Le Diable n'est pas mort à Dachau

C'était un pistolet lance-fusée, à un kilomètre à peu près. Personne n'avait oublié ce bruit : le coup percussif, le grésillement pareil à de la friture. Le capitaine Mackenzie se leva et souleva le rabat de la tente. Une fusée éclairante blanche s'élevait dans le ciel, entourée d'un halo de pluie. Sur le sol bosselé béaient des ombres noires.
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jeudi 18 avril

Contenu

Roman - Noir

Le Diable n'est pas mort à Dachau

Historique - Assassinat - Scientifique MAJ jeudi 17 août 2017

Note accordée au livre: 3 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 18,5 €

Maurice Gouiran
Paris : Jigal, mai 2017
216 p. ; 21 x 14 cm
ISBN 978-2-37722-009-0
Coll. "Polar"

Bad trip

Henri Majencoules, mathématicien français, travaille aux États-Unis sur le transfert de données informatiques, appelé projet "Arpanet", qui deviendra quelques années plus tard la base du "concept" Internet. En attendant, on est en 1967, les Beatles chantent "All You Need Is Love", la jeunesse rêve les yeux ouverts grâce au LSD, les chemises sont mauves, les pantalons sont jaunes, les cheveux sont longs, et l'amitié entre fille et garçon est tout à fait possible puisqu'elle n'est pas platonique. Henri, vingt-sept ans, est parfaitement en phase avec son époque. Son village natal, Agnost-d'en-haut, ne lui manque pas. Il s'y est toujours senti privé de liberté, restreint, étouffé entre une ambiance familiale sans fantaisie, une vie vécue sans goût où les choses sont faites uniquement parce qu'elles doivent être faites, et une promiscuité tout en silence, pire, en non-dits de la province française. Dès qu'il en a eu l'occasion, il est parti pour Marseille, chez une tante. Puis à Paris. Puis en Californie. Et s'il est de retour dans le village qui l'a vu naître, ce n'est pas par nostalgie, non. C'est parce que sa mère vient de mourir. Henri retrouve cette atmosphère asphyxiante, désagréable, ces moitiés de phrase, ces sous-entendus, ces regards en biais dès qu'ils se posent sur des étrangers. Et des étrangers, en ce moment, il y en a à Agnost-d'en-haut. Passe pour Henri, même s'il ne ressemble plus à un enfant du pays, il est quand même né là, mais les journalistes... Journalistes, oui. Rapport au crime. La famille Stokton, des Américains (encore des étrangers), a été assassinée. Le père, la mère, la fille. L'un des fils Avigliana, une famille italienne (toujours des étrangers), est fortement suspecté. Parmi les journalistes, Henri retrouve un camarade de lycée, Antoine Camaro, devenu grand reporter, qui lui apprend que quelques jours avant la mort de Stokton, celui-ci l'avait contacté afin de le rencontrer pour lui remettre en main propre un document. Bien trop mystérieux pour que ce pauvre bougre de Nando y soit mêlé en concluent les deux compères qui décident d'enquêter... 1943, dans le camp de la mort de Dachau, Sigmund Rascher se dit que le régime nazi est vraiment une aubaine pour la réussite de sa carrière de médecin. Il a toujours pensé que les grandes découvertes qui feraient avancer l'humanité ne pourraient avoir lieu que si on permettait les expérimentations sur des cobayes humains. Il va enfin pouvoir montrer à quel point il est talentueux, travailleur, efficace. 1943. 1967. Deux époques. Deux espaces temps. Vraiment ?
Avec Le Diable n'est pas mort à Dachau, Maurice Gouiran rend une copie impeccable. Je ne parle pas de l'intrigue, assez classique, encore qu'elle révèle son petit lot de rebondissements bien sentis, mais de la façon admirable avec laquelle l'auteur nous transporte d'une époque à une autre, d'un lieu à un autre, et comment il nous transmet, nous inocule presque, les différentes atmosphères et sentiments liés à ces lieux et à ces époques. Les scènes se déroulant à Dachau sont terrifiantes, pas tant par les horreurs qu'elles décrivent mais surtout parce qu'elles nous montrent le barbare, Sigmund Rascher, non pas comme un barbare sanguinaire justement, mais comme un homme ambitieux, qui a embrassé la carrière de médecin et qui se voue corps et âme à ce qui est sa raison de vivre : faire avancer la science, la médecine, trouver des réponses, des évolutions. C'est à mon avis une étude plus juste que celle qui consiste parfois à nous désigner les nazis comme des monstres quasi extra-terrestres. Non, les nazis étaient des êtres humains, avec des comportement d'êtres humains, comme avoir de l'ambition, avoir le goût de son travail, croire en soi et être persuadé que ce que l'on fait est nécessaire. Et c'est bien évidemment ça qui est affreusement terrifiant. Connaître le type d'expérience à laquelle Rascher se livre sur des cobayes humains est déjà dur (et le mot est faible), mais suivre le fil de ses pensées est particulièrement dérangeant. De même qu'on éprouve parfaitement le mal être d'Henri quand il est à Agnost-d'en-Haut. Ce sentiment d'emprisonnement, de silence assourdissant des habitants, pour la plupart des paysans, qui gardent tout pour eux, qui ne vivent que d'idées reçues, qui jugent et condamnent en même temps l'autre, uniquement parce qu'il ne vit pas comme eux, ne pense pas comme eux, ne vient pas de la même terre qu'eux, qui revendiquent ne se mêler de rien mais qui ont toujours une oreille qui traîne, un œil inquisiteur, et ce comportement devant l'intrigue, cette façon qu'ils ont de laisser croire qu'ils vont lâcher ce qu'ils savent sans jamais finir par rien dire (difficile de ne pas penser à l'Affaire Dominici. Surtout si on a vu le film avec Jean Gabin car ça permet de mettre des images sur les visages tantôt fermés tantôt empreints de malice, cet air de se foutre du monde et surtout de la police qui ne veut pas comprendre que poser des questions ne sert à rien). Ce sentiment d'étouffement est d'autant plus palpable, renforcé, qu'avec Henri on regarde de l'autre côté de l'Atlantique, on a les yeux tournés vers cette Amérique, cette Californie où sévit un vent de liberté sans précédent, celui du Flower Power. Ah ! L'Amérique ! Les années 1960, l'amour, la jeunesse, le LSD... Ça ressemble à un rêve ! Mais le rêve, ce n'est jamais qu'un cauchemar qui donne le change. Et Maurice Gouiran l'a bien compris.

Citation

Le cimetière est triste et gris. Les fleurs déposées sur la tombe de sa mère sont gorgées d'humidité. Il reste là un long moment, immobile, les épaules affaissées. Le détachement de la veille n'est plus de mise. Emporté par la vague de folie californienne qui a submergé sa vie, il a si peu pensé à elle... Alors, il lui parle à voix basse, chuchote les mots qu'elle aurait espérés. Il sait que c'est trop tard mais il en a besoin. Il se sent comme pris dans un étau entre la culpabilité et l'impuissance...

Rédacteur: François Legay jeudi 17 août 2017
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