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Je n'avais pas peur. J'étais même très calme. En revanche, la voix de la tante d'Alice était tendue. Elle devait sans doute redouter que ces pannes aient une relation avec la série de cambriolages. Je n'ai plus hésité. Sans un mot, j'ai saisi ma parka et j'ai filé.
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jeudi 28 mars

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Maxime ne donne pas sa langue au Chattam

Lundi 18 octobre 2010 - J'arrive devant les locaux d'Albin Michel avec une certaine appréhension. C'est pas tous les jours qu'on a l'opportunité d'interviewer un grand du thriller français. Il va falloir être à la hauteur. Une deuxième crainte me titille l'esprit. Il paraît que Maxime Chattam est un grand bavard. En franchissant le seuil d'entrée, je jette un coup d'œil à mon dictaphone en priant pour que les piles tiennent le coup.
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© Richard Dumas.



k-libre : Maxime, vous en êtes à treize romans publiés en moins de dix ans. Est-ce, comme vous l'évoquez dans votre biographie, par le besoin de ne pas être "qu'un individu de plus parmi les milliards passés et présents" que vous êtes si prolifique ?
Maxime Chattam : Non, je ne crois pas que ce soit la raison pour laquelle je suis prolifique. Les raisons pour lesquelles j'écris beaucoup :
1 - je ne sais faire que ça.
2 - j'adore ça.
3 - j'ai besoin d'écrire.
J'ai des sujets en tête. Je vois le monde au travers de ma fenêtre. Je vois des choses qui m'interpellent. J'ai envie d'en parler. J'ai envie de me servir du prétexte du divertissement littéraire pour le faire. Me viennent tout un tas d'intrigues qui peuvent m'amuser et m'apporter du plaisir. Je me dis que si j'ai du plaisir à travailler dessus, à l'écrire, alors peut-être que le lecteur aura du plaisir à le lire. Et le fait est que, livre après livre, j'ai toujours de plus en plus de choses à dire, et qu'il y a des choses qu'on ne peut pas raconter toujours de la même manière. C'est-à-dire qu'il y a les thrillers - dans lesquels je peux mettre ce que je veux -, et de temps en temps il y autre chose qui m'appelle, qui m'interpelle, et je me dis que je ne peux pas y répondre dans un thriller. Et comme j'aime lire autre chose que des thrillers - je suis un grand passionné de littérature en général -, il y a un moment où je me dis que je vais faire une série, que ça fait longtemps que ça me titille, et c'est comme ça que je fais "Autre Monde". J'ai trouvé le moyen de raconter ces deux choses-là en parallèle, et au lieu d'écrire six-huit heures par jour de façon intensive pendant sept-huit mois, j'écris six-huit heures par jour toute l'année. Donc, oui j'écris beaucoup, mais parfois c'est un besoin.

k-libre : Vous prenez régulièrement vos lecteurs de cours en abordant des styles complètement différents. "La Trilogie du Mal", "Le Cycle de la vérité", "L'Autre Monde", et maintenant Léviatemps. Est-ce un besoin de toucher à tout, ou simplement êtes-vous toujours en train de vous chercher ?
Maxime Chattam : Non, c'est vraiment parce que ce sont des univers qui me plaisent. Je ne veux surtout pas avoir une démarche commandée par une idée commerciale de ce que peut être mon métier. C'est-à-dire me dire que ça marche dans ce domaine-là, que les gens m'attendent là alors que je fais ça. Parce que sinon j'aurais fait Brolin fois dix puisqu'on m'a demandé mille et une fois de continuer le personnage de Brolin dans "La Trilogie du Mal". Parce que commercialement c'est un succès garanti. Or, ce n'est pas ce qui m'interpelle, ce n'est pas ce qui m'intéresse. Et Brolin, j'ai longtemps dit que je ne ferai pas de suite. Maintenant, je me dis que peut-être un jour j'ai eu une idée qui pourrait être intéressante avec ce personnage-là. Mais ce n'est pas parce que je l'ai peut-être envisagée que je la ferai. Du coup, je vais là où j'ai envie d'aller. Et si c'est un thriller un peu historique comme Léviatemps, très bien, c'est là que je vais. Si c'est un roman un peu plus d'aventure, un peu scientifique comme La Théorie Gaïa, c'est là que je vais. Un roman plutôt géopolitique, Les Arcanes du chaos, j'y suis aussi. Je vais là où j'ai envie d'écrire et j'utilise les moyens qui sont à ma disposition pour raconter au mieux mes histoires. Après, je ne me pose pas la question de savoir si ça va être tel ou tel genre. J'espère juste que mon univers, ma façon de raconter les histoires et ce que je mets dans mon sous-texte, interpelleront suffisamment les gens pour que d'un livre à l'autre, ils aient envie de partager ça avec moi. Je continuerai d'aller dans ces voies-là, qui me plaisent, parce que ce sont ces voies-là qui me dictent ce que je dois écrire avant toute chose.

k-libre : Dans son dernier roman, Arrêt Wagram, Samuel Delage a redonné vie le temps de quelques pages au personnage de Joshua Brolin. Quel sentiment cela vous procure ?
Maxime Chattam : Il a fait quelque chose de très sympa. Il m'avait contacté à l'époque en me disant : "Voilà, je suis un jeune auteur, j'aimerais écrire un roman dans lequel je voudrais faire ressusciter le temps de quelques pages le personnage de Brolin." Je lui ai dit : "Je ne vous dis pas non. Si ça vous amuse, faites-le." Maintenant, je ne vais pas dire que je cautionne ce qu'il en a fait, dans le sens où si demain je fais un bouquin avec Brolin, je n'en tiendrai pas compte pour raconter mon histoire. C'est juste que je trouvais ça touchant que quelqu'un se dise : "Ce personnage m'a plu, et j'ai envie de me le réapproprier quelques pages." Je ne me voyais pas lui dire non. Il a eu la gentillesse de me demander s'il pouvait le faire et j'ai trouvé ça très sympa. Je suis super content pour lui qu'il ait réussi à publier son roman. C'est une bonne chose. Mais ça fait bizarre quand vous êtes romancier qu'un jour quelqu'un vous dit qu'il aimerait écrire un livre avec un de vos personnages. C'est particulier comme sensation.

k-libre : Vous avez un groupe de fans fidèles, qui se nomment les Chattamistes. Cela sonne comme une doctrine religieuse. Alors, Maxime Chattam, grand gourou ? Selon vous, qu'est-ce qui fait un bon Chattamiste ?
Maxime Chattam : Je ne peux que leur dire merci, parce qu'ils sont toujours là. Il y a un noyau dur qui perdure dans le temps et il y en a d'autres qui viennent, qui passent. Et ces gens sont formidables, parce qu'ils lisent, ils font des critiques précises de ce qu'ils ont aimé ou pas aimé. Ils partagent à travers le site et le forum leurs idées, leurs coups de cœur sur des domaines variés. Et pour moi, c'est un moyen formidable de pouvoir discuter directement avec des gens qui m'ont lu. Parce que j'avoue que si j'écris, c'est pour le partager. Et de rencontrer des gens avec qui je peux partager ce que j'ai fait, qui sont rassemblés et qui ont créé un moyen, une interface qui me permette de dialoguer avec eux, c'est magique pour moi aussi. Quand ils me posent des questions de temps en temps, j'essaye d'y répondre, on organise parfois des petits chats. Et une fois par an j'organise à Paris - d'ailleurs c'est dans un mois et demi -, toujours à la même période, une rencontre où trente personnes gagnent sur le forum un après-midi pour venir dans une salle que je loue et dans laquelle on passe trois-quatre heures à discuter entre nous. Parce qu'aujourd'hui, mon succès m'a rassuré dans le sens où je me suis dit que si j'écrivais, c'était pour me sentir moins seul et que le succès me fait dire que, finalement, je ne suis pas seul à penser et à partager ça. Et on se retrouve les uns les autres dans ces moments-là. Et ça me fait du bien en tant qu'individu et que romancier. L'inconvénient, c'est que maintenant - il y a tellement de monde dans les séances de dédicaces -, je ne peux plus passer un quart d'heure à discuter avec chacun de mes lecteurs, à faire connaissance. C'est presque frustrant de se dire que je ne peux pas prendre le temps de connaître tous ces gens,. Ça se fait parfois avec le temps. Il y a des têtes qu'on reconnait. Des prénoms. Des anecdotes. Mais pour le grand ensemble, c'est très frustrant de ne pas pouvoir partager plus de temps. Et ce forum-là, avec ces gens qui se sont auto-baptisés les Chattamistes, me permet d'avoir un peu plus, de partager un peu plus cette interaction. C'est magique et je ne les remercierai jamais assez d'être présents et de me permettre d'avoir ces échanges. Et me dire qu'à chaque fois que je vais dans une ville en France, il y au moins deux ou trois personnes du forum qui disent qu'ils vont venir me voir au nom des "Chattamistes", ça me donne le sentiment d'arriver en terrain amical et d'être en confiance. Ça peut paraitre bête, mais quand je débarque à Lille, à Lyon ou dans une autre ville, et que j'ai vu sur le forum qu'il y avait des gens qui viendraient, je me dis : "Cool, il y a des gens que je connais." Ça me rassure. Mais non, je ne suis pas gourou, je ne dirige pas de secte. [Rires.]

k-libre : Sur l'ensemble de votre bibliographie, on compte trois trilogies. Léviatemps va-t-il également s'inscrire dans une œuvre en trois volets ?
Maxime Chattam : Non. Dans une œuvre, dans une première partie, en deux volets. Un diptyque. Je l'ai vraiment envisagé en écrivant le tome 1, et là, en écrivant le tome 2, je me dis que je vais faire une fresque, une saga. Je ne sais pas comment on peut appeler ça sans que ce soit trop pompeux. [Il réfléchit.] Je vais faire une série de livres sur la famille de Timée. Le premier diptyque c'est Guy de Timée. Léviatemps et le suivant se passent en 1900. Et ensuite, je ferai probablement deux volumes qui se passent à la fin des années 1920, avec les enfants de Guy de Timée. Et plus tard, dans les années 1970, encore un livre avec les enfants de ses enfants. Et puis je terminerai à la fin des années 1990, au moment où on retrouve Guy de Timée quand il est âgé, quand il commence la rédaction de son Léviatemps, puisque ce roman est un témoignage d'une certaine manière, avec ses petits-petits-petits enfants. Voilà, ça me permettra de faire un portrait du vingtième siècle à travers une famille. Une famille un peu particulière puisqu'on va se rendre compte que les interactions entre ses membres sont assez fortes. Mais ce sera sur du long terme. Je ne vais pas les écrire les uns à la suite des autres. Je pense qu'après la suite de Léviatemps, je vais d'abord reprendre la suite d'Autre Monde, et puis je partirai ensuite sur un autre thriller contemporain que j'ai en tête depuis un petit moment.

k-libre : Dans Le Sang du temps, vous aviez déjà posé les bases de l'intrigue au début du XXe siècle. Avec Léviatemps, c'est l'ensemble du roman qui se déroule à cette époque. Qu'est-ce qui vous a poussé à raconter une histoire durant cette période ?
Maxime Chattam : Je trouve que les années 1900 est une période charnière formidable pour un romancier. Le décor d'abord s'y prête particulièrement. C'est un décor qu'on a tous plus ou moins en tête. Qu'on a tous plus ou moins fantasmé. C'est un décor à la fois romantique et parfois gothique, donc assez sinistre, assez sombre et inquiétant. Et de pouvoir mélanger les deux, et de jouer sur les deux tableaux, c'est génial pour un romancier. Je peux m'amuser avec un peu tout. En plus, j'ai l'Exposition universelle qui est un décorum magnifique, génial, et qui raconte beaucoup de choses. Et quand on se dit que c'est un moment charnière, entre la séparation de l'Église et de l'État, que c'est le moment où tout ce qui est spirituel est en train d'être remplacé par la science d'une part et par la psychanalyse de l'autre, donc que la religion, que le folklore sont en train de s'effondrer avant d'essayer de trouver une place différente dans la société, et qu'en même temps on a l'éclosion des cercles ésotériques, on se rend compte qu'il y a beaucoup de chose à raconter. C'est la Révolution industrielle lancée à pleine vitesse. On est au début de la globalisation, de la mondialisation. Donc ça raconte aussi beaucoup de choses. Et c'est une époque qui ressemble finalement beaucoup à la nôtre. Une époque où les peurs des gens sont à peu près celles que l'on vit aujourd'hui. Une peur identitaire. On a peur de l'autre. On se pose la question de ce que c'est qu'être français à un moment où politiquement la nation n'est pas stable. La IIIe République est vacillante. On a enchaîné beaucoup de choses : la guerre civile de la Commune, le Second empire, la guerre face aux allemands, la peur de l'immigré et en même temps un phénomène qui est en train de prendre une ampleur démesurée. Paris en 1900, c'est la peur des bandes de banlieues que plus tard on appellera les Apaches. Finalement ce sont des choses que l'on retrouve aujourd'hui : discours identitaire, peur des banlieues, instabilités économique et de l'avenir de la France. Beaucoup de choses qui sont présentes. Et puis la mondialisation qui est en train de se mettre en place à cette époque, dont on voit aujourd'hui toutes les conséquences - bonnes ou mauvaises. Je trouve que la plupart des réponses aux questions que l'on se pose aujourd'hui sont probablement issues de cette époque-là. J'avais envie de développer cette époque charnière de notre société pour raconter une histoire qui se passe autrefois et qui finalement parle de choses modernes.

k-libre : Du fait de l'époque évoquée dans Léviatemps, de la fidélité des descriptions du Paris de 1900 et du phrasé des personnages, la comparaison avec l'œuvre de Jean-Luc Bizien "La Cour des miracles" (La Chambre mortuaire et La Main de gloire) est inévitable. Son travail vous a-t-il inspiré pour l'écriture de ce roman ?
Maxime Chattam : Pour le coup non. Mais ce qui est amusant c'est que Jean-Luc Bizien est un ami à moi. Donc on se voit souvent. On discute très peu de nos livres. Il m'avait envoyé sa série, et je l'ai mise de côté en me disant : "Je vais les bouquiner avant d'écrire. Je suis sûr que ça va être génial." Et en même temps à un moment je me suis interdit de le faire. J'avais mis de côté une dizaine de bouquins qui se passaient à cette époque-là, et je n'en ai pas lu un seul. Au dernier moment, j'ai pensé que c'était une mauvaise idée. Je me suis dit : "Je vais me sentir influencé, même incapable derrière d'être aussi bon qu'eux." Du coup je n'ai pas voulu les ouvrir. Je me suis contenté de relire et de parcourir certains ouvrages classiques de l'époque ou les ouvrages qui me semblaient des références comme le Melmoth de Mathurin, certains ouvrages de Gaston Leroux ou de Maurice Leblanc. Mais c'étaient des lectures diagonales rapides pour me replonger dans une époque. En revanche je n'ai pas voulu aller dans des intrigues qui seraient écrites par des contemporains. Voilà, en fait je ne les ai toujours pas lus. Ça viendra mais je finirai d'abord mon écriture sur l'époque.

k-libre : Guy de Timée, le héros de votre roman, trouve refuge dans une maison de tolérance. Coïncidence, sur Canal+, la série "Maison close" fait un carton, et des livres sur l'histoire et l'architecture des lupanars sortent en librairie. Selon vous, pourquoi cet engouement sur le sujet ?
Maxime Chattam : D'abord, je tiens à dire que je n'étais pas au courant qu'il y avait "Maison close" en tournage quand j'ai écrit le bouquin. Je l'ai découvert par hasard quand cela a été diffusé. Pourquoi ça fonctionne ? Je pense que si c'est dans l'air du temps, c'est parce que ça répond à pas mal d'interrogations de la société. Société qui ne trouve pas sa place dans ses interrogations entre une forme de puritanisme, dont on n'a peut-être pas l'habitude en France, et en même temps oui, de l'hypocrisie qui est liée au puritanisme sur la condition sexuelle de l'homme et de la femme. Sur notre sexualité à une époque où les gens s'interrogent beaucoup, fantasment énormément et notamment projettent leurs fantasmes sur ces maisons closes, sur ce qu'a pu être la vie dans ces maisons closes, et c'est un peu ce que je voulais retrouver quand je me suis documenté. Quand j'ai écrit sur les maisons closes, je voulais à la fois retrouver une vision fantasmée et romantique sur les maisons closes et montrer que les maisons closes sont aussi et surtout des lieux terrifiants pour celles qui y sont employées. Dans le même temps, ça renvoie à la place des maisons closes dans la société aujourd'hui. Réouverture pas ouverture. Je trouve que c'est un discours hyper important et qui m'interpelle et m'intéresse pas mal.

k-libre : Justement. Pour ou contre ?
Maxime Chattam : Pour et contre selon les conditions dans lesquelles cela se ferait. Pour, si ça se refait sous la tutelle réellement de l'État parce que c'est l'unique et le meilleur moyen de lutter contre la clandestinité et les trafics des filles de l'Est. Car c'est affligeant. J'ai un copain dans la police qui m'en a pas mal parlé. Il bosse là-dedans. La police ne peut rien y faire. Le seul moyen d'endiguer ce trafic c'est que l'État se substitue à tout ça et affirme que dans la rue c'est illégal et que l'on donne droit aux forces de police d'intervenir sur le terrain puis qu'on ouvre les maisons closes, mais sous tutelle de l'État, avec des comptes surveillés, avec un haut-commissaire par exemple, une sorte de sous-ministère allié au Ministère de la santé avec une hygiène contrôlée - pour les filles je pense que c'est mieux -, avec des lieux qui sont mis en place par l'État et probablement des lieux qui permettront de les faire travailler dans des conditions nettement meilleures qu'aujourd'hui où c'est catastrophique. Avec une pratique des tarifs qui serait libre. Mais ça reste un métier terrifiant maintenant. Il ne faut pas se leurrer. Il ne faut pas être hypocrite. La prostitution a toujours existé et existera toujours. Clandestinement ou pas. On peut se mettre des œillères et se dire que c'est abominable. Que c'est terrifiant pour les femmes qui font ce métier - ce qui est vrai. En même temps on ne peut pas nier que ça existe. Mieux vaut encadrer quelque chose qui se fait de façon dramatique aujourd'hui que de vouloir faire les hypocrites. Maintenant si cela doit être ouvert et mis dans les mains du privé alors non. Certainement pas. Car alors on retournera dans les conditions rencontrées dans certains lupanars où les filles faisaient de l'abattage avec quarante, cinquante ou soixante passes par jour. Avec le couteau sous la gorge quasiment, car tu n'as pas le choix. Si on met en place une maison close dirigée par l'État et que l'on demande aux filles - je n'ai pas travaillé là-dessus - de reverser juste la TVA ça ferait fonctionner et ça paierait tous les fonctionnaires, les locaux. Tout le monde y trouverait un équilibre plus décent que ce que qu'il est aujourd'hui.

k-libre : Beaucoup de lecteurs s'accordent à dire que Guy est un personnage "agaçant", qui sait tout sur tout. Un théoricien qui rêve de devenir praticien. Avec un héros tendant à hérisser le poil, auquel le lecteur aura du mal à s'identifier, vous n'avez pas eu l'appréhension de déplaire ?
Maxime Chattam : Oui et non. Je me dis qu'il peut être un peu agaçant dans le sens où il a toujours la réponse à la question que les gens se posent. En même temps, quand on regarde bien, souvent ce qu'il fait est un peu vain. En fait, il n'a pas vraiment influencé sur le final de l'histoire. Quand on regarde bien ce que Guy de Timée fait, on se rend compt qu'il n'est pas vraiment héroïque. Ses agissements ne nous ont pas permis d'en être totalement là où on en est à la fin. Je fais attention à ce que je dis parce que je ne veux pas trop en dire sur le second tome. Les choses sont les suivantes : dans le tome 2, on va se rendre compte de beaucoup de choses sur Guy de Timée, et notamment qu'il s'est à peu près trompé sur tout dans le premier tome. En même temps, dès Léviatemps, qui est une histoire indépendante - il y a un début, il y a une fin et il n'y a pas forcément de suite dans l'absolu –, ce personnage-là, il est fort dans ce qu'il fait. Peut-être un peu trop par moment. Mais quand on regarde bien, et c'est ainsi dès le début, c'est un lâche absolu dans sa vie personnelle. C'est un type qui a tout raté. Mais quand il se projette dans quelque chose qui est de l'ordre du fantasme et de la compréhension intellectuelle, du romanesque, là, il est très fort. C'est un bon romancier. Finalement, c'est la question que je pose aux lecteurs. Est-ce qu'un bon romancier c'est quelqu'un qui rate ce qu'il est humainement pour pouvoir réussir ce qu'il est dans le romanesque ?

k-libre : C'est une question que se pose Maxime Chattam ?
Maxime Chattam : [Rires.] Probablement. D'autant plus que Guy, c'est mon second prénom.

k-libre : "La Trilogie du Mal" est devenue une tétralogie avec La Promesse des ténèbres, et il semblerait qu'"Autre Monde" se voit enrichie de quatre autres volumes. Vous n'avez pas peur que l'on vous taxe de miser sur la facilité et de surfer sur la vague du succès des précédents opus ?
Maxime Chattam : Non, parce que ce qu'il s'est passé avec "Autre Monde", c'est que j'avais scénarisé l'histoire complète. Je me suis dit ça tient en trois bouquins. Ça va être des pavés monstrueux, hyper denses, mais j'aurai une histoire riche et ça va me permettre d'explorer tout ce que j'ai envie d'explorer dans cet "Autre Monde" qui me plaisait et dans lequel j'avais beaucoup de choses à raconter. Or, j'ai commencé à écrire le tome 1, et je me suis rendu compte de deux choses. La première, c'est que je pensais écrire pour la jeunesse et qu'en fait j'étais en train d'écrire pour tout le monde. Et la seconde chose que j'ai réalisée à ce moment-là, c'est que je ne pourrai jamais, dans un seul tome, raconter tout ce que j'avais prévu, et que ma trilogie ne tiendra pas la route. Il a fallu en cours de route que je redéfinisse un peu plus la série. J'ai voulu rester sur trois bouquins, parce qu'il est important de faire une fin assez rapidement. En tant que lecteur, je déteste quand on me propose un bouquin, que l'on me dise que je n'aurai la fin que dans cinq ou six ans. Ça m'agace. Ça m'horripile. Du coup, je ne lis même pas les bouquins. C'est frustrant de ne pas avoir la fin d'une histoire qu'on aime. Donc, j'ai voulu maintenir l'idée d'une trilogie dans laquelle j'aurais une première fin bouclée, parce que ça me permettrait de ne pas trop me perdre en route. Du coup, il n'y aurait pas cette frustration chez les lecteurs, que moi je n'aime pas. Et tout ce que j'avais prévu, qui allait se greffer autour et enrichir le "Monde", je vais le faire autrement. Je me le garde pour plus tard. Il y a de quoi raconter encore beaucoup de choses parce qu'on se pose plein de questions sur Malronce, sur l'origine de la tempête, sur ce qui a pu se passer ailleurs dans le Monde. Tout ça, on va l'avoir dans les quatre tomes qui vont suivre. Notamment avec Entropia, une menace essentielle, qui est liée à la planète, que j'avais prévu au départ dans la trilogie et que je n'ai pas pu mettre. Entropia, vous allez le découvrir dès le tome 4. Mais pour en revenir à la question, ce n'est pas surfer sur le succès, puisque dès le début, j'avais dit à mon éditeur : "Écoutez, je sais que je pars sur quelque chose qui ne marchera pas. Surtout que le roman d'aventure qu'on appelle fantasy ça marche pas des masses en France, mais je vous demande un engagement écrit de votre part pour aller jusqu'au bout de l'histoire. Même si on fait un four total, pour moi c'est important." Mon éditeur a été hyper-réglo et il m'a dit d'emblée qu'il n'y avait pas de problèmes et qu'ils iraient au bout avec moi. Ça a marché. Tant mieux. Mais ça n'aurait pas marché, j'aurais fait les trois tomes et probablement les quatre suivants.

k-libre : J'ai cru comprendre que vous aviez chez vous une pièce qui ressemblait à un cabinet de curiosités. C'est parce que votre vrai nom de famille est Drouot ? Vous cherchez à créer un Hôtel des Ventes ?
Maxime Chattam : [Rires.] Non, c'est parce que j'aime m'entourer de choses un peu singulières, et je me suis fait un grand bureau-bibliothèque avec des livres. J'aime être entouré de livres pour me sentir bien. Il y a plein d'objets particuliers qui me font rêver, qui me font peur, et qui m'amusent. C'est mon univers fantasmé que j'essaye de reconstituer autour de moi. J'ai un bureau qui ressemble à un cabinet de curiosités fin XIXe, avec des choses atypiques dont un loup-garou empaillé de deux mètres de haut, qui se tient debout. On voit encore les marques de l'autopsie et les impacts de balles. Les gens qui rentrent dans mon bureau sont estomaqués parce qu'il est très réaliste. Ça a été fait par un artiste anglais qui travaille parfois pour le cinéma. Il y a d'autres objets particuliers comme ça qui font que les gens qui visitent mon bureau me prennent pour un doux dingue.

k-libre : La question bateau qui permet de jauger de la modestie de l'auteur. Comment expliquez-vous le succès de vos romans ?
Maxime Chattam : Je n'ai pas de vraie réponse à cette question. Le succès est toujours éphémère. Aujourd'hui, ça marche pour moi. Je ne pense pas que ça durera longtemps, hélas, parce que pour que ça perdure, il faut savoir cultiver le succès en s'adaptant aux besoins du public. Or, ce n'est pas ce que je fais. Je vous disais en début d'interview que j'écris ce que j'ai envie d'écrire et que je vais là où j'ai besoin d'aller en tant que romancier. Ce qui fait que, peut-être un jour, beaucoup de gens qui me lisent se diront : "Chattam, ça me surprend un peu trop. Ce que j'aime, c'est quand il fait ça ou ça, et comme il ne le fait pas assez souvent, je ne le lis plus." Ça arrivera peut-être. Je ne sais pas. Mais je ne m'adapterai pas à ça. Je continuerai à écrire toute ma vie. C'est quelque chose qui me passionne. J'ai besoin d'écrire. Pourquoi ça marche aujourd'hui ? J'ai envie de croire que les raisons pour lesquelles j'écris sont évidentes. Elles sont dans le sous-texte. Et que peut-être ce sous-texte-là, je le partage avec beaucoup de gens, et qu'ils se retrouvent dans ce que j'écris. Dans ce que je pense. Dans ce que je suis. Parce que finalement on partage plein de choses. Comme le besoin de s'évader. Un petit mal-être ou une sorte de mélancolie sous-jacente à notre bonheur quotidien. Je suis quelqu'un de souriant, d'heureux dans le quotidien et mais qui véhicule au fond une grande mélancolie, une grande nostalgie qui me guident dans ce que j'écris. Ce que je recherche dans la littérature, c'est du fantasme. Tous ces éléments-là sont évidents dans mes livres. Évidents de façon différente d'un livre à l'autre. Si les gens se retrouvent dans cet aspect-là de ma littérature, c'est peut-être ce qui explique le succès. Peut-être que ça perdurera sur du long terme... ou pas ! Dans ce cas, je me serai trompé dans l'explication du succès. [Il sourit.] Je ne sais pas si ça fait de moi quelqu'un de modeste ou de prétentieux, mais c'est comme ça que je me l'explique pour le moment.

k-libre : Il y a deux ans, était évoquée l'adaptation de L'Âme du mal par TF1, en deux volets de cinquante-deux minutes. Où en est ce projet ?
Maxime Chattam : Tourné, réalisé, en boite depuis très longtemps, parce qu'il a même été diffusé en Suisse. Il n'a jamais été diffusé en France. Personnellement, je ne l'ai pas vu. Visiblement, il a été interdit aux moins de douze ans. Il semblerait que TF1 n'ait pas beaucoup de plages horaires autorisées par an pour les moins de douze ans en prime-time. Du coup, ils favorisent plutôt des séries américaines. Je pense aussi que le directeur de la fiction de l'époque, qui avait commandé le projet, n'étant plus en fonction aujourd'hui, le nouveau directeur en place se dit que si ça ne marche pas on lui reprochera à lui de l'avoir programmé, et si ça marche, on dira que c'est son prédécesseur qui avait eu l'idée. Je ne sais pas si c'est bien ou pas bien qu'il ne soit pas diffusé. Je ne l'ai pas vu. Je trouve juste dommage qu'ils aient financé un projet et qu'ils n'en fassent rien.

k-libre : Vous avez commencé votre carrière artistique en tant que comédien...
Maxime Chattam : Vous pouvez précisez en tant que mauvais comédien. [Rires.]

k-libre : Vous avez donc commencé votre carrière artistique en tant que mauvais comédien, en jouant les mauvaises histoires des autres. Maintenant que vous écrivez vos propres histoires, avez-vous envie de les voir se matérialiser sur grand écran et qu'elles soient jouées par d'autres ?
Maxime Chattam : Je suis un fan de cinéma. Donc oui ça me plairait, ça m'amuserait. Mais contrairement à une époque où je trouvais ça génial de pouvoir m'investir dans le projet, je crois que le cinéma est une industrie tellement à part, tellement particulière, qu'il ne faut pas fantasmer sur ce que pourrait être le résultat. C'est compliqué. À part un metteur en scène qui arriverait en disant qu'il veut porter le projet, qu'il a une vision précise de ce que pourrait être tel ou tel bouquin, et qu'il souhaite l'adapter. Peut-être que lui, parce qu'il a le pouvoir en tant que metteur en scène, d'orienter dans une vision artistique le projet, ça peut donner quelque chose de sympa. À voir. Mais si ce sont des producteurs qui se contentent d'acheter le projet, je ne sais pas trop. À cause de problèmes d'économie de marché, ils peuvent faire des choix qui ne sont pas ceux qu'il y a dans le livre, et je ne sais pas ce que donnerait le résultat. Maintenant, ce n'est pas mon métier de courir après les producteurs. Je laisse le temps faire, et ça ne se fera peut-être jamais.

k-libre : Quels seraient pour vous les comédiens qui incarneraient le mieux les personnages d'Annabelle et Joshua ?
Maxime Chattam : Comédiens français ?

k-libre : Pas spécialement...
Maxime Chattam : En comédien américain, je pense que Johnny Depp aurait fait un bon Joshua Brolin. Annabelle, ce n'est pas évident. Halle Berry collerait bien au personnage. En France, je ne sais pas. C'est curieux parce que j'ai toujours imaginé mes personnages. Ils ne m'ont jamais été inspirés. À l'exception d'un personnage dans Les Arcanes du Chaos pour lequel je voyais Eva Green. Je ne saurai pas vous expliquer pourquoi. C'est venu comme ça. Sinon j'aime beaucoup certains acteurs français en ce moment. Jean Dujardin dégage quelque chose d'intéressant sur tous les registres. Gilles Lellouche, qui est un acteur assez dingue, aussi. Faut voir. Tout est possible.

k-libre : Votre camarade de la LDI, Franck Thilliez, va voir son dernier roman et le prochain à venir, traduits aux États-Unis. Qu'un auteur de thriller français - un ami de surcroît -, soit enfin reconnu outre-Atlantique, qu'est-ce que cela vous inspire ?
Maxime Chattam : Il y a deux choses. D'une part, il y a le fait qu'un éditeur américain s'intéresse à un auteur français. Ça c'est très très bien. Ça veut dire que ceux qui sont un peu considérés aujourd'hui comme les modèles dans le genre - même si je ne suis pas sûr que ce soit vraiment le cas, entendons-nous bien -, s'intéressent à ce que certains auteurs français peuvent faire. En l'occurrence, ils ont choisi Franck Thilliez. Je pense qu'ils ne pouvaient pas se tromper. Il fait partie de ce qui se fait de mieux en France dans le genre. C'est à la fois une reconnaissance pour son travail personnel et pour ce qu'on fait en France. Je trouve ça formidable. Après, il faut voir ce qu'ils vont en faire. Ce qui me rassure, c'est qu'a priori cela a été acheté pour un montant assez important. Ce qui veut dire qu'ils y croient vraiment et que pour rentabiliser ce montant, ils vont vraiment devoir travailler sur ce livre et sur sa diffusion aux États-Unis. C'est ce qu'il fallait. J'ai été traduit et publié aux États-Unis. Cela a été un four total. Ce que j'aimerais, c'est que Vikings, puisque c'est eux qui ont acheté les droits, mettent le livre de Franck en avant et qu'ils se battent pour le partager et qu'ils fassent quelque chose avec. Là, ce sera formidable. La deuxième étape sera passée. Ce ne sera plus seulement les professionnels qui s'intéressent à ce qui se fait en France, mais aussi le lectorat. On peut espérer une vraie sortie américaine, avec tout ce que ça engendre, et un vrai succès populaire américain. De plus, ça laisse aux auteurs français un espoir de se dire que leur travail peut dépasser les frontières.

k-libre : Que diriez-vous, pour les encourager à lire Léviatemps, aux lecteurs habitués du Maxime Chattam de "La Trilogie du Mal" et qui pourraient être décontenancés par une telle lecture ?
Maxime Chattam : Léviatemps était un choix personnel. Je me suis dit que cette histoire-là, à cette époque, appelaient une forme d'écriture différente de ce que je fais d'habitude. Je me suis beaucoup documenté sur l'époque. Après, ça reste du thriller. Il y a du suspense et des chapitres courts. Et puis on retrouve un peu ma patte dans la façon de décrire les lieux, les ambiances, ce qui se passe dans l'interaction des personnages. Là-dessus je reste ce que je suis. Et ce que je ferai toute ma vie, probablement. En revanche, il y a une volonté de prendre un peu plus de temps pour certaines choses. D'avoir une écriture un peu différente. Une écriture qui ressemblerait à un mélange entre Le Sang du temps et In Tenebris. J'ai fait ce choix, parce que cela s'y prêtait. Le sujet l'appelait. J'étais à l'aise avec ce style pour ce livre. Léviatemps est un peu un livre "somme". Une synthèse de tout ce que j'ai fait jusqu'à présent. Oui, on peut être un peu surpris par l'écriture, parce que c'est l'époque qui incite cette écriture, mais quelqu'un qui aime ma façon d'écrire peut y retrouver beaucoup de choses. J'ai juste envie de dire : "Soyez curieux, jetez un œil".


Liens : Maxime Chattam | Léviatemps Propos recueillis par Fabien Hérisson

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