Enfants du malheur !

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jeudi 18 avril

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Essai - Noir

Enfants du malheur !

Social - Prison MAJ lundi 02 avril 2012

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Réédition

Tout public

Prix: 17,9 €

Henri Danjou
Paris : La Manufacture de livres, mars 2012
220 p. ; 23 x 14 cm
ISBN 978-2-35887-037-5

Massacre des innocents

Excellente idée de rééditer ce texte de dénonciation rédigé d'août 1930 à juillet 1931, d'abord paru en feuilleton dans le journal "Détective" puis repris en livre chez Albin Michel en 1932. Henri Danjou, tout comme Henri Béraud, Édouard Helsey, Pierre Mille ou Andrée Viollis - l'une des premières "grand reporter", est un journaliste de l'école d'Albert Londres (1884-1932) qui préconisait l'immersion totale dans le sujet, et une écriture littéraire et novatrice. Danjou, né en 1897, a contribué à de nombreux journaux et s'est spécialisé dans la marginalité et sa répression (Les Bas-fonds de Paris chez Albin Michel en 1928) ainsi que dans la géopolitique (L'Héroïque Finlande, en 1939). Il est aussi crédité comme scénariste dans au moins deux films de Maurice Cloche entrant dans son premier thème de prédilection : La Cage aux filles (1949) et Rayés des vivants (1952). Rappelons aussi que le magazine "Détective", créé au départ par Gaston Gallimard, avec les frères Kessel aux manettes, avait de grandes ambitions sociales dont la fermeture des bagnes. Le travail d'Henri Danjou s'inscrit dans cette politique.

Enfants du malheur ! raconte la tournée du journaliste dans les divers bagnes d'enfants en France. La majorité étant fixée à vingt et un ans, tous les "criminels" d'âge inférieur évitent les Centrales ou le Bagne de Guyane. Dans le premier chapitre, Henri Danjou assiste à des rafles et à des jugements. Les présidents de tribunaux ne se montrent pas tous intransigeants. La plupart des enfants ont été placés auparavant chez des artisans ou des paysans. Mais ils ont fugué et, comme ils n'avaient rien, ils ont fini par voler. La plupart n'ont plus de famille car orphelins ou victimes de sévices. Filles et garçons tombent dans la prostitution. Danjou commence son périple par le bagne d'Eysses, où sont enfermés les plus vieux et les plus endurcis - voir le lourd historique de la prison. Bénéficiant certainement d'autorisations en haut lieu, Danjou a le champ libre pour entrer dans les cellules et visiter les locaux. Les surveillants et les directeurs font contre mauvaise fortune, bon cœur. On lui raconte quelques histoires édifiantes. Le journaliste confesse aussi de jeunes condamnés. Il détaille les emplois du temps et la liste des peines, les tentatives de suicide, les maladies vite fatales et les mutineries réprimées (celle de Belle-Île fut à l'origine de romans comme La Chasse aux enfants de J.-H. Limes, de films et d'un poème de Jacques Prévert). Le partage des arrivants par les "caïds" qui attribuent les rôles "homme" ou "femme" et "marient" les couples moyennant quelques cigarettes ou droit de cuissage est une tradition qui se perpétue au bagne de Guyane comme le raconte René Belbenoit dans Guillotine sèche chez le même éditeur. De la Thébaïde de Chanteloup en Touraine, tout près de l'Abbaye de Fontevrault transformée en prison, où sont enfermés les plus jeunes dans une atmosphère plus souple, au bagne de Belle-Île, Danjou découvre des centaines d'enfants prisonniers de leur destin. Suite à des vols minimes (un pot de confiture) ou des dégradations (une enseigne bombardée de pierres), ils ont été placés par la justice en maison de correction pour plusieurs années. Des fautes de discipline ont ensuite alourdi leur peine, la haine a nourri leur âme et ils constitueront, dès qu'ils seront adultes, la majorité des bagnards groupés sur l'Île de Ré en partance pour Saint-Laurent-du-Maroni, ou intégreront les bataillons "exotiques". Le parcours de Jean Genet est d'ailleurs typique puisqu'il fut incarcéré à Mettray avant d'incorporer la Légion Étrangère à dix-huit ans en 1928. Danjou n'oublie pas les filles. Il va les visiter à Clermont-sur-Oise, dont le château à l'impressionnant donjon est devenu leur prison. "Je compris pourquoi les (deux cents) filles du malheur n'entendent jamais prononcer le nom de la tour sans manifester de l'effroi. Le donjon de Clermont est le quartier, unique pour toute la France, des criminelles adolescentes, qui sont considérées comme ayant agi avec discernement par les jurys de cours d'assises et condamnées à des peines de prison ou de travaux forcés, mais qui sont trop jeunes pour être enfermées dans les prisons de femmes. C'est l'équivalent du quartiers des "grands tailleurs" d'Eysses, où vont les enfants assassins et, comme à Eysses, on y envoie aussi les enfants terribles du pénitencier, que la correction ne réduit pas à merci." Autres prisons féminines, Cadillac et son célèbre asile de "quatre mille fous", ainsi que Doullens où l'on enferme les filles-mères et leurs enfants qui se mettent tous à appeler Danjou "Papa !" quand ils le voient arriver.

Si Henri Danjou n'est pas Albert Londres dont l'écriture transcendait les reportages, son style concis, même avec quelques tics ampoulés du début XXe, est percutant et efficace. Son immersion est codifiée : il bénéficie de protections, convoque les enfants, entend les surveillants et les directeurs comme le ferait un inspecteur. Mais il s'indigne et touche au cœur dans son rôle de médiateur mettant en avant la lourde hérédité de la plupart des jeunes, l'engrenage infernal des punitions et surtout ce système judiciaire qui permet de tels établissements. À Saint-Hilaire (photo de couverture), les gamins cassent des cailloux comme dans un vrai bagne. À Mettray-le-Bagne près de Tours (où fut enfermé Jean Genet), c'est la terrible course en rond des crânes rasés en sabots. "Les punis tournaient dans la cour, et un gardien pressait leur pas. La plupart avaient de quatorze à vingt ans, mais quelques-uns n'avaient pas dépassé leur sixième année [...] Ils avaient commencé à l'aube, ils ne devaient cesser qu'à la nuit, ne se reposant que cinq minutes toutes les demi-heures, et une demi-heure toutes les trois heures, s'appliquant, pendant douze, treize, quatorze et quinze heures, suivant l'humeur des gardiens, à ne pas mériter une aggravation de peine."
Un texte donc, indispensable. On regrettera l'absence d'une carte, d'une biographie, d'une bibliographie, d'une filmographie même succinctes et une liste de liens pour découvrir sur Internet des cartes postales et photographies d'époque.

Citation

Établira-t-on jamais la responsabilité de ceux qui ont enfanté les petits forçats ? Neuf fois sur dix, ils seraient condamnés.

Rédacteur: Michel Amelin dimanche 01 avril 2012
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