Le Bagne de la Légion

À une époque désormais lointaine, la présence d'Alina m'avait fait comprendre que nous, les personnes voyantes, partions systématiquement du principe que nos interlocuteurs étaient capables d'interpréter nos gestes et nos mimiques. Sans en avoir conscience, en hochant ou secouant seulement la tête pour répondre à une question, nous prenions pour une évidence notre capacité à voir.
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vendredi 29 mars

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Essai - Noir

Le Bagne de la Légion

Prison MAJ lundi 28 janvier 2013

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Réédition

Tout public

Prix: 20,9 €

Henry Allainmat
Postface de Henry Allainmat & Noël Kruslin
Paris : La Manufacture de livres, janvier 2013
320 p. ; 23 x 15 cm
ISBN 978-2-35887-054-2

Il sentait bon le sable chaud

Fidèle à ses objectifs, la Manufacture de livres poursuit son tour d'horizon de la pègre et des prisons les plus dures. Voilà donc la réimpression d'un titre parut chez Balland en 1977 et qui fut ensuite abondamment réédité chez France loisirs et au Livre de poche sous le titre L'Épreuve : le Bagne de la Légion, renseignements absents ici tout comme le reste de la bibliographie intéressante de l'auteur.

Dans une heureuse postface sous forme de questions réponses un peu scolaires avec le journaliste Noël Kruslin, Henry Allainmat revient, en 2008, sur les conditions de l'écriture de ce roman qui est en fait un récit majoritairement tiré des mémoires d'un jeune légionnaire, engagé sous le nom de Marcel Terrier et cassé psychologiquement et physiquement par les gradés de la "Section d'Épreuve", centre de "rééducation" pour légionnaires rétifs aménagé dans une ancienne citadelle sur les hauteurs de Corte en Corse. L'auteur, qui était journaliste, découvre, à l'occasion d'un interview de Pierre Perret et lors d'une conversation dans un café avec des légionnaires, l'existence de ce centre. Il passera ensuite des petites annonces pour obtenir des témoignages de disciplinaires et, sans passer par la case armée, qui lui aurait de toute façon opposé une fin de non recevoir, entreprend son récit en croisant infos et témoignages.

Engagé en 1971, Michel Trouvain est devenu, selon la loi de la Légion, Marcel Terrier. Nous allons donc suivre ses aventures notamment à Djibouti. Deux tentatives d'évasion vont le conduire devant un tribunal interne qui le condamnera à six mois de Section d'épreuve. Dès son arrivée, c'est le festival : coups, insultes, attachements derrière la Jeep, déshabillage, mise au cachot avec flaque d'eau glacée sur le sol, travaux harassants (taper avec une masse sur un rocher en comptant les coups) et déplacement d'une colline qui ne cesse de faire le tour des bâtiments, tournée sur un circuit en courant, main sur l'épaule de son voisin, maigre pitance, et bien sûr "corridas" pendant la nuit où les gardés ivres débarquent, virent la literie, envoient tout le monde courir à moitié nu dans le froid avant d'exiger les lits au carré. Bien sûr, "l'ordinaire" de l'armée est toujours présent mais cette fois-ci décuplé : garde-à-vous, pompes par lot de cinquante à n'importe quel moment, réponses respectueuses surtout dans les situations humiliantes et/ou douloureuses etc.

Après une nouvelle tentative de désertion, Marcel est repris et consciencieusement maté voire robotisé au grand plaisir de son tortionnaire principal, Loriot, un sous-officier d'origine malgache qui le prend en exemple pour l'humilier devant ses collègues afin de leur montrer un produit bien fini. Sans tomber dans le registre sadien de Salo, ni dans une empathie mélodramatique, l'auteur se montre efficace dans sa dénonciation. Grâce aux désertions et aux quelques séquences de liberté de son héros, il parvient aussi à nous dépeindre des paysages et une société inconnus (on pense à Jackie la Parisienne, la seule putain blanche de Djibouti et des alentours, amassant patiemment son pécule avec ses trente à quarante passes par jour). Le lecteur est impressionné par la faculté de résistance de ces garçons d'une vingtaine d'années qui enchaînent travaux éreintants pendant douze heures, sévices et manque de sommeil.

L'ordinaire de la discipline militaire est ici mis au service du décervelage et de l'écrasement physique. C'est toujours de la discipline militaire mais poussée à l'extrême : à chaque attitude répond une sanction que les cadres multiplient à l'envi. Répressions codées (toujours les mêmes) et graduées. Par exemple, niveau 1 : on expédie le puni dans un cachot. Niveau 2 : on expédie le puni nu dans un cachot. Niveau 3 : on jette de l'eau sur le sol pour qu'elle gèle. Niveau 4 : on place une serpillière sous la porte pour empêcher l'eau de filtrer. Bien sûr les gradés ne cherchent pas à tuer. Il faut bien envoyer à l'hôpital ceux qui avalent des cuillères ou qui tentent de se suicider. Et ceux qui refusent d'obéir y finiront aussi puisque les cadres vont les désigner comme boucs émissaires en bombardant les autres disciplinaires de mesures de rétorsions dues justement au refus d'un seul.

Dans ce cercle vicieux de sadisme froid et calculé, on comprend que le jeune légionnaire, qui va être plus tard réformé, ne pourra plus sortir de cette spirale de soumission et de folie.

Citation

La parade. Le boniment. Le spectacle. Derrière le rideau, il y avait les Albertini et les Loriot. Dans les plis du drapeau de la Légion se cachait la Section disciplinaire. Cela, les Français l'ignoraient.

Rédacteur: Michel Amelin lundi 28 janvier 2013
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