Alabama shooting

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vendredi 29 mars

Contenu

Roman - Thriller

Alabama shooting

Ethnologique - Psychologique - Social MAJ mercredi 15 juillet 2015

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 19,4 €

John N. Turner
La Tour-d'Aigue : L'Aube, juin 2015
256 p. ; 22 x 15 cm
ISBN 978-2-8159-1209-9
Coll. "Noire"

Cauchemar américain

Alors qu'elle attend son mari qui doit venir la chercher à la sortie de l'université d'Alabama où elle est enseignante, Joan Travers est priée par la police de se rendre sans résistance. Il est vrai que tout autour s'est assez animé : voitures et officiers de police effectivement, mais aussi ambulance, sirène, foule qui se déplace, cris, agitation, stupeur, civières, et des corps recouverts de draps. Manifestement, il vient de se passer quelque chose de grave sur le campus, c'est le moins que l'on puisse dire. Quelque chose que Joan Travers ignore puisqu'elle était en réunion avec d'autres professeurs... Seulement, quand elle est introduite dans le bureau du shérif, pensant (malgré l'escorte et les menottes) que l'on s'apprête à lui demander un simple témoignage dont elle se demande bien ce qu'elle va pouvoir raconter, c'est pour s'entendre dire par le lieutenant Davis qu'elle est accusée de trois assassinats et de trois autres tentatives de meurtre.
- C'est une plaisanterie ?
Malheureusement pas. Et quand on sait que ce roman de John N. Turner est librement inspiré de faits réels, ça fait même froid dans le dos...
Joan Travers a quarante-cinq ans, elle a un mari, quatre enfants, des parents, un boulot, une maison, des vacances, elle est diplômée d'Harvard, elle est intelligente et encore désirable. Alors a-t-elle tué ? Pas tué ? Est-ce une histoire basée sur le faux coupable chère à ce cher Alfred Hitchcock (Hitch pour les intimes) ? Très vite on s'oriente vers une autre direction tout en restant dans un des sujets de prédilection de Sir Alfred (même qu'il fut l'un des pionniers en la matière) : la psychologie... Car le nœud du problème, comme pour Psychose, Pas de printemps pour Marnie ou La Clinique du Dr Edwards est bel et bien la psychologie. La vraie enquête de ce thriller se situe dans la tête de Joan Travers. Une tête pleine de tension, d'émotion, de refoulement, de souffrance, d'espoirs déçus, forcément de névrose, mais absolument vide de tout souvenir en ce qui concerne le drame. Joan ne comprend même pas que l'on puisse penser qu'elle y soit mêlée. La réunion, oui, elle y est allée, se rappelle être entrée dans la salle, avoir vu ses collègues et avoir parlé avec eux. En revanche, elle ne se souvient absolument pas, au moment du "Au revoir, à lundi", avoir sorti de son sac le flingue de son mari et s'en être servi pour faire exploser la tête de trois de ses collaborateurs et avoir tenté d'en tuer trois autres (qui sont à l'hosto dans un état proche de l'Ohio... heu, dans un état critique je veux dire). Pourtant, il y a peu de doute possible sur le fait qu'elle ait commis ces meurtres, les témoignages des survivants l'accusent formellement et on a retrouvé l'arme enroulée dans son pull (avec tâches de sang et bouts de cervelles incrustés) dans une poubelle de l'université à quelques mètre de la pièce où a eu lieu le massacre... Joan Travers est donc incarcérée en attendant son jugement, sachant qu'elle risque la chaise électrique.
C'est à partir de ce moment-là que commence véritablement le roman car on se retrouve (le lecteur) pour un face-à-face avec l'héroïne (dans le sens personnage principal). En cellule, Joan a le temps de penser à ses enfants (avec lesquels elle n'a aucun moyen de contact because c'est la loi), à son mari (à qui elle peut téléphoner et qui pourrait lui donner des nouvelles de ses rejetons s'il ne raccrochait pas à chaque fois qu'il entend le son de la voix de sa meurtrière de femme), et à sa vie. Et là... Eh ben là c'est toute une toile qui se tisse sous nos yeux. À l'instar d'un film comme Virgin suicide de Sofia Coppola, c'est toute une société avec son éducation, sa mentalité, et son évolution qui est montrée du doigt par l'auteur. On navigue des années 1970 aux années 2000 au rythme de l'existence de Joan tout en prenant en pleine face les travers (nom du personnage) de cette grande nation que sont les États-Unis. On assiste à la fin du rêve hippie, au retour d'un voyage sous LSD de cette génération qui a décidé, en atteignant enfin l'âge adulte, qu'il était grand temps de remettre un peu d'ordre dans le bordel qu'elle s'est elle-même légué en voulant changer le monde en chantant à Woodstock. On découvre un pays en proie au racisme, à l'homophobie, où est glorifié la magnificence du mâle, de son flingue, de sa queue et du plaisir que lui procurent ces deux attributs tandis que la femme doit apprendre à manœuvrer en milieu hostile à étouffer ses ambitions et se préparer à pondre les prochains petits soldats. On voit arriver les années 1980 avec le SIDA qui sonne le glas d'une liberté sexuelle (pourtant ardemment désirée vingt ans plus tôt) au profit d'un come-back du puritanisme. Les années 1990 et l'argent roi, l'explosion capitaliste où pour être quelqu'un qui a réussi il faut forcément être bourré de pognon. Les années 2000 où le renoncement à améliorer le monde se confond dans le "tout faire pour améliorer sa situation personnelle".
On parcoure plus de quarante années de la mutation d'un pays. De ses espoirs les plus fous à la réalité la plus brutale qui soit. Parallèle évident avec la vie de cette femme, que l'on voit grandir, se former, se forger sur la même période. Une femme qui en plus de subir les traumas de sa nation et de son époque, a dû subir des drames, des humiliations, des déceptions, des abdications personnelles. Une femme face à elle-même, que l'on qualifie de monstre et qui cherche à comprendre comment et pourquoi il serait possible que ce qualificatif lui aille si bien...

Citation

Joan, ce que vous avez vécu est terrible. Vous êtes une mère de famille. Vous êtes une femme sensée. Je vois combien vos enfants vous manquent. Vous n'avez pas pu tuer vos collègues de sang-froid. Pour survivre et ne pas vous tirer une dernière cartouche dans la tête, vous avez dû construire des barrières psychologiques colossales...

Rédacteur: François Legay mercredi 15 juillet 2015
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