La Compagnie des menteurs

Peut-être que l'être humain, du point de vue des êtres évolués, n'était doté que d'une intelligence dérisoire, pitoyable. Ou bien d'un esprit grossier, repoussant. Mais c'était là tout ce qu'il avait - des facultés affinées du mieux possible au cours de son évolution.
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Roman - Policier

La Compagnie des menteurs

Historique - Énigme - Road Movie MAJ jeudi 13 mai 2010

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 22 €

Karen Maitland
Company of Liars - 2008
Traduit de l'anglais par Fabrice Pointeau
Paris : Sonatine, janvier 2010
576 p. ; 22 x 14 cm
ISBN 978-2-35584-036-4

Si tous les menteurs devaient mourir...

C'est à la Saint-Jean 1348 que la pestilence arrive en Angleterre. La rumeur se répand et la société toute entière devient hostile à tous ceux qui peuvent être porteurs de la maladie. La Compagnie des menteurs est un petit groupe qui se constitue autour de Camelot, un vendeur de reliques. Il a la figure si balafrée qu'il n'a qu'un œil valide. Cependant, cette blessure lui est utile pour son commerce car elle cautionne les histoires qu'il raconte pour mieux écouler ses produits. Les circonstances amènent, ainsi, différentes personnes à s'agréger autour de lui. C'est d'abord deux ménestrels, le maître et l'apprenti, puis un jeune couple qui attend un enfant, un magicien qui expose un monstre, une guérisseuse et une devineresse. Un conteur au bras atrophié complète le groupe. Ils sont neuf réunis, comme le prédisait les runes de Narigorm la devineresse. Camelot entraîne ce groupe vers le nord parce que l'épidémie, commencée au sud, progresse par l'ouest et l'est. Mais le voyage est pénible. Il pleut sans discontinuer, les chemins sont de véritables fondrières remplies de boue. Les récoltes sont détruites par l'humidité et les inondations. La faim s'installe. La cohabitation est difficile, les occasions de gagner un peu d'argent sont rares et les rencontres deviennent de plus en plus incertaines. De plus, un loup, bête rarissime dans la région, semble les suivre de nuit en nuit. Ses hurlements suscitent des comportements nerveux pour certains. Ce loup reste une énigme pour Camelot. C'est dans ce contexte qu'ils trouvent Plaisance, la guérisseuse, pendue à un vieux chêne. Suicide ou crime ? La situation se dégrade encore quand le corps de Jofre, l'apprenti ménestrel, est découvert mutilé. Qui s'acharne sur le groupe pour en faire disparaître les composantes les unes après les autres ? Camelot soupçonne Narigorm d'être à l'origine de ces morts...

Karen Maitland dépeint le périple d'un groupe disparate, dans une situation de crise, avec tous les effets et les excès que la peur peut engendrer. Elle prend pour cadre la période où la grande peste, qui ravage l'Europe, arrive en Angleterre, un pays où les habitants se croyaient protégés par leur statut d'insulaires. Elle relate des moyens mis en œuvre par les populations pour freiner l'épidémie, voire l'enrayer, depuis les solutions pratiques comme la fermeture des ports et des cités, jusqu'aux rituels tant religieux que païens. Elle présente, issues de la superstition, les méthodes les plus aberrantes que l'imagination fertile et dépravée de l'humanité a pu concevoir. Ainsi, elle fait revivre un mariage d'infirmes se déroulant pour plus d'effets dans un cimetière et consommé devant tout le village, les cloches que l'on sonne sans discontinuer car le bruit éloigne la pestilence...
Elle évoque la détresse psychologique et physique de la population qui se rue sur toutes les solutions individuelles pour s'en sortir : les reliques, les prières, les dons... extorqués par des religieux... Elle fait une description peu flatteuse des gens d'église, explicite la mainmise de ce clergé sur les populations, la terreur qu'il fait régner, les trucages qu'il exploite sans vergogne, le chantage à l'hérésie et au bûcher. Elle souligne (c'est la première fois que je le rencontre chez un auteur) l'horreur de la mort par le feu, les douleurs atroces et la puanteur qui perdure des jours entiers, ajoutant que même les saints ne sont pas assez forts pour se retenir de hurler. Elle émaille son récit de nombre de réflexions sur la nature humaine, sur les sentiments, sur l'espoir, une notion sur laquelle elle revient régulièrement, sur la place de la femme...
L'auteur met l'accent sur la vie quotidienne des populations sédentaires pauvres, sur celle des errants qui vont de marchés en sanctuaires, de foires en lieux de pèlerinages, partout où les gens se réunissent et sont plus disponibles pour acheter. Elle constitue peu à peu, pour faire vivre son histoire, un groupe de personnages aux profils psychologiques et physiques particulièrement étudiés. De plus, ils ont en commun une situation à fuir, un secret à cacher et une activité qui leur demande de prendre la route. Elle dévoile avec parcimonie, pour ne pas dire "avarice", le caractère, le passé, la nature des uns et des autres, les amène à révéler les secrets qu'ils cherchent tant bien que mal à dissimuler.
Karen Maitland intègre, également, une part de fantastique, de merveilleux avec la lecture des runes, les prédictions de l'enfant ou la relation à la Morrigan, cette sorcière première issue de la mythologie celte. Elle met en scène une intrigue finement ciselée, astucieusement et diaboliquement menée. Elle distille, au fil des pages, des indices qui, si on est attentif, permettent de nous préparer au coup de théâtre final et de ne pas prendre celui-ci de plein fouet.
La Compagnie des menteurs c'est La Route de Cormac McCarthy transposée au Moyen Âge. C'est une fresque magnifique sur l'Angleterre du milieu du XIVe siècle, une description érudite de la vie à cette époque, l'étude des réactions d'individus confrontés à une situation de crise grave et une intrigue qui ne s'essouffle pas.

Citation

C'était le début du mois de décembre, le jour de la Sainte-Barbe pour être précis. Dans mon travail, on doit se rappeler ces choses. Lors des jours qui précèdent la célébration d'un saint une relique de celui-ci vaut deux fois plus qu'à n'importe quel autre moment de l'année. Et la demande en reliques ne cessait de croître, tant les gens avaient besoin d'espoir.

Rédacteur: Serge Perraud dimanche 09 mai 2010
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