Le Palanquin des caïds

Il n'est pas que fou, il est sourd aussi.
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vendredi 29 mars

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Roman - Noir

Le Palanquin des caïds

Social - Drogue - Artistique MAJ mercredi 04 août 2021

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 16,9 €

Christian Estèbe
Paris : Serge Safran, juin 2021
170 p. ; 20 x 13 cm
ISBN 979-10-97594-89-3
Coll. "Littérature"

Trip en Interlopie

Quand on a, selon l'expression consacrée, touché le fond du fond parce que l'on a trop cru à LA clef-lumière promise au bout de renoncements radicaux mais que l'on n'a trouvé là rien d'autre que la cendre de ses espoirs, que peut-on encore espérer d'une main tendue, fût-elle celle d'un ami ? Un ami d'avant-hier, un peu douteux certes, mais un ami tout de même. Et François Sablier fait ce pari de la confiance. Dépourvu de tout, il accepte la proposition de son vieux pote Régis : aller vivre chez lui, dans un recoin de son appartement, où il sera tranquille. Le prix du loyer ? Pas un sou... Juste de menus services de temps en temps, selon les demandes de Régis – et sans poser de questions.
Entre deux requêtes de son "logeur", François aide ses voisins. La vieille Mme Enclave qui peine à monter chez elle avec ses sacs de courses quand l'ascenseur est en panne – et qui ne sait quoi faire de sa fille handicapée, la houspillant d'autant plus qu'elle ne comprend rien à sa peinture ; M. Claude, le photographe, Mme Bâton... Sans oublier les séances de thérapie par le calumet pour endiguer les crises d'angoisse.

Une tranche de vie pas reluisante, que François Sablier nous sert par morceaux, à coups de passages courts – il possède à merveille l'art de la discontinuité. Et celui de chromatiser au noir son récit : l'on va de glauquitudes en glauquitudes, croisant des junkies, des êtres aux mœurs pour le moins dérangeantes... Plus que l'environnement, plus que les situations aux relents sordides que l'on va découvrir au gré de ces fragments biographiques c'est, dès la phrase inaugurale, l'écriture qui frappe, happe le regard et le garde au plus près d'elle tout au long du récit. La prose, sous ses dehors simplissimes, est sans cesse poétisée : les sonorités des mots font rythme et sens – au plus fort de cette expressivité, peut-être, les prénoms et patronymes : Peaulysse, Châtelaine, Légère... Mmes Enclave et Bâton déjà nommées, Régis Lematricule, François "Sablier, comme la clepsydre", swami Nemegrattepaparla, Christophe-Joseph Kari dit Jo Kari – images, comparaisons et métaphores rôdent partout, dispensant autour d'elles des connotations dont les miroitements s'augmentent de références transartistiques plus ou moins transparentes... Tandis que se multiplient, à fur et mesure que progresse le récit, les passages décrivant les peintures de Châtelaine, ses moments de création hallucinés émaillés de propos sibyllins, on dirait presque que, par-delà les pages, l'artiste de fiction mime dans ses toiles les chamarrures du texte de son auteur.
Hymne à l'art fou, à l'art des fous ?

Pareil climat textuel a de quoi chambouler les repères de lecture... Et ce n'est pas fini. Il faut encore compter avec le côtoiement de l'étrangeté, une étrangeté qui égratigne assez le réel pour que pour que l'on ait le sentiment de ne pas y être tout à fait mais trop peu pour que le basculement dans le fantastique soit franc du collier. Entre plongées dans les états de conscience modifiés du narrateur et les happenings picturaux en chambre, en passant par les "scènes de la vie quotidienne" et les petits services rendus à Régis, on voyage dans une sorte de no man's land où l'histoire policière stricto sensu se découvre par pointillés pour jaillir soudain quand on ne s'y attend plus, claquer à la pensée et ferait presque relire le roman de bout en bout tant ce jaillissement en éclaire des pans entiers – opérant à la manière d'une phrase finale dans une "nouvelle à chute".

Le Palanquin des caïds se lit et se vit – jubilatoirement. Il attrape son lecteur par tous les sens, dans tous les sens de ce terme : sensitivité, intellection, spatialité... Son pouvoir fascinatoire est puissant ; brillante curiosité (i.e. : un de ces objets rares dont les lettrés d'autrefois aimaient à s'entourer) littéraire, il exige une lecture lente et patiente, seule capable d'en livrer toutes les saveurs, des plus fortes aux plus subtiles.

Citation

J'avais tout misé sur le tapis vert de mes illusions. J'avais tout perdu, sauf la vie. Même elle ne tenait plus qu'à un fil, celui de ma respiration saccadée.

Rédacteur: Isabelle Roche mercredi 04 août 2021
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