ces sujets de façon plus allusive que directe. De même, le sujet profond d'Un futur plus que parfait est le transhumanisme. Je crois que le vrai sujet de mes textes tourne à chaque fois autour de la nature humaine.

k-libre : Comment avez-vous choisi Skander Corsaro, votre héros ? S'est-il imposé ou l'avez-vous imaginé à partir d'expériences et rencontres diverses ?
François-Henri Soulié : Skander Corsaro est un personnage auquel je pensais depuis longtemps. C'est vraiment un être "hybride" composé de plusieurs personnes que j'ai rencontrées. Il reste néanmoins une créature de fiction. D'autre part, je ne voulais ni un flic, ni un détective comme héros de mes polars. La figure du journaliste s'est imposée comme une évidence. Cela lui permet de naviguer dans des milieux très différents et de s'intéresser à toutes sortes de domaines. J'avais aussi envie de montrer un jeune homme un peu naïf qui découvre le monde et prend le réel de plein fouet. Ce n'est pas un vrai "héros positif". Il est bourré de défauts, comme tout le monde. Il le sait et tâche de se débrouiller avec ça. Il est plutôt honnête, mais il peut être crapule aussi, parfois. Il a ses petits arrangements avec la vérité. Mais c'est un mec bien.

k-libre : Skander Corsaro est un pseudonyme. Il se fait appeler Corsaro car il est l'heureux propriétaire d'une Morini Corsaro de 1969, "la plus belle moto à cent kilomètres à la ronde". Êtes-vous amateur de motos anciennes ?
François-Henri Soulié : Gamin, j'ai beaucoup rêvé autour de la moto de Lawrence d'Arabie. Je crois que c'est une des raisons qui m'a poussé à faire de Skander un motard. À mes yeux, les motos anciennes ont fière allure. Et puis le vieux mythe du chevalier correspondait assez bien à la candeur de mon héros. En ce qui me concerne, je serais bien incapable de conduire une moto. Je n'ai d'ailleurs pas le permis.

k-libre : Skander est stagiaire au Courrier du Sud-Ouest. Pourquoi le faire débuter votre série avec ce statut, et pourquoi avez-vous retenu le Sud-Ouest comme cadre de ses enquêtes ?
François-Henri Soulié : Dans mes activités artistiques j'ai eu l'occasion de fréquenter un assez grand nombre de journalistes. J'ai appris pas mal de choses à leur contact. Ça a certainement influé sur mon choix. Quant au sud-ouest de la France, où je vis, c'est une des régions que je connais le mieux. Je n'exclue pas de faire voyager Skander dans d'autres régions comme l'Alsace ou la Provence où j'ai beaucoup vécu et travaillé. En tout cas, je voulais éviter Paris qui est un décor qui a trop servi, à mon goût. Le côté provincial est aussi porteur d'un autre regard. Il me semble que la majorité des Français habite d'ailleurs en "province"...

k-libre : Skander se retrouve en charge de la rubrique "Culture" du journal parce que, faites-vous dire à M. Berland, le rédacteur en chef, cela n'intéresse aucun journaliste. Cet avis est-il fondé sur une réalité ou est-ce pour les besoins de vos intrigues ?
François-Henri Soulié : Bien sûr la phrase de M. Berland est volontairement provocatrice. Il dit ça pour stimuler Skander et le pousser à lui prouver l'inverse. Cependant, j'ai pu constater assez fréquemment que la rubrique "Culture" est le parent pauvre de certains quotidiens régionaux. Il suffit de comparer cette page avec celles des sports. Ce n'est pas systématique, heureusement. Mais... Cette situation n'est d'ailleurs pas le fait des journalistes eux-mêmes, mais de certains directeurs de rédactions.

k-libre : Dans Il n'y a pas de passé simple, vous entraînez votre héros dans une chasse au trésor cistercien, avec une intrigue aux multiples ramifications qui plonge ses racines dans le passé. Pourquoi revisiter ce thème à la limite du roman d'aventures ?
François-Henri Soulié : Peut-être une séquelle du "Club des 5" et de Rouletabille ? Dans la lettre aux éditeurs qui accompagnait le manuscrit de Il n'y a pas de passé simple, je parlais d'un roman "plus noir que rose". Il se trouve que j'ai été édité dans le genre polar. Pour moi, la notion de genre est assez floue. Les fans de thrillers seront sans doute déçus. Mais j'ai des confrères qui font ça très bien. Ma petite musique personnelle est sans doute assez panachée. Rocambole ou Sherlock Holmes, je ne sais pas trop qui choisir. Sans parler de Tintin... Est-ce que j'écris vraiment des romans policiers ? Il me semble que oui, mais ce n'est pas à moi de le dire. On m'a fourré là-dedans et je m'y sens bien.

k-libre : Dans Un futur plus que parfait, c'est à partir d'une Vénus venant du paléolithique supérieur que Skander se retrouve en butte aux menées menaçantes d'une secte, "L'Église des Sentinelles du Mystère". Pourquoi vouliez-vous plonger dans le fonctionnement sectaire ?
François-Henri Soulié : La découverte d'une "Vénus" pose la question de l'invention du sacré et, parallèlement, du religieux. Toutes les religions officielles sont des sectes qui ont réussi. La fonction première de la religion est de canaliser la violence du groupe social. D'où les sacrifices, les boucs émissaires, etc. Au fil des siècles, les choses s'affinent, les civilisations se polissent et se policent, on passe du sacrifice humain au sacrifice animal puis au sacrifice symbolique. Mais la violence sous-jacente reste présente. La secte primaire ou primitive avec ses tabous et ses illusions mortifères m'intéresse en tant que perversion du sens du sacré. Aujourd'hui, par exemple, l'Occident a développé une véritable mystique du confort et du bonheur. Le rêve transhumaniste est d'essence religieuse. Dans le roman, la secte n'est que prétexte à souligner une situation de perdition de la pensée.

k-libre : Vous construisez, autour de votre héros une galerie de personnages pour le moins hétéroclite : un poisson jaune, un ami de longue date, blond, chef d'entreprise et homosexuel, un fantôme, un couple en constante dispute... Pourquoi retenir de tels personnages ?
François-Henri Soulié : Tous mes personnages sont décalqués du réel. Je les fabrique par un montage d'éléments pris chez divers modèles. Mais tous existent ou ont existé. Pour certains, je charge un peu la touche – mais à peine -, pour qu'ils gagnent en relief. Sauf les vrais salauds que j'invente de toutes pièces. Je fais d'ailleurs la même chose avec la géographie. Tous mes décors sont vrais mais recréés. Pour faire couler la Gardance dans mes livres, j'ai mêlé les eaux de la Garonne et de la Durance, par exemple... Pour en revenir aux personnages, j'aime beaucoup Tonio, le copain de Skander. C'est un personnage qu'on rêverait d'avoir pour ami. Il pète de bonne santé, il est serviable et généreux. Un peu trop rationnel, peut-être ? C'est un Rahan gay. Quant à Blb, le poisson rouge qui est jaune, c'est vraiment l'animal de compagnie de Skander. C'est aussi sa part de fêlure. Peut-on vraiment sympathiser avec un poisson ? J'ai connu un garçon qui avait cette relation-là. Il parlait avec son poisson comme on parle à un chat ou à un chien. C'est peut-être le comble de la solitude. Ou de l'humour. Je ne trancherai pas. Milly la secrétaire et son amoureux Jules sont des gens qui passent leur vie à s'engueuler pour se dire qu'ils s'aiment. Il me semble qu'ils ne sont pas seuls de leur espèce. C'est l'amour-passion, "ni avec toi, ni sans toi". C'est assez pénible pour l'entourage, mais eux sont très à l'aise dans cette situation.

k-libre : Vous semblez fasciné par le mystère des gens, ceux que l'on rencontre dans une situation donnée mais dont le passé est riche en actions bien différentes de celles qu'ils exécutent "dans la banalité des jours", comme Chon-Chon, Monsieur Max, Melle Sœuil... Est-ce le cas ?
François-Henri Soulié : Je crois que j'aime les gens. En tout cas j'aime les observer. Surtout ceux qui ne me ressemblent pas. Ceux qui ont en eux une forte charge poétique. Il me semble aussi que chacun de nous porte une part de mystère à un degré plus ou moins fort. J'aime regarder de ce côté-là. Melle Sœuil, par exemple, a bel et bien existé. C'était une grande Résistante. Sa bicyclette est exposée au mémorial de Yad Vashem. Elle portait un autre nom dans la réalité, bien sûr, et son aventure était un peu différente, mais c'est elle. Je peux aussi dire que c'est la merveilleuse comédienne Suzanne Flon qui m'a inspiré indirectement une bonne part du bouquiniste Chon-Chon. Je n'invente pas grand-chose. Je me contente de transformer un peu le réel. J'ai eu aussi la chance, tout au long de ma vie, de rencontrer des gens assez extraordinaires. Porteurs d'univers. Créer des personnages à partir de leur souvenir, c'est ma façon de leur rendre hommage. Les retenir un peu. Qu'ils ne sombrent pas tout à fait dans l'oubli.

k-libre : Vous introduisez un petit côté fantastique avec une médium, le fantôme d'une jeune fille dont le héros est amoureux et qui intervient de plus en plus... Êtes-vous tenté par ce genre et l'écriture de livres s'y intégrant ?
François-Henri Soulié : C'est assez paradoxal. Je ne crois pas du tout aux fantômes, et le fantastique ne me fascine pas. Cependant, je suis très sensible à tout ce qui touche au mystère et à la place qu'il prend dans l'imaginaire. Par exemple, l'univers des rêves m'intéresse beaucoup. Après tout nous croyons tous à la réalité de nos rêves quand ils nous visitent dans le sommeil. Et il y a des gens qui sont persuadés qu'ils ont vu des fantômes ou que les anges existent. Alors, pourquoi ne pas me servir aussi de cette réalité-là ? Le chiffre d'affaires de la voyance est très élevé dans nos pays dits rationalistes. J'imagine qu'une grande partie de mes lecteurs lit son horoscope. Je parle aussi à cette sensibilité. Mais je serai incapable d'écrire un livre sur le surnaturel. J'aurai trop de mal à y croire moi-même. Cependant, le fantastique ou le merveilleux sont une part de la condition humaine.

k-libre : À la lecture de vos romans, on rit, on sourit beaucoup. Vous avez pris le parti de l'humour et le pari est réussi. Mais n'est-ce pas une voie difficile car faire rire est ardu ?
François-Henri Soulié : "C'est une étrange entreprise que de faire rire les honnêtes gens", disait Molière. Notre époque semble se complaire dans une sorte de délectation morose. J'ai envie de donner un certain sourire à ceux qui me lisent. Parler gravement des choses graves, cela me paraît assez vulgaire. L'élégance est dans l'humour. Mes modèles d'élégance : Coluche, Desproges, Woody Allen, Alphonse Allais... Mon humoriste préféré : Cioran. Nous sommes des êtres provisoires, et la vie est vraiment trop courte et finit trop mal pour qu'on la prenne au sérieux, non ? J'ai été frappé, adolescent, par une phrase de Françoise Giroud qui disait ceci : "Il n'y a pas d'autre belle époque que celle où l'on est vivant". Je crois que ça m'est resté. Il me semble aussi que l'humour nous dédouane de l'horreur et de la mort. Alors je m'adonne sans retenue à cette "étrange entreprise". Si j'y réussis, tant mieux. Je détesterai qu'on me prenne au sérieux. Donner le sourire à quelqu'un est un des plus beaux cadeaux qu'on puisse lui faire. La vie est très emmerdante, mais chaque seconde est adorable.

k-libre : On pressent un goût certain pour la belle phrase, la belle image, le sentiment justement exprimé. N'êtes-vous pas entiché des mots, de leur assemblage, de leur rapprochement pour des textes au vocabulaire relevé ?
François-Henri Soulié : Je crois que les mots sont le territoire de l'imaginaire et de la liberté. Ils sont ma vraie patrie. C'est par mes lectures et les discussions que j'ai eues avec les autres que je suis devenu moi-même. Le verbe a non seulement le pouvoir de décrire le monde, mais aussi celui de le créer, d'influer sur lui. Le verbe peut transformer le réel. C'est aussi le piège, si on n'y prend pas garde. Beaucoup de gens sont morts à cause des mots. Mais je crois aussi à leur pouvoir salvateur. Je m'inquiète d'une certaine paupérisation du parler quotidien. Les mots nous aident à penser. S'ils se raréfient, la pensée s'étiole. En tant qu'écrivain, j'ai envie de donner un petit coup de main à la langue française. L'aider à évoluer, créer des néologismes, décaper des expressions usées, leur redonner leur fraîcheur première. Et puis s'amuser avec la langue. À l'exception des langues mortes – figées à tout jamais -, toutes les langues sont des patois. C'est-à-dire qu'elles s'inscrivent dans un courant vivant qui les modifie, les altère, les transforme d'époque en époque. Et c'est tant mieux. Le français est ainsi un patois de grec, de latin, d'arabe, de wisigoth, mal entendu, mal répété, mal écrit et ça donne, au passage, Racine et Céline ou Duras, Frédéric Dard et Romain Gary, etc. Bref, des merveilles ! Pour tout dire, il me semble que lorsqu'on est Français et qu'on commence à écrire, on se rend compte très vite qu'on n'est pas Marcel Proust. Il faut donc inventer autre chose. Une autre musique à soi. Une autre façon d'employer la langue, de jouer avec. Bref, je me roule dans les mots comme un veau dans les marguerites.

k-libre : Êtes-vous si passionné par la conjugaison que vous utilisez, de façon ludique mais remarquable, les modes pour vos titres ?
François-Henri Soulié : Encore une affaire de langue ! J'étais un élève assez médiocre, pour ne pas dire pire. Mais j'ai toujours aimé les temps grammaticaux qui témoignent à leur façon du temps humain. Ainsi dans Il n'y a plus de passé simple, je me suis amusé à tout raconter au passé sans employer une seule fois le temps du passé simple. C'était un petit code d'écriture que je m'étais donné. Une complication pour le plaisir. Le prochain livre s'appellera Le Présent n'a plus le temps. Ensuite, je verrai si je continue à conjuguer ou pas. C'est très amusant d'écrire sans le passé simple alors que toute une partie de la littérature française se fonde sur ce temps. D'autre part, j'adore ce qu'on appelle les "mots d'auteur". Les auteurs aiment les écrire, les comédiens aiment les dire et le public aime les entendre. Il n'y a que les critiques culs-pincés qui n'aiment pas ça. Alors vive Audiard et merde à Jean-Jacques Gautier et ses descendants ! Je me méfie du bon goût.

k-libre : Skander possède une bibliothèque de huit cent soixante-douze volumes, qui dans le courant de l'intrigue passe à huit cent soixante-treize. Pourquoi être aussi précis ? Connaissez-vous le nombre des livres qui garnissent votre bibliothèque ?
François-Henri Soulié : À une époque de ma vie, j'ai compté les livres de ma bibliothèque. Il y en avait huit cent soixante-douze. Je les ai mis chez Skander. En souvenir. Maintenant je n'ai plus l'âge, ni le temps de compter. J'ai vendu, donné, perdu, racheté des tas de livres. Ils entrent et sortent de chez moi sans arrêt.

k-libre : Quand votre héros est enfant, sa mère, institutrice, lui fait collectionner des fiches "Beaux-Arts", une heureuse initiative qui lui est très utile. Est-ce une réminiscence de votre propre enfance ou est-ce pour les besoins de vos histoires ?
François-Henri Soulié : Ma mère, qui n'était pas institutrice, m'a appris à lire, écrire et compter. Je suis allé à l'école très tard. Mais à neuf ans et demi j'étais en sixième. Je connaissais très bien la mythologie grecque et le théâtre élisabéthain, mais j'ignorais tout du Journal de Mickey. J'étais totalement inadapté, pas du tout "socialisé". C'était mon Âge d'Or. Ensuite, je me suis crétinisé tout seul au contact des autres, et puis la puberté en a rajouté une couche... Les fiches "Beaux-Arts", ce n'est pas un souvenir d'enfance, mais j'avais un copain qui les collectionnait. Disons que c'est un souvenir emprunté.

k-libre : Vous faites exprimer sur l'acte de création d'une œuvre d'art, sur les artistes, une théorie fort intéressante. C'est une maladie humaine dénommée la maladie du mystère qui amène selon votre exemple, Van Goth à peindre un champ de blé plutôt que "le moissonner, à la rigueur pour se rouler dedans". Est-ce une théorie qui se répand ?
François-Henri Soulié : Je ne crois pas à l'idée originale. Peut-être que cette théorie existe sous d'autres plumes. Je l'ignore. Mais c'est vraiment ce que je pense sur la création artistique. C'est une maladie ravissante. Une part de la dignité humaine est là-dedans. Je crois que lorsque Rembrandt peint son "Bœuf écorché" il questionne directement le Mystère. Ça n'a rien à voir avec la boucherie ou l'élevage des bovins. C'est une interrogation sur la mort à partir d'un élément de la vie elle-même : la nourriture. C'est de l'art sacré non religieux. D'ailleurs il a peint aussi la "Leçon d'anatomie". Ça le travaillait sérieusement.

k-libre : Vous présentez Jojo le Bonobo. Celui-ci possède "98,7 % de génotypes semblables aux nôtres". Il a des capacités remarquables mais "n'a jamais commis la moindre œuvre d'art dans sa carrière longue pourtant de plus d'un million d'années". Le besoin de création se nicherait-il dans les 1,3 % qui différencient le Bonobo de l'Homo Sapiens ?
François-Henri Soulié : J'ai un immense respect pour la recherche scientifique, médicale, etc. Mais je reste persuadé que la création artistique est une activité sublime. D'ailleurs que nous reste-t-il majoritairement du passé ? Les œuvres d'art. Tout autant que de nos parents, nous sommes les enfants des films, des livres, des musiques, des poèmes, des chansons qui nous ont faits ce que nous sommes. Un bonobo est seulement l'enfant de deux bonobos. Moi, je suis l'enfant de Mozart, de Chaplin, de Sophocle, de Louis Armstrong, de Frida Khalo... la liste de mes pères et mères est infinie. Mais il faudrait poser cette question à un neurobiologiste. Je ne suis pas vraiment fondé pour y répondre.

k-libre : Parallèlement aux enquêtes de Skander Corsaro, vous écrivez à quatre mains avec Thierry Bourcy une série de romans policiers historiques qui paraissent en "Grands Détectives" chez 10-18. Votre héros est capitaine de la garde de l'empereur Rodolphe à Prague. Comment passez-vous de l'un à l'autre chacun étant bien différent ?
François-Henri Soulié : L'écriture à deux est essentiellement un jeu de complicité. Thierry Bourcy et moi, nous nous connaissons depuis presque trente ans. C'est le scénariste de Truffaut, Bernard Revon, qui était un ami commun, qui nous a présentés l'un à l'autre. Thierry vit en Bretagne, moi à Montauban. Comme nous avons des imaginaires très différents, c'est excitant d'écrire ensemble. Nous essayons de nous surprendre, de nous étonner l'un l'autre. Aucun problème d'ego là-dedans. Nous essayons de trouver un ton, un couleur XVIIe siècle. C'est un tout autre style que celui que nous aimons développer chacun de notre côté. Disons que Thierry est certainement davantage scénariste et moi, peut-être, davantage dialoguiste. Je crois que nous nous complétons dans ce jeu.

k-libre : Question incontournable : Avez-vous de nouveaux romans en cours avec une autre enquête de Skander, du Capitaine Kassov, un nouveau détective ?... Pouvez-vous en dire quelques mots ?
François-Henri Soulié : Nos éditeurs continuant de nous faire confiance, nous sommes en train d'écrire ensemble le tome 3 des aventures de Josef Kassov et de son neveu, Mattheus, pour la collection "Grands Détectives". Le nouvel épisode se passera en France peu après l'assassinat d'Henri IV. Une époque vraiment effrayante avec Marie de Médicis aux affaires et le couple infernal des Concini qui pillait le trésor. De mon côté je travaille le tome 3 des aventures de Skander Corsaro, pour les éditions du Masque. Cette fois, nous irons au cirque. Je compte engager Nino Rota pour la musique. J'aime beaucoup ce qu'il a fait chez Fellini. Très "dzim-boum-boum". J'adore.


Liens : François-Henri Soulié | Un futur plus que parfait | Festival International du Film Policier de Beaune Propos recueillis par Serge Perraud

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