Zyed et Bouna

Et c'était là que, tous les matins, Alfieri arrivait à pieds, en traversant la Piazza Venezia, en éprouvant toujours la même émotion et la même humilité devant ce livre d'histoire monumental qui déployait fièrement le contenu de ses pages devant ses yeux émerveillés.
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mardi 23 avril

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Essai - Policier

Zyed et Bouna

Social - Assassinat - Faits divers MAJ dimanche 19 février 2023

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 18 €

Gwenael Bourdon
Avec la collaboration de Siyakha Traoré & Adel Benna
Paris : Don Quichotte, octobre 2015
270 p. ; 20 x 14 cm
ISBN 978-2-35949-518-8

Des émeutes de banlieues

Voici un livre fiévreux écrit en quelques mois juste après la date du jugement de relaxe, le 18 mai 2015, rendu par le tribunal de Rennes contre les deux policiers mis en cause dans la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré. C'est un livre poignant, parfaitement documenté, accablant, dont on ressort avec la nausée. 27 octobre 2005. Dix ans auparavant. Dix ans ! Deux enfants seraient morts d'avoir cru qu'ils étaient pourchassés par la police... Dès les premiers éléments de l'enquête, la police est partie sur une idée fausse. Le procès le démontrera amplement. Celle que les trois adolescents voulaient cambrioler un chantier. Or ils jouaient au foot. 27 octobre 2005. Zyed et Bouna vont mourir. Zyed a dix-sept ans, Bouna, quatorze ! Zyed habite la cité Rabelais au Chêne-pointu. Un environnement hostile, et pour cause : il n'existe aucun équipement destiné aux jeunes de la cité. Rien. Alors ils inventent leur foot, à la brésilienne, sur toutes les surfaces possibles. Ils inventent la joie de vivre, d'être enfant, ado, plutôt que de survivre comme on leur en a intimé le quasi commandement. Et c'est énorme déjà, cette énergie qu'ils déploient à vivre sans amertume. Bouna loge dans une longue barre insalubre du Bas-Clichy, enfermée dans la misère, où cinquante pour cent de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté. Mais ce 27 octobre la misère ne triomphe pas : une partie de foot est décidée, contre des jeunes adultes d'une vingtaine d'année. Des grands. Venus d'ailleurs. Bouna, c'est le leader de l'équipe. Bouna Traoré, dont le père éboueur est aimé des gamins de la cité. Une famille sans histoire. Ils partent donc jouer au foot. Tranquillement. Et puis un voisin appelle la police : il croit voir une bande de jeunes préparant un cambriolage. Toutes sirènes hurlantes, cinq équipages de flics déboulent. Quatorze. Les gamins paniquent. Parce qu'ils doivent toujours faire attention avec la police. Ils sont une cible, ils le savent. Ils le savent parce que c'est comme ça dans les "quartiers". C'est l'histoire de leur vie, ce harcèlement policier quotidien. Leur vie...

L'ouvrage en reconstitue méticuleusement l'histoire. Celle de vies d'immigrés courageux, qui ont appris notre langue, qui sont retournés souvent sur les bancs de l'école pour passer leur bac à vingt-huit ans pour certains, sans se décourager. Des histoires de galères, de classes surchargées où s'entassent les primo-arrivants qui ne savent pas un mot de français et qui doivent l'apprendre dans ces conditions. Des histoires de galère dans des transports fantomatiques, de bus blindés ou de ceux qu'on attend et qui n'arrivent jamais. Les gamins jouaient donc au foot. Les flics ont débarqué, sirènes hurlantes. Les gamins ont détalé, poursuivis par les flics qui ont fini par courser Zyed et Bouna jusqu'à une transformateur électrique. Une longue, très longue course poursuite. Jusqu'au transformateur, pour s'y réfugier. Muhittin en sera le seul rescapé. Sur son lit d'hôpital, sans même avoir convoqué ses parents alors qu'il est mineur, et bien que dans le brouillard le plus total, les policiers lui feront signer une déposition. Pourquoi si vite ? De quoi avaient-ils peur ? Le juge ne se posera même pas la question. La déposition existe, cela seul compte. De même qu'il ne prendra pas en considération le trafic radio, clair pourtant – l'avocat des familles y a eu accès. On y entend un policier prévenir ses collègues : des jeunes enjambent le mur pour aller vers le site EDF. Muhittin témoignera à sa sortie d'hôpital : c'était la panique, on courait, les flics aux trousses. On entendait les sirènes devant : on était pris en tenaille, alors on s'est réfugié dans le transformateur. La presse mainstream se bouchera les oreilles. Pour se ranger aux côtés des policiers. Pourquoi couraient-ils au fond, s'ils n'avaient rien à se reprocher ? Des gamins. Sans jamais s'en poser la question du reste : c'était des gamins. Quatorze ans. Dix-sept ans. Des gamins qu'une République indécente condamnait à vivre dans des quartiers démunis de tout.

Bien longtemps après leur mort, cette même presse odieuse finira du reste par réaliser qu'on ne peut plus se voiler la face et du bout des lèvres, évoquera, à voix basse, l'insalubrité des immeubles, les contions de survie, le nombre d'écoliers atteints de tuberculose. Pour vite se taire de nouveau. En 2007 deux policiers seront mis en examen. Deux seulement. Alors qu'en 2005, lors de cette course poursuite qui fut fatale aux enfants, il y avait quatorze policiers sur le site, assistés par six autres via leurs radios. Ce que le trafic radio confirmera. Révélant l'ignoble, cette phrase : "En même temps, s'ils entrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau..." Il y a bien quelqu'un qui l'a prononcée, cette phrase. Mais non, le juge ne l'entendra pas. Vingt policiers l'ont entendue. Aucun n'a cherché à prévenir les gamins qu'ils risquaient leur vie. Ils les coursaient. À leurs trousses, cinq policiers ont entendu le message de l'un de leur collègue prévenant que des gamins entraient sur le site. À aucun moment ils n'ont tenté de sauver les enfants dans cette histoire. Alors que – la phrase ! -, ils connaissaient les dangers encourus. Le jour même, les enfants morts, la colère des jeunes de Clichy monte très vite. Eux avaient compris. Eux savaient. Le maire, dans un premier temps, demandera des comptes à la police, en vain. Puis très vite, comme tout le monde, il ne voudra qu'une chose : qu'on lance des appels au calme. C'est un accident. Voilà. La thèse toute trouvée. Un accident. Les flics ne poursuivaient pas vraiment les gamins. Ou bien alors un peu, mais pas jusqu'au site. C'est une fatalité. Voilà tout. Les journalistes viendront à leur rescousse. Mais pourquoi couraient-ils ces gamins, s'ils n'avaient rien à se reprocher ? Il n'y aura pas d'enquête poussée. Les pièces les plus accablantes seront lues ou écoutées sans attention. Les flics plaideront la bonne foi. L'ignorance du danger, contre l'évidence de la phrase prononcée. Les gamins se croyaient poursuivis, mais ils ne l'étaient pas, puisqu'on vous le dit. Contre l'évidence du trafic radio. Une formule que le Procureur reprendra. "Les gamins se croyaient poursuivis." Et ils sont morts.
Voilà donc le récit des faits bruts relaté par Gwenael Bourdon avec le concours d'Adel Benna et de Siyakha Traoré. Un récit clinique évidemment partisan (mais les faits !), mais qui fait froid dans le dos. Qui se lit encore aujourd'hui avec horreur, consternation et révolte.

Citation

Ils ont traqué les petits comme des gnous. On est quoi pour eux, des animaux ?

Rédacteur: Joël Jégouzo jeudi 19 mai 2016
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