L'A26

Leurs mains se touchent, ils se rassurent d'un baiser dans le noir, épuisés, stressés. Cela ne dure qu'une petite minute, une éternité d'angoisse avant que leur réduit ne s'ouvre et que la lumière des réverbères pénètre enfin. Elle devine que Rob se prépare au combat, bien décidé à ne pas se laisser arrêter si près du but...
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mardi 19 mars

Contenu

Roman - Noir

L'A26

Psychologique - Social MAJ vendredi 30 décembre 2011

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Réédition

Tout public

Prix: 15 €

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Pascal Garnier
Paris : Zulma, mars 2009
128 p. ; 19 x 12 cm
ISBN 978-2-84304-475-5

Le temps est à la boue, au-dedans comme au-dehors

Comme la plupart des personnages que j'ai croisés dans les romans de Pascal Garnier, Bernard et Yolande – le frère et la sœur – sont des blessés de la vie. Lui, vient d'apprendre qu'il était condamné par la maladie – rien à faire qu'à prendre des médocs pour enrayer la douleur et avoir l'illusion que "ça va mieux". Elle, a démissionné depuis longtemps ; un demi-siècle de totale claustration dans la maison, derrière le Trou du cul du Monde – le petit trou percé dans la porte pour voir qui du dehors s'aventure jusqu'au seuil – à compter du jour où on l'a tondue, après la guerre, pour avoir fricoté avec Zep. Bernard s'est dévoué pour lui épargner l'obligation de sortir de la maison : cheminot, il a employé tout son temps, tout son salaire à subvenir aux besoins de sa sœur. Avec la maladie, ce ne sera bientôt plus possible ; et quand il demande un congé, c'est le début de la fin.

Avec une sorte de douce hébétude, Bernard glisse sur la pente du meurtre – Maryse d'abord, puis Irène... Pendant ce temps, Yolande sombre insensiblement dans une fureur paranoïaque. Tandis que chacun est comme bu par sa propre folie, remontent par bribes dans la trame du récit, telles des aigreurs d'estomac, les plaies du passé suintant leur vitriol sur les souffrances du présent : des liens d'enfance aux relents incestueux, un père violent qui ne mâchait pas ses coups... et puis la guerre avec ses épreuves. Les côtoient Jacqueline et Roland, les bistrotiers – Jacqueline qui en a toujours pincé pour Bernard, Roland fier footballeur quand il était jeune, devenu un immonde poivrot enflé de graisse - et féroce avec ça qui bat sa femme... Le tout sous le regard béant du vaste chantier voisin, celui de la future autoroute, qui éventre le sol, remue les entrailles de la terre et se gorge de pluie. Comme les âmes s'inondent de fiel, de rancœurs et de regrets.

En même temps que Bernard dépérit et s'efface peu à peu de la scène des vivants jusqu'à passer enfin, terrassé par son cancer, le délire paranoïaque de Yolande s'amplifie, la submerge, la noie, au rythme galopant des rats qui commencent de jaillir d'un peu partout dans la maison saturée de déchets, débris souvenirs amassés en chaos putrides – même les chiottes sont bouchées… Au fil des pages montent en lente marée sordide la folie de l'une et l'agonie de l'autre.
De tous les romans de Pascal Garnier que je connaisse, celui-ci est le plus noir, le plus oppressant. Il brille comme les autres de multiples éclats d'écriture – ces formules-miracles semées comme d'infimes étoiles au détour des phrases – mais ils ont la lueur sombre, et nulle part je n'ai trouvé ces imperceptibles sourires qui, dans les autres romans, invitent à éprouver pour les personnages une tendresse compatissante.

Lorsque fut évoquée, au cours de l'entretien que nous avons eu au Train Bleu, la réédition de L'A26, je demandais à Pascal Garnier si, profitant de l'opportunité offerte par l'éditeur, il avait remanié ce qu'il avait écrit dix ans auparavant. Il me répondit qu'après de longues réflexions, il avait choisi de ne corriger que les coquilles et de laisser en l'état des phrases qui aujourd'hui ne le satisfont pas pleinement - "Il ne faut pas retoucher pour essayer d'atteindre cette perfection : en général, c'est comme ça qu'on met le foutoir !"
Il me semble que ce fut là un juste choix ; s'il y a bien ici ou là des répétitions qui ne sont peut-être pas de vrais effets de style, je reste persuadée que ces aspérités sont précisément ce qui achève de donner au texte sa force et qu'à trop vouloir le lisser on l'aurait affadi. Heureusement qu'il est là avec ses petites éraflures - il se reçoit à pleine puissance, et il en faut de la puissance littéraire pour qu'un texte, simple tissu de mots dit l'étymologie, étreigne le cœur aussi fort, au point de fâcher pour longtemps avec la vie et le genre humain un lecteur qui serait un tant soit peu enclin à l'humeur morne.

Citation

Il y a des choses qu'on ne peut pas tuer avec un fusil, parce que ces choses-là sont déjà mortes.

Rédacteur: Isabelle Roche mardi 12 mai 2009
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