Envoyez les couleurs

Elle fonce au milieu d'une pseudo-campagne ravagée par des champs gigantesques s'étendant à perte de vue, séparés par quelques pauvres bosquets d'arbres décharnés et décorés de décharges sauvages. Cet ersatz de nature l'indiffère.
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Roman - Noir

Envoyez les couleurs

Social - Urbain - Révolution MAJ samedi 29 juillet 2017

Note accordée au livre: 4 sur 5

Poche
Réédition

Tout public

Prix: 8 €

Donald Westlake
Up Your Banners - 1969
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Michel Deutsch
Paris : Rivages, septembre 2014
352 p. ; 17 x 11 cm
ISBN 978-2-7436-2702-7
Coll. "Noir", 968

Roméo et Juliette dans l'Amérique des années 1960

Donald E. Westlake n'écrit pas que des romans humoristiques mettant en scène le personnage burlesquement désappointé et pourtant tenace John Archibald Dortmunder. Avec Envoyez les couleurs, paru en 1969, il porte un regard acide sur l'Amérique ségrégationniste et les combats des Afro-Américains pour obtenir l'égalité des droits civiques avec un constat consternant qui suit une trame volontairement shakespearienne. Oliver Abbott s'apprête à faire sa première rentrée au collège de Schuyler Colfax de New York en qualité de professeur d'anglais. C'est un garçon sympathique autant que naïf qui vient de passer quelques temps dans la Marine. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne s'attend pas du tout à l'accueil qu'il va recevoir dans cet établissement dont le proviseur n'est autre que son propre père suivant une tradition familiale. Seulement, l'école est majoritairement fréquentée par des Noirs, et le père de Abbott a commis l'irréparable : privilégier son fils au détriment d'un professeur de couleur, rompant ainsi un pacte signé avec la communauté noire. Grèves et manifestations se mettent en branle, et Oliver Abbott découvre incrédule les tenants et les aboutissants, récupérant les points de vue des deux camps. Il va également tomber amoureux d'une de ses collègues, Leona Roofe, une Noire impliquée personnellement dans la lutte des droits civiques et des droits à une même éducation. Leur première rencontre est tendue, de celle dont on sait qu'il découlera une puissante histoire d'amour. De fait, le roman glisse vers le drame sentimental car les deux amoureux déclenchent à leur insu la haine des Blancs et des Noirs. Intimidés, pourchassés, menacés, agressés, ils subissent de plein fouet tout ce contre quoi leurs assaillants devraient lutter. Ils sont Roméo et Juliette, et les deux camps fratricides incarnent les Capulet et les Montaigu. Le rapprochement est tout sauf anondin car Donald E. Westlake parsème son roman de références concrètes à William Shakespeare. Il est à plusieurs reprises question de Coriolan et d'Antoine et Cléopâtre, notamment quand Oliver Abbott enseigne ces tragédies à des enfants noirs sous un nom d'emprunt, étant devenu l'ennemi public numéro un. Les deux amants vivent leur passion torride, mais sont sujets à de nombreuses pressions. La question qui se pose alors est : "Qui donc cèdera le premier ?" La réponse est épineuse, et tragiquement amenée par le romancier américain. Si l'on recontextualise, on ne peut s'empêcher de penser que le sujet était à l'époque très casse-gueule. On ne peut également s'empêcher que Donald E. Westlake s'en est sorti avec brio. Pourquoi s'opposer les uns aux autres alors que l'on pourrait vivre ensemble en harmonie ? Il manque peut-être au roman un personnage mesquin même s'il y a la figure narquoise de Prescott Walter Sinclair... Toujours est-il que cet ouvrage volontairement shakespearien révèle avec maîtrise les inégalités sociales et raciales dans une Amérique en crise. Donald E. Westlake peut aussi sortir des sentiers battus de l'humour avec talent et causticité.

Citation

C'est une simple histoire d'amour entre un garçon et une fille qui n'a rien à voir avec les problèmes raciaux, ni avec la politique, ni avec l'Éducation nationale, nom de Dieu...

Rédacteur: Julien Védrenne samedi 29 juillet 2017
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