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Donc, si j'ai bien compris, dit-elle, quand on dit la vérité, on est un trou-du-cul.
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jeudi 28 mars

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Rencontre avec Stéphane Lefebvre, l’auteur d’Opale, un roman qui a la cote

Dimanche 29 novembre 2009 - Rendez-vous a été pris dans les travées du stade de la Libération, à Boulogne. Le derby s’annonce chaud car l’USCBO reçoit le RC Lens. L’occasion pour moi de chambrer – je l’espère – le talentueux Stéphane Lefebvre. Je m’apprête à envoyer balader un supporter boulonnais qui me demande de lui dédicacer Les Disparus de l’A16, mon dernier roman, quand je reconnais in extremis Stéphane sous son maquillage rouge et noir. Je commande un américain-cervelas, il demande au type, éberlué, un paquet de Pepito et un café noir. Les équipes entrent sur le terrain, l’entretien peut commencer.
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© D. R.



k-libre : Stéphane Lefebvre, on peut se tutoyer ? Ça tombe bien, j'aime beaucoup ce que vous faites ! Si j'avais dû écrire un article sur ton livre, je l'aurais intitulé : "Opale, un vrai bijou", ce qui est, je trouve, très fin comme titre. Tu n'en as pas marre des compliments ?
Stéphane Lefebvre : Pas du tout, comme Don Salluste dans La Folie des grandeurs, on s’y fait très bien ! Maintenant Maxime, flattez-moi…
Plus sérieusement, si bien sûr ces compliment titillent mon égo, ils signifient d'abord que le lecteur a passé un bon moment. Et c’est ça qui me botte avant tout, car c’est vraiment ce que je recherchais en m’essayant à l’écriture. Transmettre, ou provoquer, ce plaisir, cette envie, de lecture que j’ai ressentis avec certains bouquins.
Alors forcément, même si je suis obligé d’acheter les Kleenex par palettes (certains retours de lecteurs m’ont mis les larmes aux yeux), même si je dois porter des chaussettes de contention plus larges et un chapeau "melon" plus grand, quand on me dit que j’y suis, à ma petite échelle, parvenu, on ne peut pas en avoir marre !

Opale a gagné le prix VSD du polar 2009. C'est quoi la récompense ? Un abonnement à vie à VSD ?
Non mais je ne vais pas me plaindre, en plus de la publication (ce qui est déjà énorme !) et d’un tirage conséquent, j’ai pu bénéficier d’une diffusion nationale et de pas mal de publicité dans les magazines du groupe Prisma Presse.
Oh la chèvre ! Mais passe-le, ton ballon, c’est pas vrai ça ! Excuse-moi, tu disais ?

Quand je suis allé voir sur le site, j'ai vu plein de candidats avec la jaquette "VSD". C'est comme Miss France, alors ? Tu as un premier et un deuxième dauphin ? Pourquoi, à ton avis, ton texte était-il le meilleur (là, c'est la question vache...) ?
Cent cinquante manuscrits ont été envoyés lors de l’appel à candidature, l’éditeur a effectué un premier tri et en a proposé une trentaine à un jury de lecteurs anonymes (c’est ce qui me plaisait dans ce concours, on pouvait s’inscrire comme auteur ou comme lecteur).
Six manuscrits "finalistes" sont sortis du lot et les trois premiers ont eu la chance d’être édités.
Quant à savoir pourquoi mon texte a fini en tête, franchement, je l’ignore.
Peut-être parce que j’ai essayé de démarquer un peu mon personnage de la noirceur traditionnelle des héros de polar, d’en faire un type, comme tout le monde, qui ne comprend pas ce qui lui arrive et qui s’efforce de rire pour ne pas pleurer…

Hélas, Stéphane écrase quand même une larme quand le RC Lens, profitant d’une erreur défensive du défenseur central de Boulogne, inscrit un but plein d’opportunisme.

Et à part les inaugurations d'hypermarchés avec ta couronne, gagnant du prix du polar VSD, ça implique quoi comme obligations ?
Snif ! Hormis une soirée avec Geneviève de Fontenay (t’as une adresse pour se faire faire le maillot ?), aucune obligation !
Il y a une clause de préférence pour mon éditeur, si j’écris un deuxième livre. Mais, de toute façon, si c’est le cas, je me vois mal le proposer à quelqu’un d’autre avant lui. Opale a été refusé à pas mal d’endroits et c’est le seul qui m’a donné cette chance.

Pour ton épilation, j’ai une adresse près de chez toi, chez Michel Vigneron. Mais fais gaffe, il épile avec les dents… Entre nous, Beigbeder, le président du jury, il a vraiment lu tous les textes ou il s'est contenté de quelques lignes par-ci par là (je sais, c'est nul, je pouvais pas m'en empêcher) ?
Je ne pense pas qu’il ait lu tous les manuscrits présélectionnés. Il n’a dû intervenir qu’avec les six finalistes.
Je dois t’avouer que c’est aussi une question que je me suis posée avant de le rencontrer. Mais mes doutes ont vite été levés quand il m’a parlé de mon texte et que nous avons pu en discuter. Ça a d’ailleurs été un moment, comment dire, assez incroyable !
Penalty ! Mais y a péno, bordel ! L’arbitre, achète-toi des lunettes !

Avec le succès de ce roman et le battage – mérité – tu n’as pas trop la pression au moment d’écrire le suivant ?
Cet accueil favorable, ces retours, sont bien trop agréables pour en faire quelque chose de négatif ou de paralysant. Au contraire, je devrais m’en servir, me rassurer en me disant que ce que j’écris semble plaire. Avant de commencer le second, je pensais même que ça serait moins difficile que le premier.
Mais malheureusement je me suis planté. Ce n’est ni moins difficile, ni plus difficile, ça l’est autant !
En réalité, je m’aperçois que je suis exactement dans le même état d’esprit, avec toujours aussi peu de certitudes, et sans savoir si j’arriverai à le terminer…

Qu’est-ce que ça fait du bien d’avoir un personnage principal normal ! Pas de gros muscles, pas plus de courage que la moyenne, sans idéaux démentiels, travaillant pour subsister, sans cadavre dans les placards, avec l’humanité de monsieur tout-le-monde…
Ce que j’apprécie, et ce que je recherche, dans la lecture, mais aussi le cinéma et le "romanesque" au sens large, c’est ce pouvoir d’évasion, cette possibilité de vivre d’autres vies qu’ils offrent.
On peut être agent secret, détective privé, gangster, empereur, extraterrestre, etc., pourtant l’homme ordinaire à qui il arrive des choses "extraordinaires" reste, à mon sens, l’un des meilleurs moyens d’évasion et "d’identification".
Toute proportion gardée bien sûr, c’est une trame qui était souvent reprise par Alfred Hitchcock. La mort aux trousses en est un exemple parfait.

D’ailleurs, lorsqu’il découvre la photo porno et avilissante d’une victime violée, tu soulignes, avec une grande franchise, la sourde excitation qu’il ressent et qui le dispute au dégoût. C’est assez rare, un écrivain qui reconnaît ce qu’on a tous éprouvé un jour : l’attirance honteuse pour des choses malsaines. Tu as des adresses de sites sympas à me passer ?
Là encore ça participe à la crédibilité du personnage et donc à la facilité à s’y reconnaître. Ce n’est pas un saint, c’est juste un homme, comme dans la vraie vie, avec ses contradictions et ses faiblesses.
C’est peut-être pour ça que le roman policier, le polar, le roman noir en général, a autant de lecteurs. Il permet d’approcher, de toucher (t’excite pas) cette part d’ombre qu’on a tous en chacun de nous.
Et si tu veux une adresse (plus que sympa) pour approfondir le sujet : Polarnoir.

L’arbitre siffle la mi-temps sur le score de 1 à 0 pour les visiteurs Sang et Or. Stéphane semble d’humeur maussade. Afin de lui remonter le moral, je lui prête mon Ipod sur lequel j’ai enregistré, en prévision, le générique de L’Île aux enfants.

Au fait, ce Robin a un sens de la diététique et de la gastronomie déplorable. Si je m’invite à bouffer chez toi, tu me prépares quoi ?
C’est vrai que lorsqu’il est seul Robin mange un peu n’importe quoi, mais pour les Pepito, ça se discute… (Je m’attendais à recevoir un sombrero, un poncho, ou mon poids en biscuits, mais Monsieur Pepito n’a pas dû avoir vent de la publicité que Robin lui fait !)
Par contre, quand il est avec ses amis, la nourriture prend toute son importance. Une bonne table, un bon repas, et des potes autour, on a rarement fait mieux, hein ?

La relation entre Robin et Léa, la flic, est peut-être ce que j’ai préféré dans ton roman. C’est remarquable de drôlerie, d’émotion et de justesse dans la peinture des sentiments. Comme beaucoup d’entre nous (en tout cas comme moi…), tu as aussi une grande expérience des râteaux et tu écris pour te rattraper et draguer les fans ?
Question de crédibilité encore une fois.
J’ignore si c’est un fantasme, ou une projection, d’auteur, mais le héros tombe souvent la ou les jolies filles qu’il rencontre. Dans la trilogie Millénium, par exemple, le journaliste, Mickaël Blomkvist, emballe vraiment les doigts dans… le nez.
Je voulais que ce ne soit pas aussi facile pour Robin, et qu’il en bave, comme tout le monde !

Beauté souillée, violée ; quête d’un amour absolu, sans taches… C’est parce que tu bosses dans l’Éducation nationale que tu écris des romans baudelairiens ?
Je devrais sans doute leur redonner une chance aujourd’hui, mais j’ai toujours eu du mal avec les classiques (non, ne frappez pas !). Peut-être parce que ça a été des lectures "imposées", ou parce que j’étais trop jeune. Toujours est-il que j’ai préféré d’Artagnan, Jim Kawkins, et Rouletabille à Frédéric Moreau, Julien Sorel, ou Raphaël de Valentin.
Alors savoir si j’ai écrit un roman baudelairien, je n’en sais fichtre rien !
Ah mais rargrggerggre !

Et 2 à 0 pour Lens ! Stéphane en bouffe son écharpe de rage.

Tu es plutôt Baudelaire ou Goldorak ? En effet, ton texte regorge de références à la culture des 30-40 ans. Tu es nostalgique ?
Pas nostalgique non, je suis juste un enfant de la télé, et par conséquent plus Corno-fulgure que Fleurs du Mal.
C’est grave docteur ?

Incurable, je le crains… Tu peux nous passer la recette du gloubiboulga ?
Il y a plein de mots que je trouve jolis et, ne me demande pas pourquoi, gloubiboulga en fait partie.
Alors, chocolat râpé, bananes écrasées, confiture de fraises, moutarde, saucisses crues mais tièdes (de Strasbourg ou de Toulouse, les écoles divergent).

En évoquant la nostalgie, une autre qualité de ton roman, c’est ta capacité à alterner les moments de drôlerie avec les moments d’émotion, voire de sordide, avec une grande fluidité, sans rupture de ton. Le passage où Robin rend visite à sa mère, malade, est d’une grande beauté, car tout en pudeur et en subtilité. Ce n’est pas une question, c’est un constat…
Je vais encore me répéter : lire c’est voyager. Et le voyage est réussi lorsqu’on ne se rend pas compte qu’on lit. Dès que quelque chose cloche ou accroche la lecture, ça perturbe… le trajet.
La forme, le style, le fond, l’intrigue, tout doit couler. Ce n’est pas une réponse, c’est un avis.

Autre constat, c’est la justesse des répliques. Le timing de la réplique qui fait mouche. De la chute, du gag. Mine de rien, ça doit être sacrément coton à travailler, ça ? C’est presque du one man show.
Ça part du même principe de fluidité et "d’immersion" dans le texte. Et ça vaut autant pour les chutes, les gags, que les passages descriptifs ou les dialogues. Le rythme et le "réalisme" sont essentiels.
C’est vrai que ça implique de multiples relectures (à voix haute) et donc de réécritures, jusqu’à ce que ça… sonne juste.
Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! Yes ! Yes ! Yes ! Qui ne saute pas est un Lillois, ah ! Qui ne saute pas est un Lillois, ah !

Contre le cours du jeu, Boulogne a réduit le score et Stéphane m’entraîne dans un pogo endiablé. Les frites de mon américain s’envolent dans tous les sens et je maudis Julien Védrenne qui a choisi le lieu de notre rencontre.

Ma concierge a une question qu’elle n’osait pas te poser, alors elle m’a demandé de le faire pour elle. Tu sais ce que c’est, les timides… Bref, quel fut le point de départ de l’aventure d’Opale, et combien de temps pour l’écrire ?
Il n’y a pas vraiment de point de départ précis. Juste une accumulation de lectures (Pennac, Lehane, Gary), qui en plus du plaisir de lire m’ont donné l’envie d’écrire.
Et un jour, on essaie. Le lendemain, on efface, et on réessaie. Le surlendemain, on glande, et rebelote… Si à cette lenteur et ces difficultés d’écriture, tu ajoutes les obligations professionnelles, la vie de famille, et une flemmardise congénitale, on arrive à près de cinq années entre la première majuscule et le point final.
Mais jamais de la vie ! Y a jamais hors-jeu ! C’est quoi cet arbitre !

C’est fou ce que le Nord-Pas de Calais regorge d’écrivains beaux et talentueux, tu ne trouves pas ? Mais tu as conscience qu’avec un roman aussi réussi, tu es en train de me niquer mon lectorat en-dessous de Gravelines, salaud ?
Ben non, pas vraiment.
Je ne crois pas trop à la "géopolardisation" ou, du moins, n’y attache pas d’importance.
Le polar dit "régionaliste" semble effectivement de plus en plus trouver son public, mais dans ce cas, Michael Connelly et Los Angeles, Dennis Lehane et Boston, John Harvey et Nottingham (la liste est longue), font eux aussi quelque part du "régionalisme". Ils situent simplement leur intrigue dans un endroit, dans une ville, qu’ils connaissent et qu’ils apprécient. Pour moi, peu importe le lieu (le flacon), ça restera toujours la manière (l’ivresse) dont on en parle qui comptera.

En parlant de ville, quelle place occupe Boulogne dans ton roman (je suis pas sûr d’avoir moi-même compris ma question, donc réponds ce que tu veux…) ?
Comme je viens de le dire, j’ai choisi la Côte d’Opale, et Boulogne, parce que c’est une région que je connais et que je trouve magnifique. Et puis, ça m’évitait des recherches documentaires et me permettait ainsi de me concentrer sur l’intrigue et l’écriture.
Je n’ai pas fait de repérages ni pris de photos, mais me suis basé sur mes souvenirs et mes sensations. C’est ce qui explique que certaines descriptions des rues de Boulogne qui datent de mon adolescence ne correspondent plus tout à fait à la réalité.

Malheureusement pour mon collègue, l’arbitre siffle la fin de la rencontre sur ce score de 2 à 1 pour le voisin lensois. Stéphane est dépité et j’en profite pour placer perfidement la question que j’avais gardée en réserve au cas où…

L’un des tes personnages a comme nom de famille "Darcheville". C’est pour me provoquer, moi le supporter lensois, que tu donnes le nom d’un joueur valenciennois ?
Évidemment ! Commence à te battre, j’arrive.
C’est marrant de voir certaines coïncidences et comment certains lecteurs se projettent.
Il y a deux lycées à Boulogne, et selon qu’un lecteur ait fait ses études dans l’un ou l’autre, il reconnaît forcément le sien dans la description du lycée Charlemagne de mon roman, alors qu’il est inventé et que ce n’est ni l’un ni l’autre !
De même, j’ai rencontré un autre lecteur dont la nounou l’a effectivement élevé rue de la Balance à Boulogne, et j’ai appris qu’un laborantin habitait dans la rue ou je fais résider celui de mon livre… ça fait drôle !

Entre mon exemplaire et ceux que je vais offrir à ma mère et à ma sœur à Noël, je t’aurai acheté trois fois ton livre. Ça te fait un tirage à combien, et, question corollaire, ça t’embêterait de payer les consos à la buvette ?
On doit être à vingt mille exemplaires vendus. D’accord, c’est pas Dan Brown, mais j’en reviens toujours pas.
Après, même si c’est certainement lié, je ne vais pas jouer les faux modestes et dire que ça m’importe peu, mais je répète que ce qui compte avant tout pour moi c’est que chaque lecteur (quel que soit leur nombre) passe un bon moment avec Robin.
Tu reprends un Cacolac ?

Merci Stéphane.


Liens : Stéphane Lefebvre | Opale Propos recueillis par Maxime Gillio

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