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Les morts de ces derniers jours. Il ne sait pas pourquoi ils l'obsèdent ainsi, lui qui croyait s'être fait une raison, forgé une armure, livrant combat sans trop de blessures, étourdi quelquefois par le boucan de la ferraille que ça faisait mais qui restait sans résonances et le rendait peut-être un peu plus sourd à chaque fois.
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Armelle Carbonel : "Soyons lecteurs mais pas voyeurs "

Mercredi 05 octobre 2011 - C'est par le biais de "L'Heure des comptes", la chronique mensuelle que je consacre aux livres auto-édités, publiés à compte d'auteur ou sur la base de contrats participatifs que j'ai été amené à découvrir Criminal Loft, le troisième thriller d'Armelle Carbonel.
Impressionné par la qualité de son récit, j'ai souhaité en savoir un peu plus sur cette mystérieuse auteure qui construit son œuvre sereinement et avec talent, en marge des structures éditoriales traditionnelles.
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© D. R.



k-libre : Bonjour, je découvre votre travail d'écrivain par le biais de votre dernier roman, Criminal Loft, et je constate du même coup que vous avez déjà publié quatre autres livres, dans des registres assez différents (deux autres thrillers, mais aussi un recueil de poèmes et un roman de "strass et de paillettes" comme le décrit une de vos lectrices). Voilà des univers très éloignés les uns des autres. Quel est votre fil conducteur en tant qu'auteure ? Quels sont vos modèles en littérature ?
Armelle Carbonel : Mon registre s'étend également à l'écriture théâtrale et même à un chant militaire écrit sur demande ! [Sourires.] Mes principales sources d'inspiration naissent au travers du regard que je porte sur le monde. Un visage singulier qui attire mon attention dans la rue, une peinture qui éveille en moi des sensations, quelques notes de musique faisant naître une foule d'images... Tout ce qui m'entoure est potentiellement propice à la création. Les idées naissent, s'assemblent comme les pièces d'un puzzle et prennent leur forme définitive en fonction du message que je souhaite véhiculer. Par exemple, un poème résultera davantage d'une émotion brute, parfois violente tandis que la trame d'un roman aura pris racine depuis longtemps, s'étoffant progressivement jusqu'à maturation. La diversité de mes écrits pourrait ressembler à une errance littéraire mais ce n'est pas le cas. Écrire est un acte d'amour et, comme tout sentiment, il est susceptible d'évoluer au fil du temps, de se modifier au gré des événements qui jalonnent l'existence. Aujourd'hui, je m'épanouis dans l'écriture de thrillers mais qui sait si, demain, je ne ressentirai pas le besoin d'explorer d'autres horizons ?
Quant à mes modèles en littérature, j'emploierais plutôt le terme d'idéal littéraire, qui répond davantage à la vision que j'ai de Cizia Zykë, dont la récente disparition m'a profondément affectée. J'ai découvert son œuvre romanesque en 2001 avec Buffet campagnard. Autant vous dire que depuis, j'ai dévoré tous ses livres avec un appétit féroce ! Jamais je n'ai su retrouver les émotions que m'ont procuré ces lectures. Au-delà du "baroudeur" décrit dans Oro, Cyzia Zykë maîtrisait l'art de vous emporter dans de sombres histoires que je qualifierais d'inclassables.
D'autres écrivains m'ont insufflé le goût du suspense : Stephen King (Carrie, mon plus vieux souvenir de lecture. J'avais dix ans !), Dean Koontz, Maxime Chattam, Laurent Scalese, Fred Vargas, Val McDermid, Andrew Taylor, Preston & Child, Agatha Christie... pour ne citer qu'eux !

k-libre : Depuis trois livres au moins, vous semblez vous spécialiser dans le "thriller". Pourquoi ce choix ?
Armelle Carbonel : Ce n'est pas réellement un choix, mais un besoin ! J'essaie d'écrire ce que j'aimerais lire. J'ai toujours nourri un intérêt particulier pour la psychologie criminelle (réminiscence de faits survenus dans mon enfance), pour les lieux insolites, les phénomènes inexpliqués, le "pourquoi" du Mal, alors c'est naturellement que j'ancre mes histoires au cœur du frisson en associant ces composantes. Je pense que plonger dans la noirceur permet de s'en préserver et de trouver ses propres réponses même si elles ne reflètent pas toujours la vérité. Avec Criminal Loft, j'ai vécu une expérience unique au point de frémir en apposant le mot "Fin". Je ne parvenais pas à admettre qu'il me fallait abandonner mes personnages, pour les laisser vivre... ou mourir !

k-libre : Vos ouvrages sont tous publiés en autoédition. Pourtant, quand on lit Criminal Loft on est frappé par la qualité de votre travail. C'est un roman qui ne démériterait aucunement dans le catalogue d'un grand éditeur. J'imagine qu'avant de faire appel aux services de TheBookEdition, vous avez dû proposer vos manuscrits à d'autres maisons d'édition ? Quel regard portez-vous, d'ailleurs sur le monde de l'édition en général ?
Armelle Carbonel : C'est étrange... Ne peut-on pas imaginer que l'autoédition soit un choix et non un pis-aller pour tous les refoulés de l'édition traditionnelle ? [Sourire.]
Entre quinze et vingt-deux ans, j'ai effectivement tenté ma chance auprès des grands éditeurs. Je manquais de maturité, tant dans l'écriture que dans ma démarche et les refus ont été nombreux. Depuis, j'ai cessé la chasse aux éditeurs ! Il faut savoir que les grandes maisons reçoivent en moyenne une cinquantaine de tapuscrits par jour pour ne lancer que deux voire trois auteurs par an. Un refus ne signifie pas forcément que le livre est mauvais, mais peut-être ne répond-t-il pas aux critères du moment ? N'est-il pas assez innovant ? Quand j'ai découvert TheBookEdition en 2009, une porte s'est ouverte et je suis entrée ! Ma principale motivation était de partager ma passion avec le lecteur. La Maison de l'ombre a reçu un accueil chaleureux. Ce livre vivait enfin sans avoir besoin de l'aval d'un seul homme ou d'un comité de lecteurs restreint. J'ai donc continué à publier en autoédition, avec l'espoir chevillé au corps !
Le seul mode d'édition que j'ai toujours écarté est l'édition à compte d'auteur. Je refuse de payer, pour le seul plaisir de crier : "J'ai un éditeur !"
Autoédition rime avec liberté, par l'absence de frais et de contrat. La difficulté réside essentiellement dans la diffusion et la promotion. Mon rêve serait que le regard sur l'autoédition change, parce que trop de talents et de passions s'éteignent suite aux refus successifs des éditeurs.
Cela ne signifie pas que je porte un jugement négatif sur le monde de l'édition, mais le contexte économique ne favorise pas la prise de risque et une maison d'édition est avant tout une entreprise qui ne peut se permettre d'exister pour le seul plaisir des mots...

k-libre : Dans Criminal Loft, vous dénoncez, dites-vous, le principe des émissions de téléréalité et les motivations très discutables des personnes qui se délectent de ces spectacles. Et pourtant, en même temps, on peut estimer que les thrillers en général, et votre livre en particulier, jouent aussi beaucoup sur le registre de la curiosité malsaine et du goût pour l'horrible. N'y a-t-il pas une forme de contradiction dans votre démarche ? Autrement dit, en quoi, en tant que lecteur qui prend plaisir à lire Criminal Loft le roman, suis-je plus respectable que les spectateurs qui, dans votre livre regardent "Criminal Loft" l'émission ?
Armelle Carbonel : Votre question me réjouit ! Parce qu'elle met l'accent sur un point essentiel de ma démarche : l'autocritique ! Je me délecte tout autant en lisant ou en écrivant des histoires sombres, je m'inclus donc dans le lot de ces êtres avides de sensations fortes ! La différence majeure est néanmoins de dissocier la réalité de la fiction. Vous qui avez lu Criminal Loft le roman, vous avez apprécié sa lecture en sachant, toutefois, qu'il s'agissait d'un roman. Mais lorsqu'on aborde la téléréalité, il ne s'agit plus de fiction, n'est-ce pas ? Et c'est ici que commence mon analyse. Si l'émission "Criminal Loft" existait réellement, il ne s'agirait plus de suivre les pérégrinations de personnages fictifs, mais de juger du sort réservé à des êtres pétris de chair et de sang ! En Angleterre, le thème de la mort a déjà fait des émules par le biais de la téléréalité. Les téléspectateurs pouvaient suivre les différentes étapes d'une femme en phase terminale... Personnellement, je crois que l'attrait et la fascination que suscitent de telles émissions démontrent le malaise de notre société.
Ma devise : soyons lecteurs, mais pas voyeurs !

k-libre : Quels sont vos projets littéraires pour la suite ?
Armelle Carbonel : Parallèlement aux salons et séances de dédicaces planifiés sur Paris et sa région, je travaille actuellement sur l'écriture de mon quatrième thriller... Un soupçon d'ésotérisme flotte déjà dans l'air...

k-libre : Et votre dernier coup de cœur, en tant que lectrice ?
Armelle Carbonel : Sans hésiter : Maleficus d'Emma Locatelli. À couper le souffle...


Liens : Armelle Carbonel | Criminal Loft Propos recueillis par Stéphane Beau

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