Phil Spector, le mur de son

Les cheveux du petit garçon étaient aussi noirs que la nuit d'hiver qui s'approchait entre les arbres, et sa tête était tournée de telle manière que s'il avait été en vie, il aurait vu ce qui se passait sur le côté droit du traîneau. Mais ce garçon ne voyait rien : ses yeux secs et sans vie ne fixaient plus que l'au-delà.
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Essai - Noir

Phil Spector, le mur de son

Social - Musique MAJ lundi 18 octobre 2010

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Public connaisseur

Prix: 23 €

Mick Brown
Tearing Down the Wall of Sound: The Rise and Fall of Phil Spector - 2007
Traduit de l'anglais par Nicolas Richard
Paris : Sonatine, septembre 2010
650 p. ; 22 x 14 cm
ISBN 978-2-35584-034-0

Phil Spector : emmuré sous la rockaille

Dans la famille des producteurs barrés, ce serait la mère. Démoniaque. De celles qui dévorent ses petits. La biographie de Mick Brown dévoile la part d'ombre de l'un des plus illustres éclaireurs de l'histoire du rock, dont la vie vaut mille polars.

"Les gens se moquaient de moi, le petit môme qui produisait des disques de rock'n roll. Mais je savais. [...] C'était très difficile parce que les gens n'avaient aucun sens du destin." Lui a toujours cru en sa destinée grandiose. Né dans le Bronx en 1939, il ne s'est jamais remis du suicide de son père, alors qu'il avait neuf ans, et il deviendra un revanchard de la pire espèce. De ceux qui réussissent.
Á dix-huit ans, sa première chanson, To Know Him Is To Love Him, interprétée avec son groupe les Teddy Bears, se vend à plus d'un million d'exemplaires... Guitariste alors très prisé, c'est finalement en créant et en façonnant les autres artistes à sa guise qu'il deviendra le grand Phil Spector, et à vingt-trois ans, il est déjà le producteur le plus en vue d'Amérique. Ses perles ? There's No Other (Like My Baby), des Crystals, Be My Baby, des Ronettes, You've Lost That Lovin' Feelin', des Righteous Brothers.
Fan de Debussy et de Gershwin autant que de la musique de la Motown, "le premier magnat du monde adolescent", selon les mots de Tom Wolfe, invente ainsi le versant glam des sixties, investit dans le "girls group", et révolutionne la création musicale en imposant, au cœur du dispositif, le rôle prépondérant – et tyrannique - du producteur. Ce qui n'aurait pu se faire sans le fameux "mur du son" spectorien. Il réunit près de vingt-cinq musiciens au sein du "wrecking crew" (les démolisseurs), et leur assigne comme mission de tailler un son massif, de telle sorte que la pop ressemble à la Chevauchée des Walkyries. Il aime travailler la nuit et faire poireauter tout le monde, traite mieux ses musiciens que ses chanteuses, enregistre et mixe à un volume assourdissant... Il a pourtant tout de l'anti-rocker absolu, effrayé par les bas-fond new-yorkais de la 42e Rue, par la drogue et l'alcool – il ne s'y mettra, et avec zèle, que sur le tard.
Mais l'homme est méchamment dérangé. "Bloqué affectivement", dit Mick Brown. Ce fameux mur du son, il semblerait qu'il l'ait érigé entre le Phil de l'intimité et le Spector personnage public. Il le savait, il plierait le monde à ses désirs, le redessinerai en suivant la géométrie de ses obsessions. Spector, c'est de l'audace et du génie, mêlés à une omniprésente culture de la détresse et du désastre. Brutal avec ses épouses, cruel avec ses enfants adoptifs, il menace à peu près tout le monde avec ses armes à feu, terrorisant même un Dee Dee Ramone qui en a pourtant vu d'autres. Lorsque Spector produira Léonard Cohen en 1978, le Canadien, avec son humour corrosif, racontera : "C'était ça, la chose essentielle : les flingues. La musique ne venait qu'après. Les gens étaient armés jusqu'aux dents, tout le monde était saoul ou défoncé, on glissait sur les douilles, on trouvait des revolvers dans nos hamburgers, il y avait des flingues partout."
Au rayon rock, il travaillera encore avec Ike et Tina Turner, sauvera du naufrage le dernier album des Beatles, "lancera" les carrières "solo" de Lennon et Yoko Ono, puis de George Harrison, et produira les Ramones avant de prendre sa retraite au milieu des années 1980.
Puis, en 2003, il refait tragiquement parler de lui, quand la comédienne Lana Clarckson. est retrouvée assassinée chez lui. Après un procès à rebondissements, il est finalement accusé d'homicide involontaire en 2009, et incarcéré. Et l'auteur de cette biographie brûlante de conclure : "Personne n'aurait voulu de la vie de Phil Spector."

Citation

Dans une certaine mesure, je suis probablement fou.

Rédacteur: Cédric Fabre dimanche 17 octobre 2010
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