Le Noyé du Grand Canal

Quand Ambroise Perrin passa le proche menant à l'entrée du Castel Béranger, rue La Fontaine dans le seizième arrondissement de Paris, il fut convaincu de deux choses : il haïssait le thé et il allait mettre fin à ses jours.
Oren Miller - Et Dieu se leva du pied gauche
Couverture du livre coup de coeur

Coup de coeur

Éclipse totale
Harry Hole a été exclus de la police, ce qui ne l'empêche pas de couler des jours heureux, bouteille ...
... En savoir plus

Identifiez-vous

Inscription
Mot de passe perdu ?

mardi 19 mars

Contenu

Roman - Policier

Le Noyé du Grand Canal

Historique - Corruption MAJ vendredi 30 décembre 2011

Note accordée au livre: 3 sur 5

Poche
Réédition

Tout public

Prix: 8,6 €

Voir plus d'infos sur le site polarmag.fr (nouvelle fenêtre)

Jean-François Parot
Paris : 10-18, septembre 2010
448 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-264-05080-9
Coll. "Grands détectives", 4369
Les Enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet, 8

Ce qu'il faut savoir sur la série

Nicolas Le Floch vit dans la seconde moitié du XVIIIe siècle – il est né en 1740. Originaire de Guérande, il est un enfant trouvé adopté par le chanoine Le Floch. Il apprendra dès la fin du premier volet qu’il est en réalité le fils naturel du marquis de Ranreuil, dont il pensait n’être que le filleul. Il est donc le demi-frère d’Isabelle de Ranreuil, dont il était profondément épris… Il comprend alors pourquoi son supposé parrain a mis tant d’empressement à l’éloigner de sa fille, en lui fournissant de solides recommandations pour qu’il puisse aller s’établir à Paris. Voilà donc Nicolas arrivant dans la Capitale aux environs de 1760, où il sera reçu par le lieutenant général de police du roi, M. de Sartine. Son esprit vif, sa droiture et son dévouement au trône sont tout de suite appréciés ; la résolution d’une première affaire fort délicate lui vaut l’estime de son supérieur… et d’avoir ses entrées dans les espaces privés des souverains. Nommé commissaire au Châtelet, il sera plus particulièrement attaché aux "affaires spéciales" - en d’autres termes celles qui touchent de près ou de loin à la sécurité du royaume.
De volume en volume l’Histoire suit son cours et les personnages récurrents vieillissent ; l’effet de série est particulièrement soigné - l’on a donc tout intérêt à lire les romans dans leur ordre de parution, tant pour saisir la dynamique des événements réels évoqués que pour ressentir au plus juste la façon dont les personnages évoluent. Mais chaque récit fonctionne aussi comme une unité autonome qui peut ainsi attirer à la série son lot de néo-lecteurs.
Au plaisir de suivre des enquêtes policières tout en rebondissements qui mettent en valeur les capacités de raisonnement du commissaire au Châtelet et les aides précieuses que lui apportent ses acolytes – l’inspecteur Bourdeau, le chirurgien de marine Semacgus, le bourreau Sanson préposé aux "ouvertures" des corps, sans oublier son logeur, l’ancien procureur Aimé de Noblecourt – se joint celui de découvrir le Paris du Siècle des Lumières, que l’auteur ressuscite de très vivante manière.

Publiés d'abord chez Jean-Claude Lattès, les livres sont réédités en format poche dans la collection "Grands détectives" des éditions 10/18.

Des diamants aux pots d'aisance...

À la vue du titre, on s'attend à ce que ledit noyé vienne tôt s'échouer dans le récit, sinon dès l'incipit, du moins dans les premières pages. Rien de tel ici – le cadavre se fait attendre ! Il n'apparaît qu'au tiers de l'histoire. Nicolas Le Floch est alors engagé dans une enquête touchant de près les intérêts du royaume : il lui faut endiguer la diffusion de libelles infamants, mettre fin à un trafic de livres interdits que l'on procure clandestinement à la reine et, surtout, retrouver le plus rapidement possible le somptueux passe-partout monté en bijou, orné de 531 diamants, qui a été dérobé à la souveraine. Laquelle doit être particulièrement ménagée car, en ce début 1778, elle connaît sa première grossesse. Mais le commissaire a l'habitude d'arpenter les pavés de la cour avec la légèreté de qui se voit contraint de marcher sur un tapis d'œufs sans en briser aucun... et il vient de faire montre de son habileté à ménager les susceptibilités sans taire les vérités blessantes – chargé se surveiller le duc de Chartres lors de la bataille d'Ouessant, il a dû apprendre au roi que son cousin n'était pas un officier de marine de la première compétence sans déroger à la déférence qu'impose le rang du duc.

Au cœur de ces trafics divers, un nom revient – celui du couple Renard. Monsieur est inspecteur de police chargé des affaires de librairie, et madame une des lingères de la reine. Le noyé était lié à l'inspecteur Renard, comme la deuxième victime qui viendra paver le cours de l'affaire avant que le policier soit lui-même assassiné. D'étranges documents écrits ponctuent ces meurtres et, pendant que se nouent et se renouent moult éléments disparates que Nicolas, malgré l'aide de ses habituels acolytes, peine à assembler, une créature bizarre subtilise chaque nuit une partie de l'urine contenue dans les pots d'aisance que remplissent les employés du château logés dans le Grand Commun. L'on s'inquiète beaucoup d'un possible complot visant à déstabiliser la royauté, dans lequel l'ennemi anglais pourrait bien tremper. Mêlez à tout cela les castrats de la Chapelle royale, et vous entreverrez se tendre le fil de leur voix sublime entre le bijou de diamant et l'excrément liquide...

En ce qui regarde les investigations proprement dites elles reposent, comme dans les autres volumes de la série, sur une suite de constatations subtiles où l'intuition, l'esprit logique et le sens de l'observation conduisent, à partir d'indices ténus, à des déductions lumineuses s'accumulant en puzzle jusqu'à ce que l'ingéniosité des enquêteurs parvienne à combler tous les trous de l'énigme - à cet égard, le déroulement de l'enquête est aussi délectable qu'à l'accoutumée. Sauf que, dans ce roman-ci, le jointoiement des pièces éparses paraît un peu forcé, et peu crédible le mobile du coupable...

Il serait pourtant dommage de bouder son plaisir car on retrouve, dans ce huitième volume, tout ce qui fait le charme de la série. Ainsi rencontre-t-on dans le sillage du commissaire de ces êtres hénaurmes qui constituent, au fil des romans, une "galerie des grotesques" des plus séduisantes - parmi eux je ne résiste pas au plaisir de mentionner La Paulet, mère maquerelle ayant viré astrologue et personnage récurrent qui, à chacune de ses apparitions, donne lieu à de savoureux portraits où force métaphores et comparaisons esquissent une laideur telle qu'elle en devient fascinante. Le personnage vieillissant, la ruine physique se précipite et, avec elle, croît la croustillance des descriptions. Déjà "pot à tabac" au visage tant cérusé que le fard forme croûtes dans le premier volume (L'Énigme des Blancs-Manteaux elle est, ici - soit presque vingt ans plus tard - une "face grimaçante" ressemblant à "quelque épouvantable figure de Méduse […] Des mouches, boutons malsains, constellaient ce champ du désastre. Le reste n'était plus que bajoues, fanons pendants et débâcle d'une chair que dissimulaient mal des voiles de mousseline au travers desquels transparaissaient les raides baleines d'un busc monstrueux". Quiconque suit sur France 2 l'adaptation télévisuelle des enquêtes de Nicolas Le Floch aura constaté que la tenancière du Dauphin couronné est, à l'écran, une ravissante personne sans aucun rapport avec la maquerelle du roman.

D'autres personnages tout aussi exceptionnels - par exemple les castrats - émeuvent plus qu'ils ne prêtent à rire ; ces êtres hors du commun participent d'un pittoresque particulièrement prononcé dans ce récit. Car cette enquête, flirtant à l'occasion avec le fantastique, est probablement celle où l'on croise le plus de bizarreries. À commencer par les consultations du docteur Mesmer - Franz-Anton Mesmer, médecin autrichien (23 mai 1734-5 mars 1815), délicieusement campé au mitan du roman quand Nicolas l'interroge - et l'engouement que suscitent ses démonstrations électriques tant chez le bon peuple que chez les plus éminentes personnalités de la cour. Ou bien, à titre de simple allusion, ce projet d'un ingénieur - dont l'auteur nous certifie qu'il a réellement été formulé - qui entendait remplacer les matériaux habituellement utilisés pour la fabrication des voitures et des vaisseaux par un carton de son invention, réputé imputrescible et d'une solidité à toute épreuve. Mais c'est encore l'inquiétante étrangeté dont s'auréolent la gémellité, et la communauté des castrats, qui donnent à l'intrigue son cachet singulier.
L'on pourra trouver quelque faiblesse à la conclusion de l'énigme, mais cela nuit peu au plaisir que l'on a, intact depuis le premier volume, de s'immerger dans une époque ressuscitée avec talent par un auteur qui rend vivant le passé en usant habilement d'un style auquel il confère une délicate "couleur d'époque" sans tomber dans une écriture d'imitation par trop artificielle. Et qui, en plus d'être parfait connaisseur du XVIIIe siècle au point de nous en révéler les aspects les plus surprenants, est un romancier rompu aux alternances de tons et de rythme qui sait noircir sa touche ou au contraire l'alléger jusqu'au comique avec un bel à-propos.

Citation

Le négoce fonctionnait bellement : au rez-de-chaussée on interrogeait les astres et dans les étages on gagnait, l'épicerie de Vénus aidant, le septième ciel.

Rédacteur: Isabelle Roche samedi 24 décembre 2011
partager : Publier dans Facebook ! | Publier dans
MySpace ! |

Pied de page