Le Bourgeois mis en pièces

En fait, j'étais refroidi par ces deux meurtres et je n'avais plus du tout envie d'acquérir cette maison, même si, ça s'était déjà vu de ma part, je pouvais changer d'avis comme de chemise sur un coup de tête.
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Nouvelle - Noir

Le Bourgeois mis en pièces

Psychologique - Social MAJ vendredi 14 août 2009

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 7 €

Philippe-Auguste-Mathias Villiers de L'Isle-Adam
Meudon : Sao Maï, mai 2009
90 p. ; 21 x 12 cm
ISBN 978-2-9531176-2-2

Haïr le Bourgeois et le dévorer à petits mots cruels...

Le bourgeois n'est, au Moyen Âge, rien d'autre qu'un citoyen du bourg - bénéficiant il est vrai de certains privilèges. Défini par négations - ni prêtre ni noble - il n'en reste pas moins un possédant. Méprisé par l'aristocratie, haï par les petites gens que souvent il oppresse, le bourgeois a peu à peu cristallisé autour de lui toutes sortes de connotations péjoratives qui, au fil du temps, l'ont mué en un archétype particulièrement détestable, cramponné à ses prérogatives telle la moule à son rocher, obnubilé par l'avoir, et fermé à tout ce qui peut relever du seul enrichissement de l'âme. Vautré dans ses possessions, imbu du pouvoir qu'il exerce sur autrui, hermétique à l'éther du rêve, et devenu par tant de grâces symbole de sottise, comment le bourgeois - entendu comme type humain sans distinctions d'individualités - aurait-il pu être regardé avec un tant soit peu d'indulgence par un aristocrate artiste et ruiné tel que Villiers de l'Isle-Adam ? Il ne s'est pas privé de brocarder le bourgeois dans ses nouvelles, et les éditions Sao Maï en ont sélectionné un petit florilège des plus significatifs... Voulez-vous bouffer du bourgeois à la croque-aux-mots ? Alors dégustez cette "Assiette variée à la mode décadente", relevée à souhait.

Sur les sept nouvelles composant le recueil, quatre font leur miel de "lubies de bourgeois" dont certaines ont des conséquences risibles - M. Redoux paie d'une blessure esthétique le moment de terreur qu'il s'est octroyé par attrait pour la transgression - tandis que d'autres s'achèvent dans le sang - par exemple quand des propriétaires rendus paranoïaques par une simple rumeur se transforment en meurtriers. L'on voit ainsi dressé un échantillonnage d'attitudes stupides au milieu duquel on trouve même épinglés les chastes propos échangés par deux adolescents amoureux. Ah ! Ces charmes du premier amour que l'on aurait crus préservés de la mesquinerie bourgeoise... Les voilà eux aussi gâtés par de sordides considérations pécuniaires - Virginie et Paul échangent des serments et songent à leur mariage... en planifiant, à quinze ans, à combien se monteront leurs rentes ! L'on va jusqu'à frôler le fantastique dans À s'y méprendre ! où le narrateur, troublé par un brouillard pénétrant et par la perspective d'un rendez-vous d'affaires, témoigne, à travers une étrange confusion des lieux, d'une triste vision de l'humanité.
Après une telle galerie de grotesques et de ridicules, il ne pouvait y avoir d'autre clôture que radicale - et la dernière nouvelle qui est aussi la plus longue met en scène un anarchiste dont le projet avoué est rien moins que d'éliminer TOUS LES BOURGEOIS !

Villiers recourt fréquemment à l'emphase graphique – mots et passages en italiques, phrases entières composées en grandes capitales ; cela donne à sa prose une sorte d'amphigourie visuelle venant s'ajouter à ses raffinements stylistiques mais l'on sent dans cette surenchère une sorte d'autodérision, d'ironie profonde qui, en plus de viser le bourgeois, opère quelque retour de ton sur l'auteur lui-même que l'on imagine souriant d'un air sarcastique des moyens littéraires dont il use pour moquer l'objet de sa haine.

Ces contes sont venimeux à l'extrême, mais d'un venin indiciblement goûteux, instillé par une écriture précieuse et recherchée, tout en contournements phrastiques compliqués d'inversions syntaxiques peu habituelles – du venin qui coulerait goutte à goutte d'un flacon de cristal taillé comme un joyaux et orné de croisillons d'or, portant au col un cordon de soie. Les contes assassins de Villiers donnent le sentiment que leur auteur, de ses mots, démembre le Bourgeois comme il dépècerait un quartier de viande à l'aide de pincettes de vermeil, s'essuyant par intermittence bouche et doigts dans un mouchoir de dentelle brodé à son chiffre. L'exécration, aussi âpre fût-elle, a ses élégances – et l'on croirait, à lire ces nouvelles, voir un dandy festoyer de chairs grossières que l'usage d'ustensiles raffinés rendrait moins triviales...
Outre le plaisir que l'on doit au style exquisément précieux, au ton impitoyablement cynique du poète, ce petit recueil acquiert tout son prix par les notices dont l'éditeur a accompagné chaque texte et par l'avant-propos dont il a chapeauté le tout – eux aussi délicatement stylés, un peu "à la manière de" Villiers...

NB - Le recueil contient: Les Phantasmes de M. Redoux ; Le Tueur de cygnes ; Virginie et Paul ; Le Plus Beau Dîner du monde ; À s'y méprendre ! ; Les Brigands ; L'Etna chez soi.

Citation

Les bourgeois sont de joyeux vivants, ronds en affaires. Mais sur le chapitre de l'honnêteté, halte-là ! par exemple : intègres à faire pendre un enfant pour une pomme.

Rédacteur: Isabelle Roche jeudi 06 août 2009
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