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Ma vie des autres (246)
Courts récits de 1000 signes. 246 : séparation éternelle. J'ai une touche avec Reinette. À chaque retrouvaille, on échange des sourires. Je lui passe mon paquet d'articles et j'en profite pour lui toucher la main. Si le boulot ne nous obligeait pas à cavaler, on prendrait le temps de bavarder un peu, mais à part échanger des codes à douze chiffres, impossible d'en placer une. On nous filme sans arrêt, alors gare aux interruptions de travail en dehors de la pause de vingt minutes qu'on a chaque nuit. Je suis picker dans ce hangar à marchandises d'Amazon. Je me déplace en rollers. Je suis chargé de collecter le contenu des commandes du net. Reinette, elle, est packer au bout du magasin. Elle emballe les commandes. En moyenne, je tombe sur elle une fois sur dix lorsque j'apporte les objets à expédier. Au matin, elle termine avant moi et je ne la vois pas partir. C'est comme le soir où je prends mon service après elle. De retour chez moi, je suis tellement crevé que je dors toute la journée. Je n'arrive plus à avoir de vie sociale. Je me promets de proposer un rendez-vous à Reinette, mais je repousse toujours. Elle aussi éprouve le besoin de récupérer entre deux nuits qui l'obligent comme moi à demeurer constamment debout, et je ne veux pas la déranger.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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