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Karen Maitland privilégie sens de l'intrigue et authenticité historique !

Mardi 08 juin 2010 - Karen Maitland, qui signe avec La Compagnie des menteurs son second livre de fiction, se révèle comme une figure du "polar" historique, à suivre avec attention. Son expérience personnelle, acquise au cours de très nombreux séjours hors de son pays natal, sa connaissance aiguë du Moyen Âge en Angleterre, lui permettent de faire revivre cette période avec une authenticité remarquable. Elle sait, de plus, mettre en scène des personnages pour le moins étonnants. Sa galerie de menteurs vaut le détour.
Dans La Compagnie des menteurs, elle relate la fuite d'un petit groupe d’individus, en 1348, devant l'épidémie de peste noire qui a atteint le sud de l'Angleterre après avoir ravagé le continent. Or, ceux-ci sont bien différents de ce qu'ils laissent croire ou veulent bien dire. Dans un cadre historique retracé avec une grande rigueur, elle place une intrigue qui met les membres de la compagnie face à la mort par assassinats.
Ce roman, traduit par les éditions Sonatine est paru en mars 2010. La richesse et la qualité du sujet demandaient, cependant, des approfondissements sur la genèse et l'origine du livre. Et qui mieux que l'auteur pouvait les apporter ? Rencontre, par Internet, avec une romancière qui va compter dans le paysage littéraire.
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© D. R.



k-libre : La Compagnie des menteurs raconte l'histoire d'un petit groupe d'individus fuyant une épidémie de peste. Avez-vous construit l'intrigue avant les personnages ?
Karen Maitland : J'ai inventé le personnage principal, Camelot, le vieux marchand défiguré, avant d'avoir une idée de l'intrigue. En fait, j'ai commencé l'écriture de mon second roman, The Owl Killers (le roman n'est pas encore traduit en français - NdR), avant La Compagnie des menteurs : c'est alors que j'ai créé Camelot afin de lui consacrer le prologue et l'épilogue de ce second roman. Mais alors que j'écrivais ses origines — ce qui lui était arrivé avant le début de cette histoire — j'ai réalisé qu'il était bien trop intrigant et intéressant pour le confiner dans un rôle secondaire de The Owl killers. Camelot prit une telle personnalité qu'il m'a forcé à interrompre The Owl Killers et à écrire sa propre histoire juste pour le faire taire. Ainsi, son odyssée personnelle devint La Compagnie des menteurs.
Lorsque je me suis demandé qui pourrait bien voyager en sa compagnie, les autres personnages ont commencé à émerger. Je savais qu'un événement devrait les obliger à faire front commun, parce que sinon, ils ne se joindraient jamais les uns aux autres de leur propre chef. Certains se détestent même entre eux. Je me suis alors dit que la peste serait le meilleur des prétextes, parce que les villes et les villages fermeraient leurs portes aux étrangers et aux itinérants, si bien qu'ils seraient obligés de former une compagnie pour survivre.

k-libre : Quels faits vous ont inspiré la narration de La Compagnie des menteurs ?
Karen Maitland : Il y a quelques années, on m'a demandé de partir en tournée de trois mois avec une compagnie de théâtre qui se produisait dans des villages isolés aux quatre coins de l'Angleterre. J'étais censée écrire un livre sur les interprètes et cette même tournée. Nous voyagions en plein hiver sur des routes non éclairées, arrivant souvent de nuit dans de minuscules hameaux, sans savoir si nous pourrions trouver de quoi manger ou si quelqu'un viendrait nous voir.
Beaucoup de ces villages avaient été construits au Moyen Âge, et j'ai commencé à imaginer ce que ce devait être de gagner sa vie sur les chemins en ce temps-là, de marcher de village en village sous la pluie et la neige, sans jamais savoir si on trouverait un lit pour la nuit ou de quoi apaiser sa faim. Cette expérience m'a inspiré l'étincelle qui devait donner ce roman.

k-libre : Quel thème souhaitiez-vous traiter ?
Karen Maitland : L'un des thèmes majeurs du roman est que la vérité peut être bien plus destructrice que le mensonge. Les gens peuvent s'entretuer dans leur quête incessante de ce qu'ils appellent "la vérité". Mais où est la vérité et où est le mensonge ? Les personnages de roman racontent tous des histoires qu'ils s'attribuent, qui sont des mensonges, mais contiennent de grandes vérités enfouies sous la surface.
Ce thème s'est imposé parce que, dans la presse et à la télévision britannique, on ne cessait de vouloir dévoiler les vies secrètes des grands artistes, compositeurs comme acteurs. Comme s'ils cherchaient à sous-entendre que, parce que tel compositeur était homosexuel ou qu'un artiste accumulait les maîtresses, leur art était une supercherie. Mais qui peut bien révéler toute la vérité sur lui-même ? Confiez-vous à votre mère ou votre banquier vos fantasmes sexuels les plus intimes ? La plupart des gens s'en passent bien. Sont-ils des menteurs pour autant ? Cela m'attristait de voir combien de gens talentueux ont vu leurs vies et leurs carrières détruites au nom de ce que les journaux appellent la "quête de la vérité". C'est une des sources d'inspiration du roman.

k-libre : Comment avez-vous choisi les personnages qui composent ce groupe ? Quels critères vous ont guidé ?
Karen Maitland : Certains, comme Cygnus le conteur, me trottent dans la tête depuis mon enfance. Lorsque petite fille, on m'a raconté le conte des six cygnes, et je me suis inquiétée de ce qui arriverait au dernier des princes, celui qui ne serait jamais libéré de l'enchantement. Cygnus est basé sur cette idée. Zophiel, le conjuré, a jailli tout d'une pièce dans ma tête, tout comme Narigorm la petite liseuse de runes. Les autres ont été créés à partir de leurs secrets.
Les personnages qui m'intéressent sont les rebuts, ceux qui vivent en marge de la société et la regardent de loin. Je voulais créer un groupe de personnages qui reflèterait ces gens qui seraient forcés de vivre sur les chemins à cette époque précise, voyageant d'un village à un autre : des musiciens, des peintres, des conteurs, des diseurs de bonne aventure et des camelots. Ceux-ci seraient les bienvenus les jours de foire ou de marché, pour leurs marchandises ou les distractions qu'ils proposeraient, mais les gens respectables ne voudraient jamais leur donner leurs filles. Je voulais aussi évoquer les différentes raisons pour lesquelles, à cette époque, des individus pourraient être rejeté par la société. Dans bien des sociétés actuelles, les secrets de mes personnages leur vaudraient d'être ostracisés, voire emprisonnés ou exécutés.

k-libre : Pourquoi avez-vous conservé neuf personnages ?
Karen Maitland : Dans bien des religions, le trois est un nombre sacré, et neuf, c'est trois fois trois. Dans les mythologies nordiques et celtiques, le neuf est donc le nombre qui représente le savoir, la perfection et la complétion. C'est la même chose en divination runique. Dans La Compagnie des menteurs, le groupe ne peut être complet que lorsqu'ils sont au nombre de neuf. Dans la loi runique, le neuf est un nombre très puissant. On implique le neuf, ou trois fois trois, dans un sort ou une malédiction lorsqu'on veut être sûr d'atteindre son but.
Dans la mythologie nordique, Odin resta accroché à Yggdrasil, l'arbre de cendres, neuf nuits pour obtenir les runes. C'est pourquoi bien des liseurs de runes jettent neuf pierres lorsqu'ils veulent prédire l'avenir. Dans les mythologies celtiques et nordiques, nombreux sont les moments où un dieu ou un héros doit passer à travers huit cycles ou huit épreuves pour atteindre son but au bout de la neuvième.
Mais la complétion signifie également une nouvelle phase et le début d'une nouvelle vie. Ainsi, dans La Compagnie des menteurs, ce n'est qu'au moment où les neuf personnages sont réunis que les runes ont le pouvoir d'altérer la direction de leur voyage et de changer leurs vies à jamais.

k-libre : Pourquoi ce titre ?
Karen Maitland : Contrairement à bien des auteurs qui en décident au dernier moment, je suis incapable de commencer un roman tant que je n'ai pas le titre. Pour moi, il définit ce que j'écris, et doit être fixé à l'avance. La Compagnie des menteurs s'est imposé tout naturellement.
Dans un contexte historique, le terme de compagnie me fait toujours penser à un groupe d'acteurs ou de saltimbanques, et je crois que chacun de nous joue différents rôles dans sa vie, comme si nous étions des acteurs et des saltimbanques, voyageant avec nos semblables. Nous ne nous comportons pas de la même façon au bureau qu'au lit avec notre amant. Nous montrons des facettes différentes de notre personnalité à nos enfants et à notre banquier. Nous ne cessons de jouer des rôles différents — épouse, mère, fille, femme d'affaires, amie, étrangère, auteur et lectrice. Nous pouvons les interpréter tour à tour dans l'espace d'une seule journée. Des menteurs — personne dans cette compagnie n'est celui qu'il prétend être. Tous cachent des choses sur leur passé ou leur identité.

k-libre : Votre intrigue se déroule dans le décor d'une Angleterre en proie à une épidémie de peste qui a ravagé l'Europe. Quelles en furent les conséquences humanitaires et économiques ?
Karen Maitland : Même pour un historien, il est impossible de déterminer le nombre exact de victimes de la peste, mais bien des communautés ont perdu quarante-cinq pourcent de leur population suite à la maladie et la famine qui l'accompagnait. Dans certaines régions, le bilan fut moindre, dans d'autres encore plus lourd. L'un des côtés les plus tragiques de cette épidémie est qu'elle a décimé des hommes et des femmes jeunes et en bonne santé alors que, souvent, les petits enfants et les personnes âgées survivaient. Même avant la peste, les récoltes étaient déjà faibles à cause du climat, mais lorsque l'épidémie se déclencha, la plupart de ceux qui pouvaient cultiver la terre périrent, laissant derrière eux des enfants et des vieillards qui n'avaient pas la force nécessaire pour se débrouiller seuls. La plupart moururent de faim ou furent tués par des bandes de pillards désespérés qu'on laissait sévir, puisque la loi et l'ordre n'étaient plus respectés.
La peste ne se contenta pas des humains : elle affecta également le bétail. Même si un fermier s'en sortait, son troupeau de moutons, de chèvres ou de vaches pouvait être exterminé en une nuit. Il pouvait se réveiller un beau matin pour constater que les bœufs sur lesquels il comptait pour labourer la terre ou le cheval ou l'âne dont il avait besoin pour transporter ses marchandises au marché était morts en plein champ. Du coup, même s'il survivait à l'épidémie, il pouvait tout de même connaître la ruine et la faim.
La peste devait changer à tout jamais la face de l'Europe. Bien des gens n'avaient connu qu'un système féodal, où ils passaient toutes leurs vies dans un même village à travailler pour leur seigneur. L'épidémie et ses conséquences provoquèrent un exode des populations vers les villes où elles espéraient trouver du travail. C'était le point de départ d'un processus qui marquera la fin de tout le système féodal. Ce fut le chant du cygne de l'ère médiévale telle que nous la connaissons. Certains auteurs y ont vu le commencement du capitalisme, de la mobilité sociale et des états nations. D'autres ont également postulé que ce fut le début de la vie de famille telle qu'on la connaît aujourd'hui, où les parents élèvent leurs enfants eux-mêmes dans le cadre d'une unité familiale réduite, un concept inconnu jusqu'alors.

k-libre : Néanmoins, de la façon dont votre intrigue est conçue, vous avez choisi de vous consacrer aux effets collatéraux, ce qui a mené à différentes façons de lutter contre l'épidémie. Pourquoi une telle approche ?
Karen Maitland : La plupart des auteurs qui ont écrit sur ce sujet ont placé leurs personnages dans des villages ou des villes. Les gens s'y terrent en attendant que la peste se déclare. Elle finit par venir, puis passe après quelques semaines pour s'en prendre au village suivant. Mais en fait, mes personnages traversent l'Angleterre en même temps que le virus, si bien que, pour eux, l'épidémie ne passe jamais. Ils sont à l'extérieur, à regarder l'intérieur des villages, si bien qu'ils ont une autre perspective que ceux qui sont coincés en agglomération.
Je suis fasciné par les différentes réactions qu'on peut avoir lorsqu'on a peur, surtout lorsqu'elle vous suit jour après jour. Je crois qu'elles n'étaient pas si différentes à l'époque qu'aujourd'hui — bien des gens ont tenté de s'enfermer, évitant tout contact avec l'extérieur, reprochant aux étrangers de répandre le virus et prenant des mesures exagérées pour se défendre contre un ennemi qu'ils ne peuvent comprendre.
Les gens ont tenté de se préserver de la peste par toutes sorte de moyens. Ils allèrent prier dans des lieux saints jusqu'à ce que ceux-ci soient frappés à leur tour. Ils se servirent de charmes, de reliques et de rituels tels que le "mariage des estropiés" que je décris dans le roman, répandu dans toute l'Europe jusqu'au XIXe siècle. Lorsqu'ils ont compris que l'Église ne pouvait les protéger de l'épidémie, et que les prêtres et les moines étaient les premiers à succomber, bien des gens se sont tournés vers les rites païens que leurs arrières-grands-parents leur avaient appris.
Apparemment, durant le krach financier de 2009, les ventes de runes, de jeux de tarot et de porte-bonheur ont augmenté en Angleterre et aux USA. Les gens allaient consulter des médiums et des diseurs de bonne aventure et adhéraient à des groupes religieux en plus grand nombre qu'avant la récession. Donc, même au XXIe siècle, lorsque les gens se sentent impuissants face à une menace, ils sont prêts à tout pour avoir l'impression de la maîtriser. Il est fascinant de voir à quel point leurs réactions sont semblables à celles de nos ancêtres du Moyen Âge.

k-libre : Pensez-vous que beaucoup d'Anglais ont fui l'épidémie ? Étaient-ils plutôt actifs ou passifs face à cette catastrophe ?
Karen Maitland : Dans des pays comme l'Allemagne, certains ont rejoint le mouvement des flagellants qui erraient de village en village en se fouettant eux-mêmes. Ils croyaient que si tout le monde se repentait, Dieu éradiquerait le virus de la peste. Mais pour une raison ou pour une autre, ce mouvement religieux n'atteignit jamais l'Angleterre — peut-être parce que les Anglais ne sont pas assez passionnés ou pas assez pieux pour s'y adonner.
En général, les Anglais qui vivaient dans les villes et les villages réagirent exactement de la même façon que nos contemporains face à la grippe aviaire ou à la fièvre porcine. Ils restèrent là où ils étaient et tentèrent de défendre leurs familles, leurs maisons et leurs propriétés, en excluant tous ceux qui pouvaient faire entrer la maladie. Je crois que, comme à chaque fois qu'un désastre se produit de nos jours, ils devaient craindre qu'on pille leurs maisons s'ils s'en allaient et préféraient se persuader que le mal n'arriverait jamais jusqu'à leur ville ou leur village. Peut-être parce que, comme ils y avaient vécu toute leur vie, ils ne savaient pas s'ils pourraient survivre sur les chemins.
Certains groupes de riches ont bel et bien fui les grandes villes pour se réfugier dans des manoirs et des châteaux isolés où ils s'enfermaient avec des stocks de provisions qu'ils défendaient contre les étrangers. Au début, ceux qui avaient les moyens se payaient le voyage en bateau jusqu'à l'Irlande ou la Scandinavie, mais bien sûr, l'épidémie finit par les y rattraper.
Mais une majorité de gens n'avait pas de résidence fixe, ils gagnaient leur vie sur la route en tant que camelots, comédiens ou mendiants et ne cessaient d'aller d'un village à un autre. Ils étaient obligés de rester en mouvement, puisque tout le monde les chassait.

k-libre : La première moitié du XIXe siècle semble beaucoup vous intéresser. Cette période est-elle aussi riche en histoire ?
Karen Maitland : En effet, cette période me fascine. Ce fut une ère de grands bouleversements qui, par bien des aspects, présente des similarités remarquables avec la situation actuelle. Le monde connut un changement climatique qui engendra des inondations à répétition, comme c'est le cas aujourd'hui. De nouvelles maladies frappèrent les hommes et le bétail. Ils luttaient contre les mêmes problèmes de gangs de jeunes sans emploi qui semaient le désordre et commettaient des crimes. Et en même temps, ce fut une ère de grands progrès scientifique et médical : grâce aux techniques importées des pays musulmans, ils purent entamer des procédures chirurgicales complexes incluant des formes primitives de greffes de peau pour les plaies au visage. Durant cette période, on utilisait des anesthésiques et des antiseptiques primitifs, un savoir qui avait été perdu durant la Réforme. On fit de grands progrès en mathématiques, en sciences, en astronomie et en navigation. C'est alors qu'on a construit des cathédrales grandioses et fondé des villes qui existent encore de nos jours, et pourtant, c'était également une époque de superstition et de croyance au surnaturel.
Lorsque les gens se rendaient à l'église, ils étaient entourés d'images d'anges, de démons et de monstres mythologiques tels que des dragons ou des griffons. Pour les gens du Moyen Âge, ces créatures étaient tout aussi réelles que les récits des saints et de Jésus. En plus de ramener des épices et de la soie, les explorateurs colportaient des histoires de monstres marins et de terres dont les habitants avaient des têtes de chien. L'Église enseignait que des loups-garous et des revenants étaient bien réels et devaient être détruits. Certains membres du clergé recevaient même une formation de devins et de nécromants, ce qui, de nos jours, horrifierait plus d'un ecclésiastique. C'est pourquoi j'aime tant faire des recherches sur cette époque — le frisson et l'enthousiasme d'une époque où le paradis et l'enfer coexistaient sur Terre.

k-libre : Vous tentez de décrire le voyage de membre des classes inférieures, des pauvres hères. J'imagine qu'en ce temps-là, ces gens n'intéressaient guère les chroniqueurs. Quelles sont vos sources concernant la vie quotidienne de ces voyageurs ? Est-il facile de trouver de la documentation sur le mode de vie de ces populations nomades ?
Karen Maitland : Ces gens m'intéressent bien plus que les rois et les reines. Durant des années, on m'a commandé des livres-documents et j'ai dû interviewer des mineurs, des éducateurs sociaux, des pêcheurs, des prisonniers et des prostituées pour parler de leur travail. J'ai découvert que bien des gens apparemment ordinaires ont vécu des vies extraordinaires, par exemple, qu'une vieille dame frêle vivant dans un foyer socio-éducatif avait piloté un avion de chasse Spitfire durant la guerre. La vie de ces petites âmes est souvent oubliée par l'Histoire, et c'est pourquoi ils m'attirent comme personnages de fiction.
Les gens des classes inférieures n'intéressaient les dirigeants que s'ils payaient leurs taxes ou à cause de la criminalité qu'ils engendraient. On ne sait pas grand-chose sur ces nomades, qui n'étaient pas enregistrés dans les archives concernant la dîme et les taxes. Heureusement, les villes et les églises comptabilisaient les sommes perçues sur les marchandises vendues dans les foires et les marchés, ce qui nous permet de savoir ce qui s'y colportait. Parfois, les riches partant en pèlerinage faisaient le récit de leur périple et citaient les autres voyageurs rencontrés en chemin ou résidant dans les mêmes auberges. Si ces mêmes voyageurs restaient dans les sections des monastères réservées aux invités, les moines tenaient le compte de ce qu'on leur servait à manger. Mais bien sûr, on ignore combien de voyageurs campaient le long des chemins.
Si des nomades commettaient un crime ou violaient le règlement d'une foire, l'affaire serait consignée dans un rapport de cour ou d'église, nous donnant une bonne idée des délits qu'ils commettaient. La majorité des crimes commis sur les marchés ou lors des foires étaient les mêmes qu'on retrouve aujourd'hui : défaut d'autorisation, vente de marchandises volées ou de copies, ou de nourriture avariée, vol, ivresse sur la voie publique, agressions et même meurtres.
Les illustrations peuvent être une mine d'enseignements. Les psautiers ou les Bibles et même les murs des églises étaient richement décorés de scènes de la vie de tous les jours de l'époque et comprenaient souvent des images des camelots, des mendiants, des comédiens et ainsi de suite. Ces illustrations pittoresques peuvent fournir des détails importants sur la façon dont les camelots menaient leurs affaires, ou ce qu'ils portaient comme vêtements, des choses qu'on ne prenait jamais la peine d'écrire. Une fois accumulés, ces détails nous donnent une idée de la vie d'un nomade, et à nous d'inventer la suite.

k-libre : Les femmes sont nombreuses dans ce groupe. Était-il fréquent que des femmes prennent également la route ?
Karen Maitland : C'était une ère formidable pour les femmes. Elles pouvaient accomplir des choses qui leur seraient interdites pendant des siècles après l'épidémie de peste et la réforme. Les épouses des nobles pouvaient gérer des domaines multinationaux pendant que leurs maris étaient à la guerre. Parfois, en cas d'attaque, elles devaient défendre physiquement leurs terres. Elles pouvaient présenter leurs causes au tribunal ; reprendre les affaires de leurs maris s'ils venaient à décéder ; travailler dans les boutiques et diriger des guildes, ce qui leur fut interdit après la peste. À l'époque, dans certaines villes d'Europe, des femmes ont même été acceptées dans les écoles de médecine.
La population comptait environ cent vingt femmes pour cent hommes, parce que bien des hommes étaient morts à la guerre ou dans des accidents du travail, si bien que les femmes sans statut social, si elles n'étaient pas serfs attachées à la terre, se voyaient souvent obligées de gagner leur pain sur les chemins, surtout si elles avaient perdu leurs époux et leurs demeures. Et bien sûr, si leurs maris étaient artisans — potier ou fermier avec un surplus à vendre — ce serait aux femmes et aux filles d'apporter les provisions au marché ou à la foire pour les vendre, parce que les maris et les fils devraient rester pour travailler la ferme ou à l'atelier.
Mais bien des femmes nobles ou de l'ordre des marchands partaient en pèlerinage vers les lieux saints. Souvent, si leurs maris étaient à la guerre, elle faisaient le voyage pour prier qu'ils leurs reviennent. Les veuves trouvaient souvent un nouvel époux parmi les pèlerins. En ce temps-là, les pèlerinages étaient l'équivalent des voyages organisés d'aujourd'hui. Les gens s'y rendaient autant pour se distraire et pour voir du pays que pour des raisons religieuses. Ils s'installaient dans des auberges, prenaient du bon temps le soir avec d'autres voyageurs et avaient droit à des distractions paillardes. Si vous avez lu Les contes de Canterbury de Chaucer, vous savez qu'ils étaient bien décidés à s'amuser.
L'une des pèlerines les plus célèbres d'Angleterre était Margery Kemp (1373-1438), qui écrivit un récit de ses voyages, y compris à Jérusalem et à Compostelle. Elle quitta son mari et ses nombreux enfants pour partir en pèlerinage, mais se rendit si insupportable aux yeux des autres voyageurs qu'il leur arrivait de partir en douce, l'abandonnant derrière eux. Ce devait être une version médiévale d'un invité bruyant et indésirable d'un hôtel où tout le monde se plaint et tente de l'éviter.

k-libre : Votre personnage principal, qui est aussi le narrateur, fait le commerce des reliques. Vous avez décrit cette activité de façon très détaillée et démontrez qu'il faut effectivement du talent pour faire ce métier. Était-il vraiment si répandu ? Et très développé ?
Karen Maitland : Jusqu'en 1215, n'importe qui pouvait acheter et vendre des reliques ou les transporter de village en village pour permettre aux gens de les toucher en échange d'une somme d'argent. Il y avait des milliers de reliques douteuses en circulation, des travaux d'aiguille de la vierge Marie aux ossements de saints qui, en réalité, étaient des animaux. Le quatrième Concile du Latran de 1215 tenta de mettre fin à ce trafic, et interdit de vendre ou acheter des reliques sans certificat d'authenticité émis par Rome. D'abord, ces reliques coûtaient cher, mais devoir les envoyer à Rome et payer pour les faire authentifier signifiait que, d'ici au XIVe siècle, seules les églises, les abbayes ou les particuliers les plus riches pouvaient se le permettre.
Et pourtant, les gens ordinaires désiraient plus que tout avoir une relique chez eux pour les protéger, surtout s'ils redoutaient de mourir avant qu'un prêtre ne puisse leur administrer les derniers sacrements. Mais au lieu de résoudre le problème, ces mesures ne firent que l'aggraver, parce que, comme aujourd'hui avec les drogues synthétiques, tout un trafic de reliques illégales se mit en place, où les camelots vendaient des faux à prix plancher aux pauvres et aux angoissés. De toute évidence, les transactions se faisaient de façon clandestine, sur des marchés et dans des auberges, parce que les peines étaient sévères. Et pourtant, même certaines églises et monastères pauvres achetèrent des reliques à ces vendeurs clandestins, parce qu'elles en avaient besoin pour attirer les pèlerins et les fidèles prêts à payer pour les voir. Les églises et les abbayes les plus pauvres ne pouvaient payer les tarifs que Rome demandait.

k-libre : Vous traitez souvent de la notion d'espoir. Á en croire vos personnages, chacun en a sa propre définition. D'après l'un d'entre eux, c'est "un mensonge magnifique et il faut du talent pour inspirer de l'espoir aux autres". Pour un autre : "L'espoir est une faiblesse". Espérer, c'est trop en attendre des autres et de l'extérieur. Quelle est votre définition ?
Karen Maitland : Je crois que l'espoir et la mort sont tout ce qui motive l'humanité. Si nous étions sûr de vivre à jamais, nous ne ferions probablement jamais rien : nous remettrions tout au lendemain. La peur de la mort, du temps qui passe, est ce qui nous tire du lit chaque matin, mais c'est l'espoir qui nous pousse à nous surpasser.
Nous nous épanouissons dans l'espoir de trouver un remède contre une maladie, ou découvrir le trésor perdu des Incas, ou à chercher à faire publier notre roman. Nous ne savons pas si nous y arriverons. Notre esprit rationnel nous dit que tout est contre nous, que nous ne pourrons jamais y arriver, mais cette étincelle d'espoir nous pousse à persévérer. Dans toute l'histoire de l'humanité, des individus et des communautés ont triomphé de l'adversité et accompli l'impossible parce qu'ils gardaient l'espoir. C'est ce qui force un blessé à survivre enterré sous les débris d'un tremblement de terre ou à descendre une montagne gelée bien après que la médecine décrète qu'il devrait être mort. Mais si on lui retire tout espoir, un homme plein de santé peut mourir sans raison apparente, juste parce qu'il a renoncé à vivre. Lorsqu'on a ouvert la boîte de Pandore et que tous les maux de l'humanité ont été libérés, le dernier à en sortir fut l'espoir, parce que c'est un mensonge qui ne sert qu'à tromper les hommes qui refusent d'accepter la réalité. Mais si je me fie à ce qu'en disent les autres, l'espoir sortit en dernier parce que c'était la seule chose qui puisse défaire chaque calamité lâchée sur ce monde. C'est peut-être un mensonge, mais mieux vaut un mensonge qui donne la vie qu'une vérité qui n'engendre que destruction.

k-libre : Votre description des moines et du clergé n'est guère flatteuse. Étaient-ils aussi corrompus que vous le décrivez ?
Karen Maitland : Pas tous, bien sûr, à l'époque, on trouvait de véritables saints hommes. Bien des prêtres et des moines moururent de la peste justement parce qu'ils avaient assez de compassion pour aller voir leurs paroissiens atteints afin de leur administrer les derniers sacrements et tenter de les soigner, même s'ils étaient parfaitement conscients des risques.
Mais il ne faut pas oublier que, toujours à cette époque, on se faisait moine ou prêtre sans avoir la vocation ou même la foi. Si vous étiez un jeune homme, votre famille pouvait vous obliger à entrer dans les ordres pour avoir un revenu. L'Église était alors l'employeur numéro un, et si vous n'aviez ni terre, ni argent pour payer un apprentissage, le choix était limité : entrer dans les ordres ou mourir de faim. La plupart ne se faisaient pas ecclésiastiques par vocation. Donc, oui, la corruption régnait en maître.
Pour ceux qui étaient nés sans le moindre pouvoir, c'était un bon moyen d'en gagner, parce qu'il était possible de grimper très haut dans la hiérarchie pour peu qu'on se montre impitoyable. N'oubliez pas qu'à cette époque, les évêques avaient leurs châteaux et leurs armées personnelles et que le clergé faisait la guerre. Les princes et les nobles étaient souvent ordonnés prêtres, archevêques ou cardinaux pour gagner du pouvoir, de l'argent et des terres. Conduire des cérémonies ou administrer une congrégation ne les intéressait nullement. Ils laissaient ça au clergé pauvre.
Pour être prêtre, il était inutile de savoir bien lire et écrire. Il suffisait de déchiffrer un vers des Écritures, et bien des gens se contentaient de l'apprendre par cœur. De nombreux prêtres ignoraient tout de la théologie. Des baptêmes aux enterrements, tout était soumis à la taxe de l'Église, et pour les prêtres, la tentation d'augmenter leurs gains était trop forte.
Mais l'une des principales raisons de se faire prêtre était de gagner le "bénéfice de célerie", ce qui veut dire que si on vous accusait d'un crime, votre procès se déroulerait devant un tribunal ecclésiastique et non civil, et donc, à moins d'avoir commis un crime contre l'Église, vous pouviez tuer quelqu'un et être exonéré, puisqu'on ne pouvait juger un prêtre pour meurtre. Du coup, bien des criminels redoutant d'être démasqués entraient dans les ordres ou prétendaient être moine ou prêtre pour échapper à la justice.

k-libre : Vous évoquez de façon très réaliste, sans édulcorer, la mort par le feu, soulignant la souffrance de ceux qui sont brûlés vifs et l'horreur d'une telle fin. D'après vous, pourquoi les auteurs n'osent-ils pas traiter la torture de façon aussi authentique ?
Karen Maitland : Je ne peux parler pour les autres écrivains, mais malheureusement, lorsque j'étais au Nigeria, j'ai vu des gens brûlés vifs lors des émeutes. Et comme j'ai également croisé d'immenses fosses communes bourrées de cadavres en Afrique et les conséquences d'attentats terroristes en Irlande du Nord, je peux m'imaginer ce qui se produisait au Moyen Âge.
J'ai tendance à voir dans ma tête les scènes que j'écris, et elles me remplissent d'horreur, mais je crois qu'il est important de faire ressortir la brutalité de cette époque. Oh, il y avait bien des damoiselles, des chevaliers et du romanesque, mais également cette autre facette – la violence des hommes — et j'ai bien peur qu'il ne suffise de regarder les informations du jour pour constater que nous ne nous sommes guère améliorés.

k-libre : Dans votre intrigue, vous glissez une part de fantastique avec le personnage de Morrigan. Est-elle la première sorcière ou une déesse de la mythologie celtique ?
Karen Maitland : Morrigan est une déesse celtique. C'est une des triples déesses susceptibles d'apparaître sous les traits d'une enfant, d'une mère ou d'une vieillarde. Elle apportait la discorde et la destruction, le sang et la vengeance et, si elle apparaissait sur un champ de bataille, elle pouvait changer l'issue du combat. Comme bien des déesses celtiques, c'était également une métamorphe pouvant apparaître sous bien des formes humaines, mais aussi celle d'une vache, d'un cygne et d'un loup. Plus tard, lorsque la chrétienté a pris le pouvoir, l'ancien savoir ne put être totalement éradiqué dans certaines contrées, si bien que l'Église préféra diaboliser ces déesses. Au lieu de les vénérer, on finit par les considérer comme des monstres et des démons, un peu comme les femmes sages des villages connaissant le pouvoir des herbes et des médecines populaires furent taxées de sorcières. Le titre de mon prochain roman, The Owl Killers, rappelle que le hibou était le symbole de ces anciennes déesses dans tout l'Europe, depuis la Grèce antique jusqu'aux Celtes. C'étaient des créatures sacrées et il était interdit de leur faire du mal. Mais lorsqu'il s'agit d'interdire les anciennes religions, ils furent diabolisés à leur tour et finirent chassés et persécutés en tant que porteurs de mort et de maléfices.

k-libre : Narigorm, la petite devineresse, se sert de runes décorées de symboles. Était-ce celles qu'on utilisait à l'époque à fins de prédictions ?
Karen Maitland : Durant l'ère viking, les runes étaient employées dans toute l'Europe, de la Scandinavie jusqu'au sud de l'Italie en tant que langage écrit. On s'en servait pour rédiger des sagas, des poèmes, et même des transactions commerciales, on pouvait en tirer des sorts et des malédictions. Mais dans l'Angleterre du Moyen Âge, leur usage en tant que langue était déjà oublié et elles ne servaient plus que dans les rituels magiques et de divination. Deux utilisations rigoureusement interdites par l'Église, et seuls les sages et les herboristes avaient conservé le savoir nécessaire pour les utiliser à fin de sorts, de malédictions et de prédictions.
Si nous savons qu'on s'en servait à cette époque, c'est parce qu'on a des comptes-rendus de gens arrêtés et condamnés pour leur usage. De plus, certains symboles runiques ont été retrouvés gravé sur des bâtons et des pierres datant du Moyen Âge et écrits sur des parchemins. Mais ceux qui s'en servaient ne laissèrent aucun récit de la façon dont ils les utilisaient, en partie par peur d'être arrêtés, mais aussi parce que ces dons se transmettaient de génération en génération dans la même famille, si bien qu'il était inutile de rédiger leur signification, du moins pour ceux qui savaient écrire.
Mais les lettrés ont fait des recherches approfondies sur la signification des runes à l'ère des Vikings. Et en nous adressant à des spécialistes, nous savons ce qu'elles signifiaient au cours des siècles récents. Donc, il nous faut combiner les deux afin de deviner comment elles pouvaient avoir été interprétées à l'époque médiévale.

k-libre : Vous décrivez des conditions climatiques désastreuses : pluie, froid, inondations provoquant la destruction des récoltes et la famine qui s'ensuit... L'année 1348 fut-elle aussi terrible que vous le dites ?
Karen Maitland : S'il faut en croire des témoignages indépendants dans toute l'Angleterre, cette année-là, il a plu chaque jour du solstice d'été jusqu'à Noël. Depuis 1290, l'Europe du Nord connaissait une série de changements climatiques radicaux, où des levées des eaux entraînaient des inondations. Le Pape ordonna des prières quotidiennes dans toutes les églises d'Europe pour supplier Dieu de faire revenir les saisons. En conséquences, les récoltes pourrirent sur pied, les moutons moururent de la douve du foie et le bétail de la tuberculose bovine. D'après les comptes de la dîme tenus par l'Église et des archives seigneuriales, dans certaines régions, les récoltes diminuèrent de soixante pourcent.
Et la surpopulation endémique n'arrangea pas les choses : du coup, les fermes ne cessèrent d'être divisées à chaque génération d'enfants, devenant de plus en plus réduites jusqu'à ce qu'en 1348, même les bonnes années, elles ne suffisaient pas à nourrir une famille. Cette année-là, lorsque la pluie détruisit les récoltes, la famine s'instaura rapidement, parce qu'il n'y avait pas beaucoup de réserves. Á cause de la peste, les bateaux ne pouvaient pas prendre la mer, ce qui fait que même s'il y avait des provisions dans une région d'Europe ou une autre, il était impossible de la transporter là où on en avait besoin.
Plus intéressant encore, certains scientifique pensent qu'un des facteurs pouvant avoir contribué à ces conditions climatiques furent des éruptions volcaniques très violentes en Islande qui larguèrent de grands nuages de poussière volcanique au-dessus de l'Europe, cachant souvent la lumière du soleil des semaines entières.

k-libre : Une question inévitable : avez-vous une idée de votre prochain livre traduit en français et vos prochaines publications ? De quoi parlent-elles ?
Karen Maitland : Ma prochaine traduction sera The Owl Killers, qui se déroule en 1321 sur la côte est de l'Angleterre.
Le village isolé d'Ulewic est sous la coupe d'une secte païenne connu sous le nom de Maîtres des Hiboux, qui gouverne par la peur, la superstition et le meurtre. Lorsqu'un groupe de religieuses, les Béguines, arrivent de Flandres afin d'établir un Béguinage, une cité des femmes, en bordure du village, elles engendrent aussitôt la suspicion et l'hostilité.
Une série de désastres frappe le village d'Ulewic, entraînant la colère des villageois — pourquoi les récoltes de ces femmes prospèrent-elles là où celle de la communauté meurent ? Pourquoi leur bétail peut-il échapper à la peste alors que les troupeaux du village sont décimés ? Face à la diminution progressive de leur pouvoir, les Maîtres des Hibous tentent de dresser la communauté contre les femmes en les accusant de sorcellerie. Ils décident d'utiliser une arme dévastatrice contre ces étrangères, et celles-ci devront faire de leur mieux pour éviter que leurs maléfices ne s'étendent sur tous le pays.
Trois choses m'ont inspiré ce roman. La première fut mon voyage à Bruges il y a des années ; c'est là que j'ai appris l'existence des Béguinages, ou ces communautés à population exclusivement féminine. Á mon retour, j'ai constaté qu'il n'y en avait jamais eu en Angleterre. Mais ces derniers temps, des historiens locaux ont découvert des archives prouvant qu'il y en eut bel et bien ; mais elles ont disparu sans laisser de traces en l'espace de quelques années. Donc, la première chose qui m'a intrigué fut de savoir pourquoi ! Que leur est-il arrivé et que sont devenues toutes ces femmes ?
Ma seconde inspiration vint de la découverte de rapports comme quoi trois jeunes Françaises en vacances auraient vu un monstre médiéval, l'Homme-Hibou, s'envolant d'une église à Mawnan, en Cornouailles, en 1976. Plusieurs plaisanciers britanniques l'ont vu également, suivis d'un biologiste américain en 1995. Même s'il s'agissait juste d'un canular ou d'une illusion, l'idée que des gens croient encore en l'existence de telles créatures de nos jours m'a fasciné.
Le dernier élément me vint alors que je visitais Amsterdam et que j'ai entendu parler du miracle d'Amsterdam auquel, encore aujourd'hui, on consacre une procession. On y commémore un incident survenu en 1345, lorsqu'une relique fut découverte miraculeusement indemne après un incendie. J'ai entremêlé ces trois idées pour créer The Owl Killers, qui étudie la corruption qui naît du pouvoir.
Je suis également très enthousiaste à propos du roman que je viens de terminer. Il s'appelle The Mandrake's Tale et se déroule en 1210, dans le Norfolk, durant le règne du roi Jean, le frère de Richard Cœur-de-lion. L'héroïne est une jeune fille qu'on force à devenir une dévoreuse de péchés pour un chevalier mourant portant le poids d'un crime horrible, ce qui aura des conséquences désastreuses pour elle et ceux qui l'entourent.
C'est une bonne époque pour un écrivain, parce qu'en 1210, toute l'Angleterre avait été excommuniée par le Pape. Toutes les églises étaient fermées, personne ne pouvait se marier ou être enterré, parce que la majorité des prêtres s'étaient enfuis en France pour échapper à la colère du Roi. Philippe II de France projetait d'envahir l'Angleterre pour la débarrasser de son vassal impitoyable. Le roi Jean avait peur des espions français et des envoyés qui s'infiltraient en Angleterre, et il redoutait que la plupart des barons britanniques soutiennent le roi de France et se soulèvent contre lui. C'est donc une période de l'histoire assez fascinante, et j'espère que mes lecteurs apprécieront mon récit.

Propos aimablement traduits par Thomas Bauduret


Liens : Karen Maitland | La Compagnie des menteurs Propos recueillis par Serge Perraud

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