Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
304 p. ; 23 x 16 cm
ISBN 978-2-207-13256-2
Coll. "Sueurs froides"
Patagonie des taiseux
Parfois le roman noir tourne tourne au grotesque, parfois il lorgne du côté du tragique. En à peine quelques romans, Sandrine Collette nous a habitué à racler jusqu'à l'os, à présenter des personnages confrontés à leurs propres limites, voire à les dépasser. Que ce soit dans des arrière-campagnes françaises, des montagnes enneigées ou le long d'une pampa venteuse, les décors font partie intégrante de l'intrigue. Ils sont la rudesse qui renvoie à la rudesse de ses personnages. Comme dans toute tragédie, le nombre des acteurs est limité et quoi qu'ils fassent, leur destinée est tracée. Dans Il reste la poussière, une femme tente de survivre dans une ferme isolée au fond de la pampa argentine avec ses quatre garçons. Elle vit seule depuis que le mari a disparu, enfin depuis qu'elle a fait disparaître ce mari bien trop violent. Comme dans la chanson de Jacques Brel, "Chez ces gens-là, on ne parle pas". D'ailleurs il n'y a quasiment pas de dialogues dans le roman. En revanche, beaucoup de coups sont échangés, donnés, reçus, car c'est là une façon plus précise de communiquer. On accomplit les taches du monde paysan de Patagobie (comme ailleurs) et ici il s'agit surtout de vivre en quasi autarcie. Alors, on cultive légumes et pommes de terre, on s'occcupe des moutons avec en filigrane cette question : Y a-t-il une réelle différence pour la mère entre la façon dont elle mène son troupeau et celle dont elle mène ses fils ? Surtout, on est fiers car l'on possède un troupeau bovin. On travaille, on s'abrutit, parfois on boit et on dort pour recommencer le lendemain. Tout ce travail, cette dureté est rendue au plus près par Sandrine Collette, une auteur qui rend dans un style sec, net et précis, le travail du quotidien, le coup de ciseau pour enlever la laine du mouton, le vent qui s'engouffre, la joie d'une côtelette ou l'ivrognerie qui s'empare des esprits.
Peu à peu les relations entre la mère et ses enfants se détériorent. L'un d'eux est laissé à un autre propriétaire à qui la mère doit de l'argent, mais le fiston trouvera dans ce nouveau monde plus de réconfort que dans sa vie d'avant. Rafael, le plus jeune, parti à la recherche de chevaux perdus reviendra avec une sacoche bourrée d'argent. Cette sacoche révèlera les dysfonctionnements, les haines, les âpretés de tous. Sandrine Collette en profite pour dresser des scènes hallucinantes : une mère qui refuse de parler, des enfants qui, devant le lit de mort de leur mère, ne pensent qu'à détruire la maison pour retrouver les billets cachés, une scène d'ivrognerie dans un bar enfumé, la tentative de soigner un homme mourant et agonisant dans son pus, où le seul rêve quand on a énormément d'argent c'est de penser à avoir une nouvelle selle pour continuer à encadrer les moutons. Tout se mélange avec grâce dans un ballet étourdissant - la vie, la mort, la violence, un geste sensible, les caprices de la nature, la joie d'un café ou la goinfrerie devant un gigot d'agneau, le besoin de se prouver que l'on peut continuer malgré tout, que la vie persévère dans sa volonté et ce même s'il serait plus simple de tout laisser de côté. Il n'y a pas de jugement, mais une observation à la loupe d'une tragédie qui se déroule devant nous, que le talent de l'auteur rend inéluctable, et qui empêche de poser le livre avant la toute dernière page.
On en parle : Carnet de la Noir'Rôde n°55
Citation
Avec les années on s'habitue, et il vaut mieux, car les hommes entre eux ne sont pas meilleurs que les bêtes, surtout ne pas croire, ne pas espérer qu'ils viendront aider le plus faible quand ils attendent de lui enfoncer la tête pour le noyer plus sûrement.