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Les Carnets d'Albion : Le Journal intime de Peter Doherty
Grand format
Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais par Héloïse Esquié
Paris : Florent Massot, février 2011
234 p. ; illustrations en noir & blanc ; 25 x 12 cm
ISBN 978-2-916-54675-9
Peter Doherty en orbite autour d'Albion
Le chanteur des Libertines, puis des Babyshambles, fait figure de poète maudit pour les uns, et de petit branleur pour les autres. Dans son journal, il apparaît enfin comme ce qu'il est - peut-être : un jeune homme naïf et sincère, aussi intelligent qu'il est paumé, dont l'existence déréglée n'est mue que par une obsession, "ne pas lâcher la proie pour l'ombre".
L'exercice est tordu. Pourquoi et comment s'attacher à la vie d'un gars dont on n'a jamais compris la musique, qui nous est toujours apparu comme une pop tiedasse et insipide ? Peut-être parce que, loin du réflexe de verrouillage fréquent chez l'autobiographe moyen – qui ne cherche en général qu'à se protéger -, il nous montre immédiatement qu'il n'entend pas contrôler de façon maniaque le déroulement de son récit. Doherty nous conduit dans son monde avec une humilité qui nous intrigue, en résumant ainsi ses carnets : "Le parcours d'un jeune homme au cours des sept années passées, entre conscience et inconscience, entre Pentonville et le vaste monde, entre plusieurs cœurs, maisons et cambuses..." Il plaide pour la sincérité, et ses écrits viennent de quelque mystérieuse profondeur – des tripes, ça, c'est certain... - qu'il n'a de cesse d'explorer. Il se révèle un garçon d'autant plus sympathique qu'il ne s'est pas fait un monde de défier l'ordre : il a juste voulu être libre et lui-même dans une Angleterre aussi adorée qu'haïssable. Comme une espèce de clochard céleste qui voyagerait en rond dans la fosse urbaine.
Les carnets commencent en 1999. Il n'a pas vingt ans, il est un membre des Paradigm Poets, et il vient de fonder les Libertines. La quête de son œuvre, dit-il, c'est alors "l'amour, l'Angleterre, la profondeur, la grâce et le charme". "L'Angleterre que la vie t'a donnée/Elle s'est enfuie depuis longtemps", écrit-il. Il affirme qu'il a toujours voulu faire de la pop mélodique classique, et cite Malcom McLaren, "inventeur" - euh... - du punk : "Je ne crée pas de choses nouvelles, j'assemble des choses préexistantes. Le seul élément que j'utilise est la catastrophe. C'est le plagiat qui fait tourner le monde." Le sien, Albion, fonctionne "comme un robuste vaisseau fantôme".
On le sait, sa vie tient du roman noir... Drogué à l'héro et au crack, harcelé par les paparazzis et les flics, il raconte ses séjours en garde à vue ou en prison, où les matons lui glissent sous la porte le Sun pour qu'il voit la Une : "Prison pour le rocker-junkie". Ou son séjour au Portugal pour se faire poser des implants anti-héroïne. Il évoque la mafia galloise, les "mules" qui vivent en trimballant des produits "duty free" par les ferries, l'alcool et la drogue, les pubs et les quais du métro au milieu de la nuit, des virées "entre la lumière orange et l'éclat froid du métal". Son existence quotidienne est agitée, il navigue de squat en squat, entre deux petits boulots, ne possède pas grand-chose – il n'est pas matérialiste pour deux sous -, au rythme des "nuits chaudes dans les jardins du suicide, rixes dans la rue, disette de chansons et de sonnets à l'inspiration neuve". Il ne rêvait pourtant pas d'être outrancier et scandaleux. C'est la musique qui compte plus que tout : "La dépravation n'a jamais été l'essentiel ; l'essentiel a toujours été la mélodie, et nous nous rencontrâmes, la mélodie et moi, en plus d'une occasion de débauche. Trouver la mélodie, c'est vaincre la spirale vide du cauchemar". C'est un dingue de cinéma, qui aime les films d'auteur, qui écoute les Beatles et qui a des lectures presque désuètes, de Lawrence Durrell à Simone de Beauvoir, en passant par Anthony Burgess et Truman Capote. Il parle encore de son amour fou pour le mannequin Kate Moss, une relation tumultueuse qui inclut le saccage des chambres d'hôtels...
Il nous flanque surtout quelques sentences en forme de monumentales gifles. Des instantanés qui flambent, du genre : "Elle avait sauté à califourchon sur moi et se frottait à mon entrejambe avec vigueur en avalant mon âme via mon œsophage. Puis elle retrousse sa robe, baisse son slip et me baise jusqu'à mon dernier soupir. Après quoi, elle me laisse avec un joint et un Bloody Mary intact." Bref, ces carnets disent juste l'histoire d'un gars qui cherche des histoires : pas spécialement la baston, mais d'abord des fables urbaines à vivre et à écrire... C'est un récit décousu, écrit au présent décomposé, à l'image d'un jeune homme qui a accepté rapidement que les choses ne se déroulaient jamais comme on pouvait l'imaginer. N'est-elle pas là, la vraie marque de la maturité du poète ? Allez, en chœur : "Misère, misère, misère, verse-moi encore un verre".
Citation
Misère, misère, misère, verse-moi encore un verre.