Le Sixième homme

D'instinct, j'ai toujours fait preuve de gentillesse à l'égard du personnel, dans l'idée qu'il pouvait me faciliter la vie, même si je ne vois pas vraiment l'intérêt de compter un gardien de prison parmi ses alliés. Quoi qu'il en soit, pour une raison que j'ignore totalement, les matons ne raffolent pas des avocats de la défense. Et dans l'ensemble, j'ai connu des alligators affamés avec un sens de l'humour plus développé.
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jeudi 05 décembre

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Roman - Policier

Le Sixième homme

Ethnologique - Social - Enlèvement - Assassinat MAJ vendredi 23 mai 2014

Note accordée au livre: 4 sur 5

Poche
Réédition

Tout public

Prix: 8,7 €

Monica Kristensen
Kullunge - 2008
Traduit du norvégien par Loup-Maëlle Besançon
Arles : Babel, mai 2013
368 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-330-01977-8
Coll. "Noir", 87

Le polar le plus septentrional au monde

La notion de roman policier peut décidément recouvrir bien des choses. En voici une nouvelle preuve avec ce livre venu du froid – et même du grand froid, puisqu'il s'agit de l'archipel du Svalbard (dont l'île la plus connue est le Spitzberg - une Française, Léonie d'Aunet y est même allée dès 1839, mazette, et en a ramené un livre réédité en 1992 aux éditions du Félin). Il est publié dans une collection vouée au polar, mais on peut se demander si c'est bien sa place. S'il y a en effet une enquête policière, longue et tortueuse à souhait, on peut mettre en doute qu'il y ait meurtre (homicide par imprudence serait une qualification plus exacte). Il y a aussi un rapt d'enfant – à condition qu'on puisse vraiment dire d'un père qu'il "enlève" sa fille qui ne lui a pas été retirée par décision de justice. Mais, polar ou non, le livre se laisse lire avec intérêt, même s'il traîne un peu en longueur à la fin. Son grand mérite est d'exploiter à plein le milieu très particulier dans lequel il se situe : le Svalbard au cœur de l'hiver, ce n'est pas tous les jours qu'on s'y rend, même par le truchement de la littérature. Pourtant, cela vaut le détour (assez long, il est vrai, car il faut d'abord le trouver sur la carte du monde –cherchez au nord de la Norvège, à mi-chemin du pôle Nord, et, si vous avez la chance d'avoir un bon atlas...). D'abord parce que l'archipel jouit d'un statut assez particulier : le traité de Paris (1920) en a attribué la souveraineté à la Norvège, mais à la condition que toutes les puissances signataires soient autorisées à y exercer des activités économiques. Les Russes – ou plutôt les Soviétiques, en leur temps – n'ont pas omis de mettre cette clause à profit, quitte à y glisser quelques activités peu "catholiques", car la zone possède un intérêt stratégique certain, et ils ont même édifié une ville – Barentsburg – qui est l'un des lieux les plus sinistres de la terre, où la concurrence est pourtant rude en la matière. La France étant également partie prenante, libre à chacun de nous d'aller y planter ses choux. Pour quoi faire ? Eh bien, pêcher, par exemple, du moins si l'on n'est pas trop frileux car cette activité s'y exerce surtout en hiver, hélas – la chasse, elle, y est sinon interdite du moins très réglementée et surveillée, que les adeptes de Chasse, Nature et Tradition se le disent avant de partir ; ou exploiter une mine de charbon, l'archipel en regorge même si, à croire le livre, ce n'est pas sans risques physiques ; mais vous pouvez aussi y mener des travaux de recherche scientifique, à condition d'être compétitif dans un domaine de pointe, ou encore des activités de contrebande (prévoir motoneige et équipement adéquate et, pour le reste, se référer au livre). Votre lieu de résidence sera fatalement Longyearbyen (bel exemple de fraternité américano-norvégienne dans les termes) car c'est le seul endroit habitable si l'on n'est pas familier des expéditions polaires. Quant aux loisirs, si vous n'êtes pas adepte des beuveries de week-end – voire de semaine pour les plus motivés – vous pouvez emporter la série complète des Hommes de bonne volonté, elle suffira à peine pour une saison entière. Rassurez-vous, pourtant : dans un pareil "trou" (ce n'est pas moi qui le dit, ce sont ses habitants) tout le monde connaît tout le monde. C'est très sympathique, en soi, mais présente au moins un inconvénient : toute aventure extraconjugale est connue du voisinage avant même que les intéressés aient eu le temps de "passer à l'acte", parfois. Que les jeunes parents ou femmes enceintes ne se laissent pas rebuter : il y a un jardin d'enfants, si, c'est vrai – encore que la sécurité n'y semble pas assurée en toute circonstance. Et le gouverneur est une femme, beau pied de nez à tous les machistes du monde car ce n'est pas vraiment une sinécure.
Bref, on aura compris que ce livre vaut surtout par l'image fidèle et détaillée de la vie quotidienne dans ce pays du bout du monde – où il faut organiser un pont aérien depuis la capitale (Oslo, pour les plus incertains, ce n'est pas tout à côté, vérifiez sur la carte) si vous êtes malade – ce qui permet de jouir du statut de VIP aux frais du contribuable norvégien et de se sentir vraiment important. À défaut de faire l'expérience dans sa chair (gare aux engelures) on peut la faire avec profit et sans désagrément aucun en lisant ce "polar" bien ficelé, bien documenté (du fait d'une solide expérience acquise sur place par l'auteur) et parfois assez haletant. En prime, vous aurez acquis des connaissances non négligeables quant aux activités évoquées ci-dessus – y compris l'adultère et ses funestes conséquences, comme quoi la morale peut être sauve même dans un "vrai-faux" polar.

Citation

'Le fait est qu'c'est sacrément rude, l'Arctique !', dit le capitaine en mâchonnant avec satisfaction un mégot marron jaune coincé dans la commissure de ses lèvres.

Rédacteur: Philippe Bouquet jeudi 15 mai 2014
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