Les Fugueurs de Glasgow

J'ai un peu honte des petites arnaques auxquelles il me mêle. Au début, j'observais plus que je ne participais. Maintenant, je m'habitue. Je prends de l'assurance. Je saigne moins souvent. Peut-être vais-je devenir, comme Meisner ou la routine, pour qui l'arnaque est une façon comme une autre de gagner sa vie.
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Roman - Noir

Les Fugueurs de Glasgow

Social - Musique - Drogue MAJ jeudi 03 septembre 2015

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 22,5 €

Peter May
Runaway - 2015
Traduit de l'anglais (Écosse) par Jean-René Dastugue
Rodez : Le Rouergue, septembre 2015
332 p. ; 21 x 14 cm
ISBN 978-2-8126-0927-5
Coll. "Noir"

L'odyssée des perdants

Voici un roman écrit en France - Peter May vit dans le Lot - mais dont l'histoire regarde du côté de l'Écosse et de Londres sur deux époques enchevêtrées, la nôtre et celle de l'année 1965.
Tout commence à Glasgow aujourd'hui : Jack, Dave et Maurie, trois retraités que la vie n'a guère épargnés (Maurie, cancéreux, n'a plus que quelques semaines à vivre), décident de fuguer pour se rendre à Londres et éclaircir un meurtre brutal qui semble avoir un lien avec leur jeunesse perdue. Cinquante ans plus tôt, les mêmes, plus deux copains : Jeff et Luke, décidaient déjà de se faire la malle à bord d'une fourgonnette cabossée afin de découvrir le singing London, et peut-être de percer dans le monde du rock, à l'exemple des Stones et des Kinks. Entre ces deux dates, cinquante ans de désillusions, de vies ratées, d'amours perdues à jamais.
Dans un premier temps, on suit les pérégrinations tragi-comiques des retraités (auxquels vient s'adjoindre Ricky, le petit fils de Jack, obèse surdiplômé et inactif) entre amusement et pitié : Dave boit en cachette, Maurie vomit sa chimio, Jack ressasse sa pauvre vie d'employé de banque. Et puis, à mesure que l'on s'approche de Londres, le passé se fait de plus en plus prégnant. On se retrouve en 1965 ; une bande de copains unis par l'amour du rock se fait la malle en laissant derrière elle études et petites amies. Rien ne les arrête, pas même un certain Andy, dealer ultra-violent qui s'est promis de leur faire la peau, parce qu'ils lui ont volé son fric, sa dope et la belle Rachel, la sœur de Maurie, pauvre junkie accro à l'héroïne. La camionnette rend l'âme, fracassée la nuit contre une église ? Pas grave. Le groupe poursuit son odyssée en train et finit enfin par arriver à Londres. Seulement, qui voudrait enregistrer un groupe qui ne fait pratiquement que des reprises et a laissé la plupart de ses instruments en chemin ?
C'est ici qu'intervient le "sauveur", un certain Docteur Robert, qui leur ouvre les portes de sa demeure où il vit avec un comédien hystérique ; Robert fait aussi du cinéma, connaît Dylan et les Stones, organise des soirées mondaines sur fond de LSD et de musique psychédélique. Mais les choses vont bientôt tourner à l'aigre pour les cinq ados : il n'est pas donné à tout le monde de s'appeler Lennon ou Jagger, et Jack va mettre enceinte la ténébreuse Rachel...
Des cinq garçons, au retour de la gare de Glasgow, il n'en restera plus que trois : Luke disparaîtra sans laisser d'adresse ; Jeff ira jusqu'au bout de son délire dans le LSD... Quant à Rachel, disparue elle aussi, il faudra attendre cinquante ans avant de connaître la suite de son histoire.
Les Fugueurs de Glasgow est un roman formidable. C'est à la fois le livre d'une génération et une méditation assez amère sur le sens de l'échec. L'amitié, les désillusions de la classe ouvrière, le bon vieux rock and roll trop vite dévolu aux marchands de dope et aux requins des royalties, tout cela affleure au fil des pages avec un réalisme confondant. C'est aussi un voyage à travers la Grande-Bretagne, ses villes industrielles (ou le peu qu'il en reste), ses campagnes si différentes les unes des autres, ses rapports de classes... Les Fugueurs de Glasgow est une sorte de récit total, une grande réussite sur le plan narratif et documentaire. Peter May s'est inspiré de sa propre fugue quand il était ado, mais à la différence de ses personnages, il a trouvé sa rédemption dans l'écriture. Et pour le plus grand bonheur des lecteurs !

Citation

Comment aurais-je pu savoir que l'échec est semblable à une mort lente et pénible et que la déception que l'on éprouve en raison de la tournure que notre vie a prise ne disparaît jamais ?

Rédacteur: Pascal Hérault mardi 25 août 2015
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