Le Chinois

Il avait longtemps prié Dieu et Dieu ne lui avait pas répondu. Il s'appelait Rollie Fletcher pour l'état civil, ça suffisait à la plupart des gens. Dans le faisceau lumineux de sa torche, le gars était couché sous la lune, sur le ventre, en chaussettes.
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samedi 09 novembre

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Roman - Policier

Le Chinois

Historique - Géopolitique - Vengeance MAJ jeudi 24 octobre 2013

Note accordée au livre: 4 sur 5

Poche
Réédition

Tout public

Prix: 8,2 €

Henning Mankell
Kinesen - 2008
Traduit du suédois par Rémi Cassaigne
Paris : Points, janvier 2013
562 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-7578-3211-0
Coll. "Policier", 2936

Polar mondial !

Il y a belle lurette que Henning Mankell a fait tirer sa révérence à Kurt Wallander (même s'il a eu la malencontreuse idée de lui faire tenter un "retour" par fille interposée), mais il n'a pas cessé d'écrire des polars pour autant. Il faut dire que le crime est un sujet inépuisable et qui, de plus, jouit d'un bel avenir – c'est même l'un des rares domaines à pouvoir s'en vanter par ces temps de "crise" (sic). Il a donc encore frappé, et même très fort, avec cette histoire d'assassinat de dix-neuf personnes d'un coup (excusez du peu) dans un village de Suède au nom forcément imprononçable (du moins pour les non-Suédois) : Hesjövallen, rendez-vous compte ! Il a beau être fictif, il n'en est pas moins représentatif du désert humain qu'est devenue la moitié nord du pays. Curieusement, trois villageois ont été épargnés, mais aucun n'a remarqué quoi que ce soit d'anormal. Il est vrai que l'une est une détraquée mentale, mais les deux autres (un couple d'un certain âge, Tom et Ninni Hansson, qui se définissent comme day traders et gagnent leur vie à jouer à la Bourse sur Internet depuis le fin fond de la forêt !) ne se sont aperçu de rien et ont du mal à en croire leurs oreilles. Circonstance aggravante : le massacre a été découvert par un photographe en quête de pittoresque qui a été si choqué qu'il a été victime d'une crise cardiaque et a eu un accident mortel, au volant, alors qu'il appelait au secours sur son portable. Autre curiosité : l'une des victimes, un jeune garçon, est totalement étrangère au village et non-identifiée. L'enquête est menée par une femme, Vivi Sundberg, qui dispose pour seul indice d'un ruban de soie rose. À Helsingborg, la juge Birgitta Roslin, apprend à la lecture des journaux, que les parents adoptifs de sa mère, Brita et August Andrén, figurent parmi les victimes du massacre. Et, peu après, qu'une autre famille Andrén à été massacrée aux États-Unis. Elle découvre d'ailleurs, sur place, des carnets et lettres d'un certain Jan August Andrén qui retracent le parcours de cet homme parti jadis construire des chemins de fer outre-Atlantique. Elle se souvient aussi avoir vu un ruban de soie identique pendu à un abat-jour dans un restaurant chinois.

Le livre opère alors un saut dans l'espace et le temps et nous nous retrouvons près de Canton en 1863. Trois frères d'une vingtaine d'années, San, Wu et Guo Si fuient vers la ville l'oppression meurtrière des gros propriétaires terriens, après que leurs parents se sont pendus de désespoir. Ils sont kidnappés, Wu est tué, les deux autres transportés clandestinement en Amérique où ils se retrouvent dans le Nevada à travailler en esclaves, en compagnie de Noirs, à la construction d'une ligne de chemin de fer transcontinentale, sous les ordres d'un certain J. A. Ils s'enfuient mais sont rattrapés par J. A. qui exerce sur eux une tyrannie sadique qui nourrit en San une haine farouche qui ne le quittera plus même après leur libération en 1867. À bord du bateau qui les ramène en Chine (via l'Angleterre !), ils sont abordés par deux missionnaires suédois, Elgstrand et Lodin, qui leur demandent de leur apprendre leur langue en vue de leur future tâche. Guo Si meurt au cours de la traversée (son frère prélève un os de son pied pour l'enterrer un jour) et, à son retour au pays, San entre au service des missionnaires suédois, bien décidé à apprendre à écrire pour rédiger l'histoire de sa vie. Il devient vite une sorte de contremaître, se trouve une femme, Qi, mais, comme elle tombe enceinte sans être mariée, elle est congédiée par les missionnaires, qui ne peuvent tolérer un tel péché, et se jette à l'eau.. Après avoir eu une autre preuve du mépris des missionnaires pour les Chinois, San quitte la mission avec la caisse ce qui lui permettra de vivre de ses rentes pendant le reste de sa vie et de militer au sein des sociétés secrètes qui œuvrent pour chasser les Blancs de Chine. Il donnera à son fils aîné le nom de son frère, Guo Si. Un postscriptum à cette partie, situé en 2005, montre un de ses descendants, Ya Ru, un de ces "capitalistes rouges" qui dominent le pays et le monde, confiant à un certain Liu Xin une mission à accomplir dans le vaste monde. Ce sera la vengeance – bien glacée – de San.

Au restaurant chinois de Hudiksvall, puis dans un hôtel voisin, Birgitta retrouve la piste d'un certain Wang Min Tao, dans la soirée du 12 au 13 janvier. Il a même été enregistré par la caméra de surveillance et a laissé derrière lui une revue sur laquelle il a griffonné ce qui s'avère être le nom d'un hôpital de Pékin. Mais la police tient déjà un suspect, un certain Lars-Erik Walfridsson, qui ne tarde pas à avouer avoir agi par vengeance. Mais il se suicide dans sa cellule et il apparaît vite que c'était un affabulateur. Birgitta, elle, profite d'un congé de maladie pour partir en Chine avec son amie Karin, ancienne maoïste comme elle. Elle y est agressée par derrière dans la rue. Pourtant, son sac lui est rapporté dès le lendemain, par une certaine Hong Qiu, qui occupe apparemment des fonctions occultes au sein du pouvoir. Seul l'argent manque. Mais elle se sent surveillée de près et on veut à toute force lui faire identifier un certain Lao San (l'autre ayant paraît-il été tué par la police pour avoir résisté), alors qu'elle affirme n'avoir pas vu ses agresseurs. Elle l'interroge en vain, pour sa part, sur l'homme dont elle a la photo.

Dans la quatrième partie, l'action se transporte, en 2006, en Afrique – continent que les Chinois ont décidé de "mettre en valeur" - et plus particulièrement au Zimbabwe de Mugabe. Ce sera le théâtre de l'affrontement entre Ya Ru, symbole du néocolonialisme chinois à base de corruption et d'exploitation cynique des êtres humains et des richesses naturelles (les JO de Pékin se profilent à l'horizon) et sa sœur Hong Qiu, qui n'a pas renoncé, elle, aux idéaux politiques et moraux du maoïsme. La toile de fond est un pharaonique projet d'installation de... quatre millions de paysans chinois dans le delta du Zambèze, au Mozambique. Là, Hong est assassinée par Liu Xin, ensuite liquidé par Ya Ru, qui va pouvoir faire entreprendre la construction du palace qu'il projette sur les bords de l'océan Indien. Mais, méfiante, Hong a laissé une lettre à une amie et, l'année suivante, Ya Ru est informé qu'il est en danger et que cela pourrait être lié à une certaine juge suédoise un peu trop curieuse. En Suède, Birgitta reçoit la visite d'une Chinoise (Ho Mei Wan, qui vit à Londres) qui lui apprend que Hong Qiu avait souhaité qu'elle soit informée au cas où il lui arriverait quelque chose. Puis elle reçoit un appel téléphonique du propriétaire de l'hôtel de Hudiksvall qui lui apprend que le Chinois est revenu et s'est enquis de savoir où elle habite. Paniquée, elle part pour Londres, retrouve Hon mais s'évanouit de frayeur en se trouvant face à face avec un homme qui ressemble à Liu Xin. Ya Ru, lui, a suivi sa piste depuis la Suède et s'apprête à lui faire ingurgiter une "potion choisie" à base de poudre de verre lorsqu'il est lui-même abattu d'un coup de feu à travers la vitre de l'hôtel. C'est San, le fils de Hong, qui a tiré pour venger sa mère et a sauvé Birgitta par la même occasion. Un texte de la main de Ya Ru explique ce c'est lui qui a envoyé Liu Xin tuer, tant dans le Nevada qu'à Hesjövallen, pour venger ses lointains ancêtres. Il n'explique pas la présence du ruban rouge, mais Birgitta le transmet à la police de là-bas. Un épilogue nous apprend c'est sans doute un loup affamé qui a déchiqueté les cadavres.

Fort de son expérience et de ses succès, Mankell s'essaie ici à une sorte de "polar mondial" s'étendant sur un siècle et demi et sur tout le globe. D'une certaine façon, c'était fatal, quand on pense à l'ampleur croissante de la série des Wallander. Mais il était aussi fatal que cela le pousse un peu plus encore dans son péché mignon : la longueur, sans cesse croissante, elle aussi, de ses romans. Jusqu'où cela le mènera-t-il ? N'aurait-il pas intérêt à fractionner ses intrigues ? Car il y a ici la matière de plusieurs romans. Et ce n'est pas l'intrigue policière qui est le point fort de l'intrigue, même si elle en constitue le fil rouge. Car ce livre est aussi un roman sur la Chine, la (géo)politique, la justice, le vieillissement... Abondance de biens ne nuit pas, dit-on. Certes, certes, d'autant que Mankell maîtrise l'art de mener une intrigue (pour le moins complexe comme on peut en juger), même si la fin est un peu trop dramatique. Ce qui abasourdit le lecteur, c'est la masse : masse de pages, de faits, de raisonnements, de personnages, de lieux, de citations de Mao... Et on se demande, non sans une pointe d'inquiétude, quel cadre l'auteur donnera à son prochain roman : le système solaire, l'univers ? Il risque en tout cas d'être encore un peu plus difficile à suivre dans ses ambitions.

Citation

Même si elle s'appelait 'culturelle', cette dernière révolution lancée par Mao était avant tout politique.

Rédacteur: Le Huron svécomane mardi 28 mai 2013
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