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Mais je voulais en savoir plus, je voulais en voir plus. Pour une raison que je ne m'expliquais pas, je voulais revenir dans ce lieu en plein jour, tout voir, découvrir ce qui était occulté, révéler ce qui était caché.
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Xavier Armange : dissocier la fiction de la réalité

Jeudi 15 décembre 2011 - Comment bâtir un roman à partir d'un fait divers ? Les noms cités qui battent le rappel en quatrième de couverture (Boileau-Narcejac, Henri-Georges Clouzot, Me René Floriot et Alfred Hitchcock dans les documents d'archives) sont-ils employés à bon escient ? C'est le moment de poser quelques questions à Xavier Armange, créateur des éditions D'Orbestier (désormais aux mains de son fils Cyril) et auteur de La Malle Sanglante du Puits d'Enfer. L'ouvrage, qui pourrait s'apparenter à une fiction documentée revient sur un des nombreux faits divers qui a alimenté et défrayé la chronique en son temps. Le Puits d'Enfer est un lieu que connait très bien Xavier Armange. Il était donc normal, lorsque l'on connait l'homme, que cette histoire le titille...
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© Martine Leclerc



k-libre : Comment s'est passée l'élaboration de ce livre ?
Xavier Armange : Je suis venu habiter en face de l'ancienne abbaye Saint-Jean-d'Orbestier près des Sables-d'Olonne. Je passais le long de la faille du Puits d'Enfer chaque jour et savais que ce lieu, au nom déjà en soi fantasmatique, avait été le théâtre d'un drame. Mais quand ? Qui ? Les avis divergeaient ; le temps déforme la vérité et la mémoire s'effiloche. Étant écrivain, raconteur d'histoires, j'ai pensé qu'il y aurait peut-être là matière pour une notice ou un petit livret. Je ne me doutais pas de ce qui m'attendait.

k-libre : Avez-vous eu accès aux dossiers de procédure ou seulement aux comptes-rendus de la presse ?
Xavier Armange : J'ai d'abord dépouillé la presse locale autant que je pouvais l'obtenir. Puis la presse nationale, les magazines. J'ai obtenu aussi quelques informations officielles judiciaires, sources pour lesquelles je souhaite rester discret. J'ai retrouvé des témoins oculaires de plusieurs épisodes du drame et communiqué avec un membre de la famille.

k-libre : Est-ce un travail plus prenant que pour un roman classique ?
Xavier Armange : Je crois. Tout roman à caractère historique nécessite un temps de recherche et de préparation qui peut être très long. Dans mon cas j'ai soigneusement amassé ce qui était avéré et me suis beaucoup documenté sur cette époque de l'après-guerre encore trouble. Certaines informations m'ont posé quelques problèmes. La Matford par exemple, voiture achetée par la criminelle. Ford France ne la connaissait pas, pas plus que Ford USA à qui j'ai envoyé un mail. Finalement c'est un ami – Patrice Rodot – érudit, grand spécialiste des automobiles, qui m'a indiqué que c'était une brève liaison entre les marques Mathis et Ford, avant-guerre. Je ne saurais trop le remercier. J'ai aussi battu la campagne pour retrouver l'hôtel de la rue de Boulainvilliers. Il existe toujours sous un autre nom mais n'a pas conservé la mémoire de cette aventure, comme l'Hôtel du Nord. Peut-être la revendiquera-t-il si un film est tourné un jour à partir de ce livre.
À un moment il faut s'arrêter dans ses recherches et c'est le romancier-assembleur qui entre en écriture pour donner une cohérence à ce qu'il a appris, créer un climat et combler les lacunes. Raconter un fait divers ne m'intéresse pas, c'est au mieux affaires d'historien, ce que je ne suis pas. C'est la dimension romanesque qui m'intéresse. Essayer de cerner – ou d'imaginer – la personnalité des protagonistes, leurs motivations toujours complexes et plonger le lecteur dans l'ambiance d'une époque.
Dans l'écriture d'un policier totalement imaginaire – si tant est que l'on puisse faire tabula rasa de ce que l'on est et de ce que l'on sait – tout est permis ou presque et l'imaginaire n'a que les contraintes que s'impose l'auteur.

k-libre : Vous faites le choix du présent, pouvez-vous expliquer pourquoi ?
Xavier Armange : Je pense que dans ce type d'ouvrage, ce temps présent, actif, rend plus vivant le récit en l'actualisant. Il devient peut-être ainsi plus objectif. Et puis les jeunes peinent à lire, et encore plus à écrire au passé simple. De plus on les encourage – abusivement à mon avis – à privilégier le présent dans leur récit.

k-libre : Tout ce travail sur les scènes découpées et parfois mélangées qui oblige à des flash-back est-il venu naturellement ? Pourquoi n'avoir pas respecté l'ordre chronologique des faits ?
Xavier Armange : Ce sont des ficelles censées captiver le lecteur et ménager le suspense. J'ai tenté de ne pas les rendre trop gosses. J'aime le flash-back au cinéma ou en littérature, il permet de téléphoner des informations, donner des clefs qu'on oublie d'ailleurs parfois en cours de lecture. Un récit linéaire peut lasser, trop convenu dans son déroulement narratif. Le flash-backs permet à l'auteur de répondre au choix qu'il se pose de façon rémanente pour la structure de son récit : le lecteur doit-il connaître d'emblée la chute et se placer du côté de celui qui sait — le criminel par exemple — en jouissant secrètement des aléas de l'enquête ou doit-il attendre le dénouement final en émettant des hypothèses et s'embarquer sur de fausses pistes comme dans le polar traditionnel de type Agatha Christie ? Personnellement j'aurais un faible pour le premier choix mais tout dépend de ce que l'on écrit. Dans une biographie de Louis XVI par exemple, le problème est vite réglé.

k-libre : À votre avis, quels sont les écueils à éviter lorsque l'on écrit sur un fait divers réel ?
Xavier Armange : De prétendre que tout est vrai à cent pour cent, on n'est jamais dans la peau des protagonistes et on ne peut qu'émettre des hypothèses. Je pense du bien d'Alexandre Dumas qui se servait de l'histoire pour broder autour et la rendre plus passionnante, sinon plus vraie. La réalité est parfois décevante. C'est plus facile lorsqu'on raconte des événements anciens et d'Artagnan ne risquait pas de venir contester le récit. Je n'aimerais pas écrire à chaud sur des drames très récents, on est forcément partisan, imprégné de l'air du temps et on se trompe tout autant. C'est un travail de journaliste. Raconter un fait divers un peu ancien qui appartient à l'Histoire m'intéresse plus.

k-libre : Pouvez-vous nous citer des ouvrages de ce type qui vous trouvez intéressants ?
Xavier Armange : Non, il ne m'en vient pas à l'esprit. Le policier "historique" est beaucoup moins répandu que le policier pur. On trouve de nombreuses biographies de criminels mais le genre est différent. Il y a des éditeurs spécialisés dans des séries de faits divers archi-remoulus. Le plus souvent ce sont de simples compilations où l'auteur pompe sans vergogne à droite et à gauche ses petits camarades (j'en ai été la victime) sans remonter aux sources ni vérifier la part des faits réels et ceux qui ont été inventés.
Le polar, situé dans l'histoire, à partir de faits souvent réels, est en mode, Christian Jacq en est un bon exemple ; Ken Follet ou Jean-François Parot, avec Nicolas Le Floch, également.

k-libre : Vous avez été invité dans l'émission "L'Heure du Crime" sur RTL. Qu'en avez-vous pensé ?
Xavier Armange : C'est une émission populaire, le titre est un peu racoleur mais, en ce qui me concerne, j'ai été surpris par la pertinence des questions que me posait Jacques Pradel sur l'affaire de La Malle sanglante du Puits d'Enfer, la qualité de la préparation de son émission et son professionnalisme. C'est un homme qui a une grande expérience de la radio. Il a eu le talent de faire monter la pression sans lourdeur. C'est un très bon conteur. Les techniciens et son équipe qui en ont vu d'autres semblaient vraiment accrochés. Entre les inévitables séquences de pub ils attendaient tous la suite avec un intérêt qu'ils ne dissimulaient pas.

k-libre : Dans la documentation de votre ouvrage, La Malle sanglante du Puits d'Enfer, vous écrivez que Boileau-Narcejac tira de l'Affaire Farré (1949-1950) l'argument de leur roman Celle qui n'était plus (1952) adapté ensuite par Henri-Georges Clouzot sous le titre Les Diaboliques en 1955. Êtes-vous sûr de cette filiation ? Il y a une grande disparité entre le livre et l'adaptation, et sans doute plus entre l'Affaire et le livre.
Xavier Armange : J'ai trouvé pas mal de similitudes et recoupé l'information sans avoir d'autres certitudes. Thomas Narcejac était Nantais et ce fait divers ne lui a certainement pas échappé, en connivence sans doute avec Clouzot. Comme tous les auteurs, il a dû lui aussi utiliser des éléments de sa mémoire pour nourrir son livre.

k-libre : Vous dîtes aussi qu'Hitchcock s'inspira de l'Affaire pour Vertigo/Sueurs froides (1958). Or, il adapta un autre livre de Boileau-Narcejac, D'entre les morts (1954). Est-ce une confusion ?
Xavier Armange : C'est possible, il faudrait que je retrouve mes archives.

k-libre : Clouzot se servit de faits divers pour bâtir ses films. On pense à l'affaire des lettres anonymes de Tulle pour Le Corbeau et surtout l'Affaire Pauline Dubuisson pour La Vérité. Vous publiez une photo de Clouzot et de sa femme avec Me Floriot "lors du procès". Êtes-vous bien sûr que c'est lors du procès d'Andrée Farré ? Floriot intervint aussi lors du procès de Pauline Dubuisson.
Xavier Armange : Vous êtes très calé ! C'est ainsi que je l'ai trouvée dans la presse, ce n'est pas le plus important dans l'histoire. Je conseille aux lecteurs de ne pas croire tout ce qui est écrit dans les livres et dans les médias en général. Même sur le net. Le doute est le propre de l'homme.


Liens : Xavier Armange | La Malle sanglante du Puits d'Enfer Propos recueillis par Michel Amelin

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