Great Jones Street

De Gaby Mornet, il ne resterait rien d'autre que le souvenir d'un homme qui, sa vie durant, n'avait fait que passer, sur la pointe des pieds, quêtant désespérément une sorte de reconnaissance qui jamais n'était venue et jamais n'aurait pu venir. Jamais.
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vendredi 29 mars

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Roman - Noir

Great Jones Street

Musique MAJ vendredi 05 août 2011

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 22 €

Don DeLillo
Great Jones Street - 1973
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Marianne Véron
Arles : Actes Sud, juin 2011
302 p. ; 22 x 12 cm
ISBN 978-2-7427-9765-3

Déconstruction de polar

Le roman qui aurait pu être un polar, mais qui a joliment loupé l'embranchement et emprunté une autre voie est une ode aux solitaires contrariés, aux contemplatifs à la volonté émoussée. Et un chef d'œuvre de plus signé Don DeLillo.

"Pour moi, Great Jones Street correspondait à une période d'épuisement, propice à la prière. Je devins un demi-saint, rompu aux visions, mais déficient en terme d'authentique douleur." Le rocker Bucky Wunderlick vient de plaquer son groupe en pleine tournée, après moult frasques et scandales, et il s'est installé dans un appartement d'un coin de New York plutôt glauque, fait d'entrepôts industriels, habité par une population de marginaux et de clochards. Il se retrouve propulsé dans l'ici-bas, après avoir été au sommet, constellationnel et inaccessible. Il lui fallait échapper à une célébrité qui nécessitait toutes sortes d'excès, "de la dévoration des néons [...] Je parle de longs voyages dans un espace gris. Je parle de danger." Il veut inventer un nouveau langage et se réfugie dans l'ascétisme. Fait semblant de rendre les armes et de se soumettre, mais pour mieux s'échapper : "Peut-être que l'unique voie du retour, si simple, serait d'aimer l'époque. De se calquer sur son schéma indigent", songe-t-il.

Commence une longue méditation, une sereine observation du monde, parfois amusée, jamais cynique, en même temps que se met en place un étrange ballet de visiteurs. Une femme, d'abord, qui lui demande de conserver chez lui un mystérieux paquet que se disputeraient deux factions rivales d'un même groupuscule, la Communauté Agricole de Happy Valley. Il se rendra compte que bon nombre de ses proches ne sont pas étrangers à cette affaire, et que l'enjeu est peut-être la mise sur le marché d'une drogue révolutionnaire. Mais qu'importe : Great Jones Street est un anti-roman de gangsters, et la vraie trame se situe bien en marge de cette intrigue "policière", qui contribue juste à peindre une atmosphère pesante, sans pour autant déterminer les actes et les comportements des personnages.

On s'attache vite à Bucky, sorte de poète fatigué qui cherche à se placer en dehors du monde, voire du capitalisme ("Je ne veux pas que mon argent travaille. Je veux qu'il soit au repos dans une pièce fraîche tapissée de panneaux d'acier"), qui possède une incroyable acuité, mais qui se laisse constamment déranger par des visiteurs : son manager, des journalistes, sa petite amie – qui revient vers lui - et surtout son voisin, l'impayable Fenig, un écrivain raté mais sûr de son talent, qui se lance dans la fiction porno pour enfants, "qui ne comporterait pas d'adultes, sexy et brutale, qui flatterait les instincts les plus vils. Qui contiendrait des éléments de peur et de terreur primale, qui mettrait en scène des petites filles sans nichons qui diraient des gros mots". Fenig parle du marché de l'écriture comme d'un organisme vivant, "qui grossit, qui élimine, qui suce les trucs et les recrache".

L'univers de DeLillo oscille constamment entre le réalisme et l'onirisme. Il est insaisissable, et rarement un auteur maîtrise cet art de détourner le désir du lecteur ; il nous enlève nos repères aussitôt qu'il fait mine de les mettre en place : on n'a prise sur rien. Le roman devient rapidement un espace où l'on devise, où l'on digresse, où, malgré l'unité de lieu, on voyage en quête d'une authentique pensée libertaire, voire "déviante". On se régale de certains de ses commentaires. Sur le rock, notamment : "Du bruit, oui, c'est le son. Hertz et mégahertz. L'électricité est une force naturelle, nous manipulons une force naturelle, c'est la nature, comme le sexe [...] N'importe quel petit mec à cheveux frisés peut écrire des balades emportés par le vent, ce qu'il faut c'est écraser la tête des gens." Une que Dylan n'aura pas volée... Il propose encore de curieuses initiatives, comme de se faire envoyer par sa petite amie des petites culottes par la poste. Voire de créer une chaîne de lettres avec des sous-vêtements dedans : ceux qui reçoivent la lettre doivent expédier une culotte au premier nom figurant sur la liste... Au-delà de ces clins d'œil, c'est sidérant d'intelligence, sacrément remuant, et le tout est ficelé comme un manifeste par une drôle de phrase-clé : "Être prêt à mourir pour ses convictions, ou pour le tirage papier de ses convictions."

Citation

Je ne veux pas que mon argent travaille. Je veux qu'il soit au repos dans une pièce fraîche tapissée de panneaux d'acier.

Rédacteur: Cédric Fabre mercredi 03 août 2011
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