Comme un écho errant

Je m'appelle Jérémy Lepage, j'ai 34 ans, et je vais commettre le meurtre parfait. J'ai depuis longtemps cette idée obsessionnelle en tête et cette fois, c'est le bon moment. Le chemin pour y parvenir est compliqué mais c'est ce qui rend cette aventure d'autant plus excitante.
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vendredi 29 mars

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Roman - Noir

Comme un écho errant

Social MAJ lundi 05 novembre 2012

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 16,5 €

Jean Meckert
Nantes : Joseph K, juin 2012
192 p. ; 20 x 13 cm
ISBN 978-2-910686-64-2

"Il" est un autre

"Il pouvait dire son nom, son âge, son adresse, sa profession. En somme il redevenait le parfait citoyen, auquel on n'en demande pas davantage pour se donner des maîtres."
Jean Meckert, soixante-quatre ans, romancier, découvert sans connaissance rue Belleville, sort amnésique d'un coma de quelques heures à la Pitié-Salpêtrière, mais alors ce qu'il s'appelle blanchi, les synapses lessivées, "les circuits embarqués dans les bennes ramasseuses pour laisser un blanc quasi total de la mémoire..."
Un gouffre de cinquante ans, définitif.
De son fils, de sa femme, eux-mêmes très déterminés, ces derniers temps, à l'oublier pour de bon, Meckert ne garde rien. Photos, images, traces et restes divers qu'il conserve de lui-même, tout appartient à un Autre. Les dizaines de livres qu'il a écrits, aussi. Romans populaires, polars signés Jean Amila, un nom reconnu, apprend-il, chez les fondus de roman noir... Les Jean Meckert, itou, dont le dernier opus en date brocarde le néocolonialisme franzosich en Polynésie, les secrets d'État, rapport aux essais nucléaires à Mururoa, livre retiré du marché sans autre forme de procès en 1971. Ce livre-là1 non plus ne lui parle pas de lui.
Tout. Tout lui est rien. Les preuves incontestables de son demi-siècle d'existence ne font qu'authentifier le blanc qui le recouvre et, passée l'humiliation du handicap mental, consacrent le désert sans appel de cette seconde enfance :
"Est-il possible de faire comprendre, à qui n'en a pas l'expérience directe, qu'on puisse se retrouver supérieurement heureux d'avoir été rejeté de la meute ? À la notion de Société, cette pipeletterie complexe, se substitue alors la pleine conscience de l'Espèce entière. Et la fin devient commencement."
Il y a précisément un petit gars qui n'a que trop goûté, en son temps, ce genre d'extase. Tout frais sorti de son bagne pour enfants, crâne rasé et certif en poche, livré à l'esclavage du plein emploi, bizuté à l'électrochoc par la Fée Électricité en personne, bridé, déprécié d'un atelier l'autre, lui aussi s'est fréquemment éjecté de la meute, en fantasme, composant des vers enfantins sur un coin d'établi : "Qu'importe le présent, je fuis vers l'avenir / Comme un écho errant, solitaire et paumé."
Ce petit gars, c'est le Jean Meckert du "Belleville artisanal des années 1920". Du temps où "Paris n'était pas encore devenue la grosse pouffiasse engorgée et hypertendue qui se pâmait dans les bras de gigolos montés de leur province". "Temps raisonnable où patriote voulait simplement dire demeuré, où religion signifiait momerie."
De l'autre côté du pont effondré qu'est devenu l'existence de Meckert, à cinquante ans de distance, le "petit gars" reste debout, intact, avec sa haine du prolétariat, sa non-conscience de classe, et une mythologie personnelle très âpre. La disparition du père, censément zigouillé en 1917 pour "poudre d'escampette", (le paternel préférait "Le Temps des cerises" au Chemin des Dames) est toujours aussi cuisante. Intacte aussi la mélancolie suicidaire de la mère, qui quasi centenaire menacera toujours de se jeter dans la Seine et mourra en ne souhaitant à personne, pas même aux pires ordures, de vivre aussi longtemps.
Intacte aussi la soif de mots et de normalité de la bonne Augusta, sa sœur, qui a pris en charge sa rééducation, lui imposant de quotidiens exercices d'expression bigophonique, acharnés, comme si les neurones étaient des altères. La honte d'elle-même et de son gros corps de femme largué par un militaire, planqué en plus, l'emporteront peu à peu. Le débit de mots, de bondieuseries nationales, de mômeries morales, aura été beaucoup trop fort...
L'hommage aux deux femmes de Meckert, qui vont bientôt disparaître, se double d'un petit traité sur le sentiment de l'identité, qui n'est pas celui d'un moi, à vénérer, à nourrir d'idéaux et de principes éthiques, mais le sentiment d'appartenir à l'espèce entière, en pleine force de l'enfance :
"La question était bien là. L'accumulation des souvenirs, qui produisait dans les meilleurs cas une personnalité, n'était-elle pas surtout un masque de plus en plus opaque, occultant l'évidence la plus absolue, c'est-à-dire l'appartenance primordiale à l'Espèce ?"
La présence du petit gars sous la boîte crânienne du vieil amnésique et sa conscience d'exister, sa conscience d'appartenir à l'espèce humaine en son entier, sont une seule et même chose. Ils sont l'un comme l'autre, l'un sans avenir, l'autre sans passé, "comme un écho errant sans paroi où se réverbérer".
Mais "on est seul dans sa peau" martèle Meckert, depuis qu'il n'a plus rien d'autre que son absence sociale à se mettre sous la dent, et dans sa vieille peau de romancier amnésique seul ce petit gars veille, avec ses chétives aventures d'orphelin esclave, et il porte sur son avenir volé (le passé dont l'Autre n'entrave plus rien) - et sur son œuvre relue intégralement, mais comme celle d'un étranger -, un regard critique, sans aigreur mais sans complaisance non plus :
"Sûr qu'il avait son petit talent, car les maisons d'édition ou les producteurs-ciné n'avaient rien de bureaux de bienfaisance !
Mais quoi, le talent ? Pour dire quoi ?... Pour ne rien dire, pour être finalement un bon et brave citoyen, vaguement original et titillant, racontant des histoires à rebrousser le poil en prenant bien soin de ne pas effaroucher les institutions reconnues d'intérêt supérieur, sinon le manuscrit était refusé !
Larbin, donc, il fallait douloureusement l'admettre. Créateur-larbin, cette déchéance, avec toute une étagère de bouquins dont certains étaient pas mal troussés, mais qui lui criaient : loupé !"

Les amateurs des polars de Jean Amila s'installeront sans se faire prier dans la traction des années 1920 que l'amnésique aura fait de son enfance intacte, sans avenir ni nostalgie. Mais le roman noir restera sur cales, dans le hangar désert de son existence solitaire, car pour que la mayonnaise romanesque attendue prenne, il faudrait que la mémoire revienne et elle ne reviendra pas.
Ce livre est celui d'un réfractaire. Un livre lui-même à contre-courant des propres créations de Meckert-Amila.
Gallimard ne s'y est finalement pas trompé, en le refusant en 1986.
On peut d'ailleurs parfaitement entendre l'argument parfaitement hypocrite du 5 de la rue Sébastien-Bottin de l'époque, qui reprochait à l'auteur, si ma mémoire ne me joue aucun mauvais tour, de ne pas choisir entre autobiographie et roman psychologique. Il s'agit bien à la fois d'un roman et d'une autobiographie, écrite par stricte nécessité neuronale.
Mais il serait plus juste de dire que Meckert ne choisit jamais, dans cette fiction autobiographique, entre la troisième et la première du singulier. Il ne se nomme jamais, ne se baptise jamais. "Il" se nomme simplement par un "Il" qui sonne comme un "je". Et "Il" est un Autre...
Meckert l'ouvre, et c'est un petit gars aux abois qui parle et se démène dans la saloperie humaine post quatorze dix-huitarde. À l'inverse, quand le "petit gars" retrouve les principaux drames de sa vie incarnés par ses sœur et mère, c'est cette fois le vieil amnésique qui parle et, un comble !, devise sur la mémoire humaine...
Il y a dans ce roman comme une incohérence, qui est à la fois son thème et sa façon, et loin de rechercher le temps perdu, fonde l'humanité de son auteur sur l'innommable et l'inachevable (le livre se clôt sur la première phrase du livre). Aucune psychanalyse dans ces pages, ni espoir ni désespérance, rien que du nerf.
Et des pages d'une poésie sûre, souvent. Le détournement de la formule rimbaldienne ("Il" est un autre) y paraît rien moins qu'usurpée. Sans chichi versifié, ni manifeste surréel, Meckert écrit la vie avec une virulence sèche et sans détour, qui rend ce livre proprement inclassable. Cela est particulièrement vrai lorsque l'amputé mental, se retapant pour de bon la mémoire immédiate, dans le désert parfait de son ennui, éprouve des moments d'extases impensables, incommunicables, en réalisant qu'il est, en réalisant ce qu'il est. Ses visiteurs le soupçonnent même franchement de folie quand ils découvrent accroché à un mur de sa carrée campagnarde un scanner cérébral mis sous verre :
"... neurones en petits poulpes brun Van Dyck sur fond jaune indien / juste une cinquantaine d'individus, au hasard cernés dans un monde colosse comme la planète entière, qui comprenait aussi des milliards de petites cellules particulières et pensantes, avec chacune sa personnalité, sa fonction, sa forme, ses pseudopodes lancés tous azimuts pour les contacts humains."
Et notre amnésique en culottes courtes abhorre la sacrosainte mémoire collective, et ne trouve rien de plus impérieux que de chanter le délice et la beauté du cerveau, entendus dans leur sens culinaire :
"À quoi pouvait rêver le fameux homme des cavernes, sinon de faire cuire une cervelle d'ennemi au feu de braise dans un crâne retourné ? En quoi cet ancêtre était plutôt supérieur aux superbes professionnels étoilés, qui ne songeaient plus guère qu'à occire pour les statistiques, les pourrissoirs et les cérémonies du souvenir impérissable, au nom d'une quelconque connerie redondante."
Un humanisme si fin gourmet avait pourtant de quoi redonner appétit. Mais faut croire qu'un ami de l'Espèce humaine aussi effrontément heureux de n'être plus rien qu'humain dérangeait bien davantage que l'ami anar2, car paraîtront encore quelques romans noirs signés Jean Amila, avant cet essai romanesque ultime, fort apprécié mais refusé, fréquemment évoqué par les amis du maître, et enfin sorti d'un oubli d'un quart de siècle par les éditions Joseph K.

1 La Vierge ou le taureau. 1971. Ce pamphlet anticolonialiste, antimilitariste, souvent évoqué dans Comme un écho errant, n'est jamais désigné par son titre. Ni d'ailleurs aucun de ses livres. Aucun titre, aucun nom d'auteur, aucun de ses pseudos, rien. Meckert revient souvent sur ce livre retiré de la vente, car il pense avoir été bastonné, rue Belleville, alors que les neurologues de la Pitié-Salpêtrière pensent plutôt à une crise d'épilepsie. Et, assez logiquement, Meckert rapproche l'interdiction du livre de sa mésaventure, en considérant que l'État français gagnait indéniablement à ce que Meckert perdît une mémoire si compromettante.
2 On voit généralement dans Amila, le pseudo sous lequel Meckert a signé ses polars (chez Gallimard à la "Série noire"), le diminutif de Amilanar, verbe qui signifie en espagnol "inquiéter", et gagne de significatives résonances en français : Ami l'Anar, l'Ami Anar...

Vous pouvez retrouver l'ensemble de ces chronique dans le dossier Retour aux sources.

Citation

Je suis bien incapable de donner une explication. Je sais seulement que nous sommes des quantités de réfractaires, partout, et à toutes les époques. Des emmerdeurs, en somme. Ou bien des bêtes, oui, comme le saumon qui se crève à remonter la rivière pour aller pondre en eau pure. On est faits comme ça, c'est tout. Et il n'y aucune raison de nous classer chez les dingues parce qu'on est faits pour nager à contre-courant. Il ne s'agit pas tellement d'illumination ou de message. Au fond, on n'a presque rien à dire. Dès qu'on se met à 'vouloir ' dire quelque chose, c'est qu'on se laisse emporter par le courant. Alors on devient feignasse, on fait la bonne glisse sur les mots, ça n'a plus aucune importance. Je me fais comprendre ?

Rédacteur: Stéphane Prat dimanche 04 novembre 2012
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