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S. J. Parris : une nouvelle reine du polar historique est née

Samedi 26 mars 2011 - S. J. Parris est une nouvelle venue dans l'univers du polar historique pour lequel elle signe Le Prix de l'Hérésie. À première vue, elle sacrifie à une certaine mode qui tend à mettre en scène des personnages historiques dans des rôles d'enquêteurs. Le choix du protagoniste n'est pas toujours judicieux et amène à des emplois peu plausibles.
Toutefois, retenir Giordano Bruno de Nola comme héros de romans est un choix qui s'avère pertinent. En effet, la vie de celui-ci (1548-1600) est une authentique suite d'aventures que nombre d'auteurs n'oseraient développer, de crainte d'être taxés de démesure.
C'est donc ce personnage que S. J. Parris, par ailleurs journaliste au Guardian et à The Observer, a choisi pour élucider une série de meurtres, à Oxford, en l'an 1583. Il en résulte un livre passionnant, tant par la richesse de l'intrigue, du cadre historique, que par la cohérence entre le personnage historique et l'enquêteur.
Rencontre aux Quais du Polar, à Lyon, avec une auteure de talent qui poursuit, pour notre plus grand bonheur, une suite des enquêtes de ce personnage hors-normes.
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© D. R.



k-libre : C'est en préparant votre thèse sur "L'occultisme et la littérature au XVIe  siècle que vous faites connaissance avec Giordano Bruno de Nola. Qu'est-ce qui a motivé votre intérêt ? Étaient-ce les thèses qu'il professait ? Son Parcours ?
S. J. Parris : Quand j'étais étudiante et que je travaillais sur la littérature du XVIe siècle, j'ai lu quelque chose au sujet de Giordano Bruno. Cette lecture a immédiatement fait fonctionner mon imagination parce que sa vie avait tous les éléments d'un roman : l'aventure, la fuite devant l'Inquisition et puis des idées qui allaient à l'encontre de toutes les règles de l'Église catholique. Pour tous ces éléments, il m'intéressait beaucoup. Je voulais écrire quelque chose sur sa vie, pas une biographie, plutôt un roman d'aventures. Et puis, j'ai oublié. J'ai écrit d'autres livres, des romans modernes. Il y a quatre ou cinq ans, j'ai lu un livre d'un historien britannique qui affirmait que Giordano Bruno avait été, pendant son séjour en Angleterre, un espion au service de la reine Elizabeth Ire. Cette théorie a été, pour moi, un révélateur, la clé de mon roman. Je pouvais le mettre dans une fiction, dans un polar, par exemple, comme espion, comme enquêteur.

k-libre : Pourquoi vouliez-vous en faire un personnage de roman, en faire un enquêteur ?
S. J. Parris : C'est aussi parce que les polars historiques sont très très populaires en Angleterre et que je voulais essayer d'en écrire un. Giordano Bruno, qui avait enflammé mon imagination permettait de concilier les deux aspects, de réunir deux éléments : la vie de Bruno et un polar historique. C'est ce qui m'intéressait.

k-libre : Mais qu'est-ce qui vous passionnait le plus, écrire la partie polar ou le contenu historique ?
S. J. Parris : C'est surtout l'Histoire, je crois. J'aime beaucoup découvrir les petits détails de la grande Histoire. Mais j'apprécie énormément les romans policiers. Cependant, aujourd'hui, quand on parle du métier d'un policier, l'essentiel de son travail d'enquêteur se situe dans un laboratoire. C'est un travail scientifique. L'enquête menée par un amateur qui recherche, qui déduit, qui n'est pas un policier professionnel est une tradition qui s'est presque perdue. Donc, pour avoir un détective comme Sherlock Holmes ou Miss Marple, il faut le placer dans un cadre historique. C'est très difficile, aujourd'hui, de créer un détective qui ne soit pas un policier professionnel. Donc, on pourrait dire que c'est une sorte de nostalgie, celle des romans policiers anciens, ceux immortalisés par les reines du roman policier anglais.

k-libre : Était-il vraiment un espion au service de la reine Elisabeth Ire ?
S. J. Parris : Oui, c'est effectivement une hypothèse très réaliste. Un historien, un professeur d'histoire très connu en Angleterre, a proposé cette théorie appuyée de nombreux arguments. Beaucoup d'autres historiens ont réfuté cette possibilité. Mais, pour moi, c'est plausible. C'est cette idée qui m'a interpellée, qu'il ait fait ce travail pendant son séjour en Angleterre. Sa vie n'est-elle pas un véritable roman d'aventures ? À vingt-huit ans, il quitte son monastère poursuivi par l'Inquisition. Sept ans après, on le retrouve confident du roi de France, enseignant à la Sorbonne. N'est-ce pas incroyable ? C'est pour cela que j'aime ce personnage. Il devait avoir une personnalité très attirante, pour pouvoir faire tout ça. Il y a des témoignages qui indiquent que tout le monde voulait l'inviter. Il était très populaire.

k-libre : Il avait un esprit curieux et s'intéressait à beaucoup de domaines. Qui était-il vraiment : un philosophe ? Un mathématicien ? Un astronome ? Un théologien ?
S. J. Parris : Je crois qu'il maîtrisait toutes ces sciences en même temps. Mais on ne sait pas qui il était vraiment, parce qu'il était un homme au caractère très complexe. Pour moi, c'était un homme beaucoup plus moderne que son époque. Il avait toutes ces idées scientifiques, mais il s'intéressait aussi à la magie et à l'occultisme. Il était également un grand penseur, mais il n'a pas voulu prendre position dans les conflits religieux de son époque. Pour moi, il est parfait comme héros d'un polar, parce qu'il reste toujours un étranger. Il n'appartient à aucun groupe, aucune cabale. Il a passé une large part de sa vie en exil et il a cette capacité de se situer en dehors des factions, d'être un observateur attentif, mais impartial.

k-libre : Peut-on considérer qu'il était un occultiste, au sens de l'étude des forces mystérieuses du cosmos et de l'homme ?
S. J. Parris : Il n'était pas un occultiste dans le sens que l'on donne, aujourd'hui, à ce terme. On pourrait plutôt le considérer comme agnostique. C'était vrai que pour l'Église Catholique Bruno était considéré comme dangereux et que toutes ses idées étaient interdites. C'est parce qu'il n'avait pas la liberté d'étudier ce qu'il voulait, ce qui l'intéressait, qu'il a dû fuir son monastère.

k-libre : Était-il obligé de se réfugier dans les latrines pour lire des livres "interdits" ?
S. J. Parris : J'aime bien cette histoire. On croit que c'est vrai, qu'il a été découvert dans les toilettes étudiant un livre d'Érasme.

k-libre : Giordano a-t-il été beaucoup influencé par les travaux de Copernic ?
S. J. Parris : Oui, sans aucun doute. Cependant, Bruno a pensé que Copernic avait une bonne idée, qu'il était à l'origine d'une théorie fascinante mais qu'il n'avait pas poursuivi son raisonnement jusqu'au bout. Pour Bruno, les travaux de Copernic, avec sa vision de l'univers, sa remise en cause du dogme d'Aristote : des étoiles fixes et les sept planètes en orbite autour de la Terre, c'était seulement le commencement. Lui pensait qu'il y avait beaucoup de mondes, que l'univers était infini. Il était une des premières personnes à défendre une telle théorie. Il exposait aussi l'idée d'une âme universelle dont tous les hommes font partie. Comment, avec de telles théories, ne pouvait-il pas être poursuivi par l'Inquisition ?

k-libre : Il était devenu un des confidents d'Henri III, le roi de France, à qui il apprenait l'art de la mémorisation. Cette technique n'était-elle pas considérée comme magique ?
S. J. Parris : Giordano Bruno avait développé un système de mémorisation à partir d'idées, de techniques très anciennes. C'est vrai que c'était considéré comme de la magie, parce que les signes, les images, les symboles, qu'il utilisait étaient ceux en usage dans l'astrologie. C'est pour cela que sa technique a été assimilée à la magie. Par contre, Henri III s'intéressait beaucoup aux livres traitant de la magie. Bruno s'est fait beaucoup d'ennemis dans le camp français.

k-libre : Il vient aussi en Angleterre pour rechercher un livre. Cette démarche était-elle courante chez les intellectuels ?
S. J. Parris : Je ne sais pas. C'est quelque chose que j'ai mis dans mon récit, mais je n'ai pas de confirmations, de témoignages. Cependant, c'étaient surtout les aristocrates, les gens qui avaient beaucoup d'argent qui pouvaient réunir des collections privées, constituer des bibliothèques. Dans chaque pays, seules quelques personnes le faisaient. Il y avait les collections privées et celles des universités qui étaient souvent constituées par les legs d'anciens élèves. Si on voulait lire un livre particulier, il fallait aller où il pouvait se trouver et être consultable. Il n'y avait pas de librairie pour se procurer l'ouvrage recherché. De plus, les livres n'existaient qu'à quelques exemplaires et coutaient très cher. Ils ne sortaient pas des bibliothèques. Donc ce n'est pas risible de penser que Bruno ait fait le voyage jusqu'à Oxford pour tenter de consulter un livre rarissime.
Dans mon prochain livre, je mets en scène John Dee, le tuteur de Sidney. Il était astrologue de la reine et possédait une des plus grandes collections de livres d'Angleterre. Beaucoup de gens sont venus de toute l'Europe pour voir, pour consulter sa collection. En fait, il est vrai que certaines personnes n'hésitaient pas à faire de grands voyages pour consulter un livre.

k-libre : Bruno recherche le quinzième livre d'Hermès Trismégiste. En Europe, on ne trouve trace que de quatorze. Ce quinzième ouvrage est-il fictif ?
S.J. Parris : Non, il y avait bien quinze livres dans l'œuvre attribuée à Hermès. C'est un personnage dont l'existence n'est pas prouvée. Par contre, ses écritures existent. Elles ont été rédigées par plusieurs personnes, plusieurs "Hermès". Il semble, aussi, que ces écrits ne soient pas aussi anciens qu'on a bien voulu le dire ou le faire croire. Ils ont été découverts dans une grande bibliothèque byzantine. Quand Cosmos de Médicis compose sa collection, il envoie des personnes à la recherche de ces livres. Tout ça est authentique. Mais quand l'œuvre d'Hermès arrive en Italie, il n'y a plus que quatorze livres. Personne ne sait pas où est le quinzième. Cette anecdote est peu connue. Je l'ai découverte dans une étude sur la vie de Giordano Bruno.

k-libre : Outre Giordano, votre héros, vous consacrez une large part de votre intrigue au conflit entre les papistes et les membres de l'Église d'Angleterre. Qu'est-ce qui avait motivé cette rupture entre Rome et Londres ?
S. J. Parris : C'est le roi Henri VIII qui, pour pouvoir divorcer et épouser une autre femme afin d'avoir un garçon, s'est séparé de l'Église catholique. Mais comme je le rapporte, dans le roman, la situation ne fut pas facile pour les gens qui ont dû changer de religion régulièrement. À la mort d'Henri VIII, Edouard VI, son fils, lui succède et développe le protestantisme. Il meurt rapidement et sa sœur Marie gouverne. Elle gagne son surnom de Bloody Mary en revenant au catholicisme et en persécutant les protestants. Puis Elizabeth remet l'anglicanisme comme religion d'État. Donc, pour survivre, les gens devaient changer de foi et c'était très compliqué pour eux. Sous Elizabeth, il y avait beaucoup de catholiques en Angleterre. Ceux-ci avaient peur des persécutions. Les punitions étaient très dures pour les catholiques, mais ils continuent, malgré tout, à pratiquer leur croyance en secret en espérant que la France ou l'Espagne viennent libérer l'Angleterre et rétablir les liens avec Rome.

k-libre : Vous faites dire à l'un de vos principaux personnages : "Nous menons une guerre sainte... tuer ceux qui s'opposent au royaume de Dieu n'est pas un meurtre." La lutte entre les deux factions a-t-elle été terrible ?
S. J. Parris : C'est vrai que les luttes ont été meurtrières. C'est le pape, lui-même qui avait dit, quelques années avant, que les catholiques anglais ne devaient pas reconnaitre Elizabeth comme reine parce qu'elle était hérétique. Elle a été excommuniée. Le pape à presque dit qu'on pouvait l'assassiner pour la plus grande gloire de Dieu.

k-libre : Est-ce pour cela que l'Église catholique préparait des missionnaires ?
S. J. Parris : C'était surtout pour convertir les anglicans. Mais il y a des gens qui ont pensé à l'assassinat pour sauver l'Angleterre.

k-libre : Y-a-t-il eu des complots dans ce but ?
S. J. Parris : Ah oui ! Absolument ! Il y a deux ou trois complots très connus qui ont été arrêtés par les services de sir Francis Walsingham, le maitre espion d'Elizabeth. Dans Prophecy, le second roman, je base l'intrigue sur un de ces complots. L'action se déroule à Londres.

k-libre : Vous faites référence au Livre des Martyrs de John Foxe. Ce livre était-il largement consulté ?
S.J. Parris : C'est un livre qui décrivait les supplices des premiers chrétiens et les tortures que les catholiques faisaient subir aux protestants. C'était un livre de propagande. Il était assez lu, surtout à Oxford, où John Foxe avait été enseignant. Cette lecture, à Oxford, posait un gros problème pour le gouvernement d'Elizabeth. Les étudiants, à l'université, étaient tous des fils de l'aristocratie, des jeunes hommes destinés à occuper des postes importants plus tard. Et beaucoup d'entre eux s'étaient convertis au catholicisme.

k-libre : Vous dressez un magnifique portrait de femme avec Sophia. Ce genre de personne était-il courant à cette époque ?
S. J. Parris : Je ne sais pas vraiment s'il y a eu beaucoup de Sophia. Mais c'était un personnage qui m'intéressait parce qu'il n'y avait pas beaucoup de femmes dans la vie publique. On n'écoutait pas les femmes. Il y avait la reine qui était très très bien éduquée, très intelligente, mais les autres femmes n'existaient pas socialement. J'ai voulu, ainsi créer un personnage de femme avec un caractère un peu plus moderne, une jeune femme instruite, qui veut être libre de ses choix.

k-libre : Vous écrivez, en préambule que votre livre est une œuvre de fiction. Pourtant, vous reprenez fidèlement ce que l'Histoire a retenu du parcours de Giordano. Vous utilisez des lieux, des dates, des personnages authentiques comme sir Francis Walsingham, le chef espion d'Elizabeth, Philip Sidney... La fiction est-elle dans le traitement que vous faites subir à ce pauvre Giordano que vous ne ménagez pas ?
S. J. Parris : La fiction se situe dans l'enquête qu'il doit mener et dans le caractère de Giordano Bruno. Quand il s'agit de Bruno, on trouve nombre d'informations sur ce qu'il a fait, sur ses voyages sur ses théories, sur son procès. Mais on n'a pas beaucoup d'éléments sur son caractère, sur sa vie intérieure, sur ses réflexions. J'ai donc imaginé un Giordano Bruno, tel qu'il pouvait être pour réaliser tout ce qu'il a fait.

k-libre : Vous avez écrit Prophecy un second livre avec Bruno comme héros. Allez-vous continuer à nous raconter ses enquêtes et ses aventures ?
S. J. Parris : J'écris le troisième tome. Mon idée était de faire un livre par année passée en Angleterre. Il y est resté trois ans. Pour la suite, cela reste encore à définir.


Liens : S. J. Parris | Le Prix de l'Hérésie Propos recueillis par Serge Perraud

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